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Manu Koné : un Kouadio tombé du ciel
Parmi les belles promesses qui composent l’effectif toulousain cette saison, Manu Kouadio Koné (19 ans) devrait être la première à s’envoler vers d’autres horizons. Le Borussia Mönchengladbach est en passe de boucler le transfert du milieu de terrain contre environ dix millions d’euros, avant de le laisser finir la saison en Ligue 2 avec le TFC. Cap sur la Bundesliga après une trentaine de matchs en professionnel, au fil d’un parcours durant lequel le milieu de terrain a toujours su gagner sa place.
Aux alentours de midi, le 24 décembre dernier, le Père Noël avait déjà déposé son premier cadeau pour les enfants de la section U10 du club de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Un présent nommé Manu Koné, venu rencontrer les jeunes de son tout premier club, sur le terrain situé à quelques kilomètres de là où il a grandi avec sa famille. Dans un appartement familial d’ailleurs prédestiné, puisque la vue donnait sur le Stade de France. « Pour les petits, c’était vraiment super de le voir, embraye d’entrée Hamid Amaghar, ancien formateur du Toulousain chez les moins de 11 ans. Un jeune d’ici qui a réussi dans le foot, c’est un modèle pour eux. Manu est chez lui, pas besoin de gardes du corps ou je ne sais trop quoi. Après être passé nous voir, il est allé faire ses petites courses au Lidl. Comme d’habitude ! »
Des habitudes, Koné a eu le temps d’en prendre quelques-unes pendant les cinq années passées dans le club du 92. Très souvent accompagné au bord de la pelouse par Hermann, un de ses grands frères, le natif de Colombes survole les rencontres. Placé en défense centrale, Emmanuel (de son vrai nom) régnait, selon Hamid Amaghar. « J’avais l’impression d’aligner un senior, explique l’éducateur. Il était capable d’allonger de notre surface jusqu’à la surface adverse, pied gauche, pied droit, et en plus il donnait même des consignes aux autres. Il voulait comprendre le système de jeu, posait des questions très intelligentes. Je repense souvent à la maturité hors norme de ce joueur… »
© Hamid Amaghar
Taciturnité et trou de souris
Pas forcément animé par le rêve d’en faire son métier, Koné sent bien qu’il peut quand même aller se tester à l’échelon supérieur. Un seul essai au Paris FC suffira pour que le club francilien le récupère, en 2012. En 2014, le jeune fan du Serge Aurier période Téfécé entre aussi dans le même temps au sein de la fabrique à champions de Clairefontaine, où il restera deux ans. Et lors de sa deuxième saison clarifontine, soit un an avant de devenir toulousain, il passe du PFC à Boulogne-Billancourt, là où il côtoie ses potes de l’INF parmi lesquels Khephren Thuram (aujourd’hui à l’OGC Nice), lequel facilite la venue de son compère à l’ACBB.
« On a l’impression que ça a été un long fleuve tranquille, mais pas du tout, il est passé par un trou de souris, témoigne Olivier Alberola, son entraîneur à Boulogne. Au début, il n’est pas pris à Clairefontaine, il est premier sur la liste complémentaire. Pour la sélection Paris Île-de-France 15 ans, il n’est pas retenu non plus. » À ce moment-là, le garçon est encore loin du mètre 85 auquel il culmine aujourd’hui, mais il est déjà « capable de gagner des mètres, de l’espace, notamment sur sa première touche, pour mettre tout le monde dans la boîte à gants », poursuit Alberola, qui découvre alors un jeune « très taciturne, capable de ne pas dire un mot lors des trajets en voiture. Je le faisais jouer sur le côté parce que c’est là qu’ils le faisaient jouer à Clairefontaine, mais je ne croyais pas à ce positionnement-là, car il a d’autres qualités. En réalité, il rentrait pas mal à l’intérieur pour semer la zizanie chez nos adversaires, et il marquait souvent des buts importants, comme en Coupe de Paris face au PSG. C’était un joueur robuste qui n’a pas manqué un match de l’année, et, histoire cruelle, au bout de deux mois à Toulouse, il se pète. »
Saison blanche et Playstation
Cruel, c’est le mot : à quinze ans, alors que son arrivée sur les bords de la Garonne pour intégrer le centre de formation du Téfécé est toute fraîche, le milieu de terrain subit, à la sortie de la préparation estivale, une grosse blessure au pied à l’entraînement et est écarté des terrains pour tout l’exercice : une tuile, une vraie, et une première épreuve à surmonter. Sa saison blanche, Kouadio la passe chez le kiné ou sur la Playstation en compagnie d’une autre pépite de cette génération, Amine Adli, lui aussi victime de gros pépins. Ce n’est donc qu’en 2017 que l’histoire débute réellement dans la Ville rose, au sein d’un groupe qui échouera en finale des play-offs du championnat national U17, contre le Stade rennais de Truffert, Camavinga, Gboho et Rutter (0-2). C’est à ce moment que les scouts de gros clubs se penchent sur son profil.
