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  • Disparition de Diego Maradona

« En un match, Diego a fait de Toulouse une ville de football »

Propos recueillis par Alexandre Aflalo et Vincent Bresson
8 minutes
« En un match, Diego a fait de Toulouse une ville de football »

Lors de la saison 1986-1987, le Téfécé s'est offert une double confrontation contre le Napoli du grand Diego Maradona au premier tour de la Coupe UEFA. Gérald Passi, Yannick Stopyra et Benoît Tihy, trois anciens Violets, nous racontent leurs souvenirs de ce 1er octobre 1986, leur Maradona et comment ils l'ont mis à genoux. Car après la courte défaite ramenée d'Italie (1-0), les Toulousains ont fait le boulot (1-0, Stopyra), validant leur ticket pour la suite de l'aventure grâce aux tirs au but (5-3) et une séance au cours de laquelle Diego a fini par échouer.

Le casting Gérald Passi, milieu offensif, international français, 165 matchs avec le TFC.Yannick Stopyra, attaquant, international français, 147 matchs sous les couleurs toulousaines.Benoît Tihy, arrière gauche, 72 matchs pour le Tef’.


Qu’est-ce que ça vous a fait, de recevoir Diego Maradona à Toulouse ?

Benoît Tihy : C’était inespéré. J’en rêvais ! Avant le match aller contre Naples, j’avais l’espoir que Jacques Santini (entraîneur du TFC de 1985 à 1989, N.D.L.R.) me choisisse pour prendre Maradona au marquage. Jacques a d’abord demandé à Pascal Despeyroux et Jean-Philippe Durand, tous les deux ont refusé pour des motifs complètement différents. Il arrive vers moi et il me sort : « Toi, tu vas le faire ? » Je lui dis : « Ça fait dix jours que je n’attends que ça. » Je n’avais pas peur, car je n’avais rien à perdre. Diego, lui, était champion du monde deux mois auparavant, alors qu’est-ce qu’il pouvait m’arriver ? Si ça n’avait pas marché, on aurait mis en avant Maradona et pas ma prestation. Donc je ne craignais rien.

Gérald Passi : Il y avait énormément d’excitation, et en même temps de l’appréhension par rapport à la performance de Naples et surtout de Maradona. Le match aller s’était plutôt bien passé, on avait bien résisté et bien réussi à le canaliser, donc on était gonflés à bloc pour le retour, mais on savait aussi que tout était possible. On avait mis en place un dispositif autour de lui et on a joué avec nos atouts, et beaucoup d’enthousiasme. On avait pris le match dans le bon sens et on avait pressé d’entrée, avec 25-30 premières minutes de qualité. On sentait qu’on pouvait faire quelque chose.

Il y avait comme une odeur un peu désagréable autour de Maradona, qui venait d’apprendre une paternité extraconjugale.

Yannick Stopyra : C’était différent du match aller. Déjà on sentait que c’était jouable, par rapport au résultat. Il y avait cette excitation de jouer un tel club chez nous, et puis il y avait comme une odeur un peu désagréable autour de Maradona, qui venait d’apprendre une paternité extraconjugale (le 20 septembre 1986, son premier fils Diego Jr. naissait en Italie, N.D.L.R.). Il était très perturbé. Tout le monde se faisait des films autour de Maradona, mais à un moment donné, on était là pour faire un résultat. Ça restait un match de Coupe d’Europe. On s’est dit : même en étant des petits Français, des petits Toulousains, il faut passer, Maradona ou pas. Très vite, on ne l’a plus regardé avec nos yeux d’admirateurs, mais de compétiteurs.

Comment était l’ambiance au stade ? Y avait-il une énergie particulière autour de lui ?

YS : L’ambiance pour nous ne démarre pas le jour du match. Ça démarre une semaine avant. Toute la ville en parlait… Le temps d’un match, il avait fait de Toulouse, une ville qui vit surtout à travers le rugby, une ville de football. Dans l’équipe, on était tous montés d’un cran : déjà parce que c’était la Coupe d’Europe, et puis à cause de Diego Maradona.

BT : Déjà, à Naples, alors qu’on s’échauffait depuis quinze minutes sur le terrain, Maradona est entré sur la pelouse. Tout de suite, les 77 000 spectateurs se sont mis à scander le nom de « Diego ». Et à Toulouse, le match retour était chaud bouillant. Presque plus chaud qu’à Naples, car, contrairement au San Paolo, le Stadium était couvert, alors le son ne s’échappait pas. Je n’ai plus jamais vécu une ambiance comme celle-ci au TFC. La ville et la région étaient derrière nous, c’était fabuleux !

GP : Le stade était survolté. Complet. C’était la folie, les yeux étaient tous rivés sur Maradona.

Et sur le terrain, il était comment ?

YS : Je n’ai pas trouvé quelqu’un qui a surnagé techniquement. Benoît Tihy, qui l’a marqué, a été très bon, il a tout réussi. Diego avait moins de réussite aussi, tant mieux pour nous. Et puis le match s’est bien déroulé, quoi !

GP : Sur ce match-là, il n’a pas fait de différence. La seule qu’il ait faite, c’était en notre faveur avec ce tir au but manqué. Sur cette partie, ce n’était pas le plus grand des Maradona qu’on a vu, mais en même temps, on y est pour quelque chose, je pense.

