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Le jour où l’arbitre de Salernitana-Napoli a feint sa propre mort
Ce dimanche, le Napoli, leader de Serie A, va parcourir 50 bornes pour aller affronter la Salernitana, avant-dernière. Au-delà d’être un choc des extrêmes, il s’agit là du premier derby de Campanie en Serie A depuis 1949, et le premier dans l’absolu depuis 2004. Or, s’il ne fallait retenir qu’une seule des 26 confrontations officielles entre les deux clubs, ce serait assurément celle du 13 mai 1945. Une journée où un arbitre s’est fait passer pour mort pour sauver sa peau.
Avant de conter l’histoire d’un homme qui a feint sa propre mort en plein derby, il convient de replacer le contexte historique. Salerne et Naples. Deux villes du Sud de l’Italie, séparées par quelque 50 kilomètres. Au début du siècle dernier, le football en Campanie n’est évidemment pas aussi développé qu’au Nord, mais de plus en plus d’équipes commencent à voir le jour. C’est le cas de la Salernitana, fondée en 1919. En ce qui concerne la ville de Naples, plusieurs clubs existent déjà. Le Naples Foot-Ball Club a été fondé en 1906, la Società Sportiva Napoli en 1907, le Sport Club Audace en 1908, l’Internazionale Napoli en 1911 et le Pro Napoli Sport Club en 1914. Une première fusion entre le Naples Foot-Ball Club et l’Internazionale Napoli donne naissance en 1922 au FBC Internaples. Mais en 1926, le président du club décide de changer de dénomination, pour avoir un nom qui conviendrait mieux au régime fasciste. Et voilà comment naît, le 25 août 1926, l’Associazione Calcio Napoli. De son côté, la Salernitana fusionne en 1922 avec le Sport Club Audax Salerno pour donner naissance à la SS Salernitanaudax. Un nom beaucoup trop compliqué. Pas d’inquiétude : la Salernitanaudax ne survivra que trois ans, avant de renaître de ses cendres en 1927 sous le nom d’US Salernitana. Ça y est, les deux clubs, dans leur forme définitive, sont créés.
Une Salernitana toute puissante
À cause de l’organisation légèrement foireuse du football dans le Sud de l’Italie dans l’entre-deux guerres, la Salernitana et le Napoli ne disputeront pas le moindre match officiel avant… 1945. Alors que la Seconde Guerre mondiale se dirige lentement vers son épilogue, des championnats régionaux sont organisés dans toute l’Italie. Le championnat de Campanie, organisé par la FIGC, se disputera donc du 26 janvier au 17 juin 1945. Dix équipes sur la ligne de départ, dont le Napoli et la Salernitana. La première confrontation entre les deux équipes a lieu le 11 mars à Naples. La Salernitana affronte ce match en leader tout puissant : six victoires lors des six premières journées. Naples est également invaincu, mais compte seulement deux victoires pour quatre nuls. Rosselini ouvre le score pour les Azzurri, Valese lui répond pour les Granata. 1-1, pas de vainqueur et premier coup d’arrêt pour la Salernitana. Rendez-vous est pris au match retour.
Celui-ci a lieu le 13 mai, au Campo Littorio de Salerne. On joue alors l’antépénultième journée, et l’enjeu est énorme. À trois journées de la fin, la Salernitana est toujours en tête avec 25 points. La Stabia est deuxième avec 24, et le Napoli complète le trio de tête avec 21 points. Un succès de la Salernitana, et le Napoli serait mathématiquement éliminé de la course au titre. La stade est plein, bouillant. De nombreux tifosi napolitains ont fait le court déplacement. À la 18e minute, Vincenzo Margiotta ouvre le score pour les locaux. Mais leur enthousiasme est douché seulement huit minutes plus tard, lorsque le Napolitain Giovanni Venditto égalise. Les minutes s’égrènent, et le score ne bouge pas. Dans le même temps, la Stabia est en train de gagner facilement sur la pelouse de Portici, ce qui signifierait que, si le score en restait là, elle rejoindrait la Salernitana en tête du classement. Les joueurs grenats attaquent donc tête baissée, mais un épisode va changer le cours de l’histoire.