Observateur des jeunes toulousains et chargé de la base de données des Pitchouns sur Football Manager, Florent Castel a mis du temps avant d’être convaincu par le joueur au début de sa deuxième saison violette : « Il était très moyen au début. Il montrait des qualités et des défauts qu’on lui retrouve parfois aujourd’hui : capable de dribbler deux ou trois mecs on ne sait pas trop comment, et de te perdre un ballon sur une passe basique. Mais ils l’ont laissé sur le terrain en lui témoignant une grosse confiance, ce qui lui a permis de monter en puissance. C’est finalement devenu un incontournable, celui qui te fait gagner les matchs, qui casse les lignes… Il a changé de statut. » Alors adjoint d’Anthony Bancarel auprès de cette catégorie des moins de 17 ans, Issou Dao tombe lui rapidement sous le charme : « Il avait cette technique au-dessus des autres, c’est ce qui fait sa différence. Le ballon ne lui brûle pas le pied. C’est même parfois exagéré parce qu’il veut trop le toucher. Ce n’était pas forcément un joueur qui faisait les replis défensifs, et tactiquement il n’était pas structuré, mais il compensait techniquement. C’est un organisateur dans l’âme. »
D’une finale perdue à l’autre
Fort de ces belles performances, le groupe 2000-2001 veut aller chercher la Gambardella 2019. Manu Koné est un indiscutable de la formation du coach Jean-Christophe Debu et l’emmène jusqu’en finale, qui se joue chez lui, au Stade de France. À quelques encablures de l’appartement au sein duquel il signait son premier contrat avec Toulouse plusieurs années auparavant. L’excitation est palpable pour Kouadio, notamment avec son compagnon de chambre Moussa Diarra, lui aussi originaire de région parisienne. Opposés à l’AS Saint-Étienne, les Toulousains s’inclinent logiquement deux à zéro. Koné sort une bonne première mi-temps avant de s’éteindre comme ses partenaires au retour des vestiaires. Nouvelle déception en finale, mais le Pitchoun semble avoir gagné son ticket pour aller toquer chez les pros d’Alain Casanova d’autant que Dao, passé dans le staff de l’équipe première, plaide pour cela. Confirmation lors de la dernière journée de Ligue 1, Koné est titularisé face à Dijon (défaite 2-1). Grâce à une prise de masse musculaire impressionnante, l’ancien ailier se retrouve désormais au cœur du milieu de terrain à un poste de relayeur qu’il n’avait que peu connu auparavant. Pourtant, c’est bel et bien dans ce rôle qu’il finira par devenir l’une des seules satisfactions violettes au terme de la saison passée, malgré le marasme collectif.
Blessé en début de saison, il fait ses premières apparitions au mois de novembre. Alain Casanova n’est déjà plus là, remplacé par Antoine Kombouaré qui lui offre du temps de jeu, notamment aux dépens des décevants Jean-Victor Makengo, William Vainqueur ou Ibrahim Sangaré. Il alterne le bon, notamment un premier – joli – but en professionnel à Lyon en Coupe de la Ligue (défaite 4-1), et du moins bon, comme son expulsion à la Beaujoire en à peine 25 minutes de jeu (revers 2-1). La saison est une lente agonie à titre collectif, mais le numéro 34, devenu titulaire, sort de bonnes performances et semble être l’un des seuls à échapper aux moqueries des supporters. Avec la descente en Ligue 2, Manu Koné est sollicité un peu partout en Europe, mais Damien Comolli le retient, voulant faire des jeunes le fer de lance du nouveau projet RedBird. Titulaire indiscutable d’août à début décembre, le relayeur explose et explique en partie la bonne santé de son club, solide 2e de Ligue 2 à mi-parcours, à deux points du leader Troyes.
Manu Ciao
Après ce bon début d’exercice, Koné sort toutefois peu à peu du onze de départ de Patrice Garande : la concurrence et la complémentarité des talentueux Dejaegere, Spierings et Van den Boomen plaisent davantage au coach. Prime à la simplicité, là où Koné ne lâche toujours pas assez vite le ballon. Il n’en reste pas moins un élément important du TFC, avec 18 matchs joués (1 but) dont 14 en tant que titulaire. « C’est amusant de faire le parallèle entre la saison passée et l’actuelle, avance Florent Castel, supporter toulousain et « œil » de Football Manager sur le centre de formation du TFC. Il est passé d’un statut de jeune prometteur à qui le public pardonne beaucoup de choses, à un statut de cadre qui doit faire rayonner Toulouse. Or, je vois beaucoup de crispations sur ses défauts… qui sont les mêmes que l’an passé. Il doit simplifier son jeu. Pourtant il a progressé, notamment dans l’abattage défensif. Là où un Spierings est plutôt dans l’élégance, Koné y va pour mettre le taquet. Il est capable de tenir tout le milieu. Puis techniquement, il est trois classes au-dessus de beaucoup de numéros 6. Mais ça reste un 2001 avec ses défauts, c’est important de contextualiser quand on parle d’un jeune. »
Pas de quoi refroidir l’un des meilleurs clubs d’Allemagne de poser dix briques sur lui. « C’est une bonne chose qu’il signe à Mönchengladbach, il y a un staff fantastique avec Marco Rose et René Marić », souffle Olivier Alberola, qui est resté en contact avec la famille Thuram, et est donc assez bien renseigné sur le futur – toujours pas officialisé – de Manu Koné. Continuer à le former tout en lui donnant des marques de confiance : voilà un projet qui conviendra à merveille au staff du Borussia. Mais il faudra attendre l’été 2021. Avant, le Toulousain a un objectif : six mois de prêt pour aider son club formateur à retrouver l’élite.
Par Arthur Stroebele et Jérémie Baron
Tous propos recueillis par AS et JB