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Salernitana-Napoli : voisins de bonne Campanie
Le Napoli poursuit sa quête vers le Scudetto ce samedi, sur la pelouse de la Salernitana. Ce déplacement court est accompagné d’une certaine rivalité entre ultras, malgré l’interdiction des supporters napolitains. Mais à Naples comme à Salerne, on parle plus de fraternité entre peuples du Sud que d'animosité.
Le cadran n’affiche pas encore midi, mais ils sont déjà plusieurs milliers. Amassés sous un doux soleil hivernal à son zénith, nichés entre la Méditerranée et les collines, ils entonnent leurs premiers chants. Eux, ce sont les tifosi de la Salernitana, groupés dans l’impressionnante Curva Sud du stade Arigis. En face, les quelques dizaines de fidèles du Torino paraissent tout petits. Debout dès l’aube, ils s’apprêtent à assister en ce dimanche 9 janvier au nul des leurs (1-1) à l’horaire incongru de 12h30. Deux semaines plus tard, la Curva Sud fera face à une tribune visiteurs aussi rectiligne que vide pour recevoir le Napoli, voisin imposant, samedi à 18 heures. Cette fermeture du settore ospiti découle-t-elle de la rivalité musclée entre Naples et sa voisine Salerne, 60 kilomètres plus au sud ? Pas vraiment. Ou du moins, pas directement. Les inconditionnels du leader de Serie A sont en effet, comme leurs acolytes romains, privés de déplacements pour deux mois, après des heurts violents les ayant opposés sur une aire d’autoroute au niveau d’Arezzo, en Toscane, il y a quinze jours. Napolitains et Salernitains ne se feront ainsi pas directement face samedi, n’écrivant pas une nouvelle page de leur antagonisme en tribunes.
Deux semaines plus tôt, à la fin du match contre le Toro, pas grand-chose ne laissait présager qu’un derby se profile sur le parvis de l’Arigis. « Tu sais, c’est assez particulier ici, explique Andrea, buraliste dans le centre de Salerne. La rivalité est assez tranquille, tu peux être tifoso du Napoli sans problème. Et puis, on ne court pas derrière les mêmes objectifs sportifs… » Reconnus pour la ferveur de leurs tribunes, les Granata boxent effectivement dans une autre catégorie que les Azzurri, le maintien pour les uns et le titre pour les autres.
La sono de la discorde
En août, le vétéran Antonio Candreva et ses potes étaient sur la grille de départ de la Serie A pour la 4e fois seulement dans l’histoire du club. Les actuels quinzièmes du championnat sortent d’une rouste mémorable à Bergame dimanche dernier (8-2), mais ne sont pas loin de vivre la meilleure saison de leur courte histoire dans l’élite. Ainsi, leurs exploits sont vécus en parallèle de ceux de Naples. « Lorsque le Napoli est champion avec Maradona, il y a une réelle joie à Salerne, rappelle ainsi Sébastien Louis, historien spécialiste du football italien et auteur du livre Ultras – les autres protagonistes du foot. L’un des leaders du CUCB(groupe ultra du Napoli)allait même parfois à l’Arigis. » La rivalité campanienne débute en réalité assez tard, en juin 1994. Alors que l’Italie a les yeux rivés sur le Mondial américain, le San Paolo s’embrase… pour un barrage de Serie C. La Salernitana y défie la Juve Stabia, club basé entre Naples et Salerne. Le vainqueur de ce barrage accèdera à la Serie B. « Le CUCB du Napoli a laissé sa sono aux ultras de la Juve Stabia, alors qu’ils étaient plutôt en bons termes avec la Salernitana, décrypte Sébastien Louis. Ça n’a pas été bien perçu. »
Sur le pré, les Granata accèdent à la Serie B, puis s’y stabilisent au moment où le Napoli, en perte de vitesse, est relégué. Après quelques affrontements épisodiques à la fin des années 1950, les deux formations se croisent régulièrement au tournant du XXIe siècle. Leur rivalité prend ainsi du relief. Par scénographies ou banderoles interposées, les ultras des deux camps s’en donnent à cœur joie. « Je me rappelle l’une qui disait« Salerne est une réalité, Naples est la comédie », en 1999, pointe l’historien. Puis une autre, où l’on lisait« Nous ne sommes pas napolitains ». » Le tout fait grincer les milliers de Partenopei présents. Lesquels répliquent, lors du match retour : « Derby ? Pour nous, c’est une équipe anglaise »1. Une manière, en quelque sorte, de « snober » la Salernitana, pour Sébastien Louis. « Et même pour Salerne, ce n’est pas le derby n°1 de la région, poursuit-il. La rivalité a longtemps été forte avec Avellino. »
