- Coupe du monde 2014
- Groupe E
- Suisse/France (2-5)
La France gobe la Suisse
Pour son premier test sérieux dans cette Coupe du monde, l'équipe de France a cartonné la Suisse (5-2), assurant l'essentiel en première mi-temps. S'ils devaient montrer dans quelle cour ils jouaient, les soldats de Didier Deschamps ont donné une réponse claire. Presque en huitièmes, la France s'est régalée et attend la suite de la compétition avec encore un peu de place dans l'estomac.
Salvador de Bahia n’avait connu que la fête et la mort. Dix buts en deux matchs, la fin du règne espagnol, des hommes qui s’éteignent – Iker Casillas, Xavi, Pepe – et un récital d’opéra allemand. Autant dire que l’Arena Fonte Nova attendait des émotions. Elle a eu le droit à une nouvelle exécution collective, cette fois orchestrée par une équipe de France en démonstration (5-2). Du jeu, des contres assassins, des chevauchées fantastiques : la France est ce soir entrée pour de bon dans sa compétition, en prenant pleine face le vent chaud et fou qui souffle sur cette Coupe du monde. Ola et machine à laver
Ottmar Hitzfeld n’est pas n’importe quel général – 7 Bundesliga, deux Ligues des champions – et n’avait pas choisi n’importe quelle armée : il a préféré la Suisse à l’Allemagne, s’est offert le scalp de l’Espagne en 2010, et s’est qualifié pour le Brésil avec sept points d’avance sur le second, sans perdre le moindre match. Après avoir montré qu’elle était capable de sauter par-dessus les machettes honduriennes, la France se présentait donc face à des troupes autrement plus difficiles à enfoncer. Voici comment elle a procédé : d’abord, en jouant la surprise. Au coup d’envoi, Didier Deschamps choisit en effet de faire sans Pogboom – certainement pour lui apprendre à maîtriser ses nerfs et éviter de devoir s’en passer pour de vrai en huitièmes – et de placer un numéro 9 qui a mis deux buts et demi au match précédent sur le côté gauche. Soit le même onze qui s’est fumé la Jamaïque en préparation. Pourquoi pas. En balançant à l’aveuglette sur Giroud et en multipliant les centres inoffensifs, les Bleus jouent leur premier quart d’heure les phares éteints, à contre-sens sur l’autoroute. Paradoxalement, c’est l’attaquant d’Arsenal qui allume la lumière : après avoir envoyé Steve von Bergen à l’hôpital (8′), adressé un bon centre tendu vers Benzema (14′), Giroud dégaine une tête monstrueuse que le gardien suisse ne peut empêcher d’entrer dans ses filets (17′). Sur la remise en jeu, Benzema récupère un cadeau au milieu du terrain et lance Matuidi qui trompe un Benaglio encore dans les vapes (18′). 2 – 0. Les supporters français, qui n’ont décidément pas renoncé à se prendre pour des Mexicains, peuvent lancer leur deuxième « ola » en tapant des pieds.
Voilà donc un match de la France qui se met à ressembler à cette Coupe du monde de Sud-Américains où les buts pleuvent, où il y a des contres dantesques au milieu d’équipes coupées en deux. Peut-être parce qu’il y fait 30 degrés à huit heures du matin, qu’il peut tomber la minute suivante de quoi transformer la pelouse en rizière et, qu’en vérité, jouer ici au football revient à pédaler dans une machine à laver lancée à 90°C, sans essorage. Ou tout simplement parce qu’on ne vient pas au stade pour voir du football, mais pour qu’une équipe en tue une autre. Tranquillement installée derrière, la France s’attelle à la tâche en plaçant des contres éclair grâce à la qualité de relance phénoménale de Varane, à la vitesse de Benzema sur son côté gauche, et à la débauche d’énergie d’un Giroud dans tous les coups. La Benz manque la première occasion d’enterrer la Suisse en envoyant son penalty sur le gardien (33′), mais Valbuena, après une nouvelle cavalcade de Giroud, craque le troisième but (40′) qui met l’équipe de France à l’abri avant même la fin des quarante-cinq premières minutes.
Mise à mort
Que faire de la deuxième mi-temps d’un match qui semble déjà gagné ? Marquer des buts d’abord, donner du plaisir. Succulent depuis le début de la compétition, c’est la Benz qui s’en charge en inscrivant son troisième but sur une ouverture pépite de Pogba (67′), et donnant sa deuxième passe décisive du match pour Moussa Sissoko (73′). Tirer des enseignements ensuite. Si aucune autre nation que les Bleus ne se préoccupe autant de l’image de sa sélection, le retour en grâce de cette équipe redevenue présentable devant la France bien-pensante des curés de gauche et des chefs de petites entreprises ne doit pas faire oublier l’impératif d’exigence. Défensivement, elle a montré quelques signes de fragilité potentielle face à des équipes qui afficheront une autre attaque que Seferović – Mehmedi – Shaqiri. Il y a eu une faute de main de Lloris finalement sans conséquence (but refusé pour hors-jeu, 29′), il y a eu quelques grosses occasions concédées aux Suisses, quand Varane et Sakho ouvrent par exemple une autoroute devant Mehmedi (31′) ou le laissent seul dans la surface (65′).
Il y a surtout eu ces deux buts encaissés en fin de match, sur un coup franc à ras du poteau de Džemaili (81′), puis sur une erreur de placement de Debuchy qui couvre Xhaka (87′). Offensivement, la France a en revanche montré qu’elle pouvait se mettre au diapason d’une compétition qui, peut-être, se gagnera cette fois par l’attaque : Benzema a choisi de ressembler à son idole Ronaldo Fenomeno sur ses terres et au meilleur moment, Varane est une arme de contre redoutable grâce à sa relance, et l’activité insatiable des Valbuena, Matuidi ou Giroud a de quoi faire trembler encore quelques filets. Pas tout à fait qualifiée à la fin du massacre, la France a déjà donné une réponse à la question de savoir quelles étaient ses limites. Il n’y en a pas beaucoup.
Par Pierre Boisson, à Salvador