BT : À chaque fois que le ballon était dans ses pieds, on sentait qu’il fallait l’empêcher de vous mettre par terre. Les conseils que j’ai reçus, c’est : « reste debout » et « gêne-le, le plus longtemps possible ». On savait très bien qu’avec lui, si on se jette pour tacler le ballon, il le soulève un peu et il vous dribble. Quand il avait le ballon dans les pieds, c’était très difficile de le lui prendre. Il fallait anticiper. C’est ce que j’ai réussi au deuxième match : sur le but, c’est moi qui coupe une balle qui est adressée à Maradona et ça entraîne l’ouverture du score en notre faveur.

Stopyra > Maradona

Si vous ne deviez retenir qu’un souvenir, qu’une image de votre rencontre avec Maradona ?

Diego se retourne et me dit en espagnol « hola Yannick », alors qu’on ne s’était croisés qu’au Mexique ! Ça m’avait fait plaisir en tant que gamin de me dire que Dieu, Diego Maradona, m’avait reconnu.

YS : Mon souvenir, c’est avant le match aller. Une heure avant le match. Maradona avait pris un ballon et s’était mis dans un coin pour jouer, jongler, comme il le faisait souvent. On était à côté des vestiaires au San Paolo, et je vois Alberto Tarantini (coéquipier argentin du TFC, N.D.L.R.) qui discute avec Diego. Je me dis : « Putain, Diego est là. » J’avais envie un peu de m’approcher, puis je me ressaisis, je me dis : « Je suis là pour faire un match, pas pour faire des selfies », même si on n’avait pas de téléphone. (Rires.) Je m’approche pour parler à Tarantini, Diego se retourne et me dit en espagnol « hola Yannick », alors qu’on ne s’était croisés qu’au Mexique ! Ça m’avait fait plaisir en tant que gamin de me dire que Dieu, Diego Maradona, m’avait reconnu.

BT : Au retour, dans les cinq premières minutes, je prends le turbin sur le côté gauche, je me dis que c’est pas possible, que je dois me remettre en selle. Je ne sais plus si c’était un petit pont, un grand pont, je sais plus, mais il m’avait fait la misère sur le côté. Et c’était difficile. Ce dont je me souviens aussi, c’est qu’avant que Maradona tire le cinquième tir au but, Jacques Santini appelle les cinq joueurs de l’équipe qui n’avaient pas encore frappé. Les quatre autres tournent la tête et regardent la tribune de l’autre côté, pour ne pas qu’il les interpelle. Et là, Santini me regarde et sort : « Il me faut un sixième tireur. » Je lui réponds : « Jacques, c’est moi. » C’était une évidence avec tout ce qui m’était arrivé depuis cinq jours. Tout s’était bien passé, alors je me dis que ça va finir en apothéose. Personne n’imaginait que Maradona allait le rater, mais c’est ce qui s’est passé. J’ai encore cette image de ce geste que je n’ai jamais accompli.

On était une toute petite équipe, toute jeune, c’était notre première participation en Coupe d’Europe et on tombe sur Maradona. On l’a vécu comme un don du ciel !

GP : Le match aller m’a plus marqué, aussi. C’était la première fois qu’on le voyait, ce petit bonhomme, hyper musclé, torse bombé, sûr de lui… Il était impressionnant rien qu’à le regarder. Il dégageait une fierté par sa façon de se tenir, comme un torero. Il était imposant, puissant, rapide. Il avait une véritable aura, ce côté attractif dans le sens où il attirait tous les regards, toutes les pensées, et ça se ressentait. On était en admiration. Mais on avait aussi un match à jouer et il fallait le gagner !

Avec le recul, où se situe ce souvenir et ce triomphe sur le Naples de Maradona dans votre carrière ?

Là, je me dis que Maradona est parti et que moi aussi je vais partir un peu, je vais disparaître avec lui.

GP : Ça fait partie des grands moments d’une carrière. Il y avait un contexte incroyable : on était une toute petite équipe, toute jeune, c’était notre première participation en Coupe d’Europe et on tombe sur Maradona. On l’a vécu comme un don du ciel ! On ne pouvait pas mieux tomber. À ce moment-là, toute la France avait les yeux rivés sur nous.

YS : C’est une fierté, bien sûr… Surtout d’avoir joué ce genre de match. Maradona, ses performances, ce qu’il a pu faire contre les Anglais… C’était à la télé qu’on voyait ça ! C’est différent de le jouer. Et puis cet engouement autour de lui, c’était un truc de dingue. Quand vous regardez Naples, c’est pas une grande équipe. Il y a des bons joueurs, mais c’est avec lui qu’elle devient championne d’Italie, championne d’Europe. En Argentine autour de lui, ce n’est pas non plus des monstres. C’était lui qui faisait l’équipe, qui la bonifiait.

BT : Avec le temps, on se rend compte encore davantage de l’importance de ce match. Pour les trente ans du match en 2016, le club avait fêté ça. Dans ces moments, on se rend compte que ça existe encore dans la tête des gens. Et ça, c’est une fierté ! Je n’aurais jamais imaginé rencontrer un des dieux du football, le marquer pendant 3h30 et qu’à la fin, il vienne me serrer la main avant les tirs au but pour me féliciter de ma prestation. (Il souffle.) C’est des images qui restent ! On a beaucoup d’émotions dans ces moments-là. Là, je me dis que Maradona est parti et que moi aussi je vais partir un peu, je vais disparaître avec lui. Mais je m’en fous, je sais ce que j’ai fait, j’ai plein d’images, de vidéos et de photos. Je veux transmettre ça à mes petits-enfants.

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Propos recueillis par Alexandre Aflalo et Vincent Bresson

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