Derby? UNA SQUADRA INGLESE.#SalernitanaNapoli pic.twitter.com/h2smvQ8oLc
— arrow ➶ (@coldblackarrow) October 31, 2021
Union des terroni
Même construite sur le tas et coupée par la remontée du Napoli dans l’élite dès 2003, la rivalité ne s’estompe pas. Mieux, elle repart de plus belle l’an passé, lorsque la Salernitana réapparaît en Serie A. Particulièrement tenace dans le milieu ultra, celle-ci ne va pas particulièrement de soi chez les autres supporters. Dans les rues de Salerne, certains rigolent même de voir un écriteau devant le lieu de fondation du club… teinté d’azur napolitain. « J’ai même des potes qui supportent les deux clubs à la fois », jure Francesco, pizzaiolo à quelques mètres de là. « Après tout, on est le même peuple ! », poursuit Vincenzo, 60 bornes plus au nord sur le port de Naples. Un groupe Facebook, lancé il y a tout juste un an, traduit cette volonté de rapprochement. « Nos deux villes ont la même histoire, explique son créateur, le supporter napolitain Martino Di Matteo. Je suis un amateur de notre culture sudiste et je n’avais pas aimé les chants dégradants lors d’un derby l’an dernier. » Son initiative, baptisée Fratelli Napoletani e Salernitani, rassemble près de 11 000 membres. « Attention, on ne parle pas de jumelage, je respecte la culture des ultras », prévient-il.
L’idée fait son chemin, sans pour autant récolter l’unanimité des fans ni, pour l’instant, les soutiens des deux clubs en question. « Malgré la fermeture du parcage, on va essayer de faire les choses individuellement samedi, continue Martino Di Matteo. Par exemple, certains essaieront d’aller au stade avec un maillot de la Salernitana, en habillant leurs enfants aux couleurs du Napoli. » En dépit des restrictions les visant, il ne fait guère de doute que plusieurs centaines de tifosi napolitains seront éparpillés aux quatre coins de l’Arigis, suivant un schéma absurde, mais bien connu en France. Martino Di Matteo invoque également, en toile de fond, des ambitions plus larges. « On aimerait bien unir la Campanie voire, pourquoi pas, tout le Sud, explique-t-il. Après tout, que ce soit nous, Lecce, la Reggina ou les autres, on se fait tous insulter de« terroni »2dans le Nord. On en est tous au même point… » Les possibles montées de la Reggina ou de Bari, 2e et 4e de Serie B, pourraient accélérer son rêve. Pour ce qui est du présent, son groupe a vu fleurir de nombreux messages de félicitations au Napoli après son récital face à la Juve (5-1). « Je me souviens d’ultras de la Salernitana qui célébraient une élimination napolitaine contre Chelsea en 2012, conclut Sébastien Louis. Si le Napoli est champion, quelle sera leur réaction ? » Trente-trois ans après Maradona, la question n’a jamais été autant d’actualité.
Par Elio Bono, à Naples et Salerne
Tous propos recueillis par EB.
1 - Les Napolitains disent cela en référence à Derby County. C'est une manière de dire que, pour eux, ce « derby » n'existait pas, ils n'y accordaient pas d'importance et « snobaient » la Salernitana (et donc que la seule chose qu'ils envisagent derrière le terme « Derby », c'est le club anglais).
2 - « Terroni » est un terme péjoratif utilisé par certains Italiens du Nord pour déprécier les habitants du Sud. On pourrait le traduire par « cul-terreux ». Dans le foot, l'expression apparaît en 1986 sur une banderole lors d'un Hellas-Napoli, mais est désormais très courante lors du déplacement d'une équipe sudiste dans le Nord, conduisant parfois à des sanctions pour « discrimination territoriale ».