Tension en tribunes
Certains récits de l’époque parlent de la 35e minute de la première période. D’autres de la 35e minute de la deuxième mi-temps. Peu importe l’exactitude, l’important est ce qui va s’y passer. L’arbitre de la rencontre, Demetrio Stampacchia, siffle un penalty en faveur du Napoli. Les articles dans la presse du lendemain parlent d’un penalty « très douteux », voire carrément « imaginaire ». Ce qui rend fous les tifosi de la Salernitana, qui pètent un câble et veulent descendre sur la pelouse. Les forces de l’ordre interviennent, certains supporters se retrouvent plaqués au sol. On en oublierait presque le péno. Guido Mazzetti s’élance, mais son tir s’écrase sur le poteau.
Suffisant pour calmer les ardeurs des supporters salernitani ? Tu parles. Les échauffourées se poursuivent, la tension est à son maximum, ça se met des coups sur le terrain, et l’arbitre commence sérieusement à avoir les chocottes. « Il y avait une tension immense sur le terrain et dans les tribunes, avait raconté il y a plusieurs années le médecin du Napoli, Athos Zontini. L’arbitre Stampacchia suait à grosses gouttes et craignait que cela ne dégénère complètement. » Tout à coup, des coups de feu se font entendre dans les tribunes. « On a entendu des coups de feu et dans les secondes qui suivent, on voit Stampacchia tomber à terre… On a vraiment craint le pire. »
Un tapis vert qui fait mal
Pour tous les acteurs présents, c’est une certitude : l’arbitre de la rencontre vient de prendre une balle. Le match s’interrompt et tous accourent. Ils découvrent alors le coup de folie (ou de génie) de Monsieur Stampacchia. Athos Zontini raconte. « On se met autour de lui, et là on voit qu’il a les yeux ouverts. En fait, quand il a entendu les coups de feu, il a vu une porte de sortie : il craignait tellement de se faire lyncher par les supporters qu’il a fait semblant d’être mort, dans l’espoir que ça puisse calmer tout le monde ! » Et le pire, c’est que ça fonctionne : Stampacchia, en version acteur studio, est recouvert d’un drap, et transporté dans les vestiaires. Dans le stade, c’est le coup de froid. La tension retombe immédiatement, le match est évidemment interrompu, et les policiers réussissent à faire sortir tout ce petit monde quasiment dans le calme. Quelques jours plus tard, ils apprendront que Stampacchia va bien, même si la véritable supercherie ne sera révélée que bien des années plus tard.
Mais les conséquences sont néanmoins terribles pour la Salernitana. La FIGC, mise au courant des incidents, décide d’attribuer la victoire sur tapis vert au Napoli. Ce qui, de facto, offre la première place à la Stabia. Le comité des arbitres, lui, décide de se mettre en grève et de ne plus arbitrer les matchs du championnat campano. Il faudra plusieurs jours de négociations pour les convaincre de terminer la saison. Après une avant-dernière journée où les trois équipes de tête s’imposent, la dernière journée s’annonce chaude avec, hasard du calendrier, un Stabia-Napoli à disputer. Mais à cause de problèmes logistiques, le match est reporté à de nombreuses reprises.
Au diable l’équité sportive : la Salernitana dispute son dernier match quand même. Triste épilogue pour eux : ils font match nul 1-1 contre Portici et disent virtuellement adieu au titre. Le match entre la Stabia et Naples a finalement lieu près d’un mois plus tard (entre-temps, les deux équipes auront même le temps de disputer la Coupe du Coni, un tournoi à quatre avec la Fiorentina et Livorno). Et sans surprise, c’est bien la Stabia qui est sacrée championne, après un rocambolesque match nul 3-3 contre les Napolitains. Reste qu’avec une victoire contre le Napoli, au lieu d’une défaite sur tapis vert, la Salernitana aurait vraisemblablement remporté le titre. Mais les dons d’acteur de Signor Stampacchia en ont décidé autrement.
Par Éric Maggiori