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Demirspor, la tribu d’Adana

Par Fabien Gelinat
7 minutes
Demirspor, la tribu d’Adana

Promu en SüperLig, l’Adana Demirspor a beaucoup agité ce mercato d’été en attirant des anciennes gloires en quête de rebond dans la ville du kebab. Une stratégie marketing, mais également sportive pour un club qui ne compte pas faire l’ascenseur, ni brûler les étapes à l’aube de son premier match dans l’élite depuis 26 ans, prévu ce dimanche soir contre Fenerbahçe.

15/08/2021 à 20h45
SüperLig
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Ça en devient presque une tradition. Depuis l’arrivée de Roberto Carlos au Fenerbahçe en 2007, la Turquie anime chaque période des transferts en attirant quelques stars du football sur la pente descendante. Drogba, Sneijder, Falcao, Van Persie ou encore Eto’o pour ne citer qu’eux, nombreux sont les anciennes gloires du ballon rond à avoir foulé, avec plus ou moins de succès, les pelouses turques. Mais en cet été 2021, l’Adana Demirspor a décidé de la jouer solo en attirant la lumière sur lui, grâce à un recrutement pétillant. En quelques semaines, le promu a ainsi renforcé son équipe en attirant Younès Belhanda, Mario Balotelli, Birkir Bjarnason ou encore Benjamin Stambouli, alors que David Luiz est toujours attendu sur les bords du fleuve Seyhan. Autant de joueurs aux noms scintillants qui n’ont pas coûté un rond en indemnité et font rentrer le club de la ville du kebab dans une dimension différente.

Que ce club ait végété en deuxième division aussi longtemps, c’est une anomalie.

Un club bouillant à la recherche de son histoire

Crée en 1940, l’Adana Demirspor est un club historique de Turquie, malgré un palmarès un peu pâlot : une Coupe de Turquie glanée en 1978, quatre titres de D2 (1973, 1987, 1991 et 2021) et une sixième place comme meilleur résultat dans l’élite en 1982 permettent de ne pas être à jeun. Et pourtant, les Mavi Şimşekler (éclairs bleus) peuvent compter sur le soutien sans faille d’un public fanatique et surtout fidèle à ses joueurs. « À chaque fois que je remets les pieds là-bas j’ai un accueil de fou, explique Mickaël Poté, qui a porté les couleurs de Demirspor pendant trois saisons, entre 2015 et 2019, entrecoupées d’une année du côté de l’APOEL Nicosie. Les gens ne t’oublient pas là-bas, d’ailleurs je reçois encore souvent des messages. On me dit : « On a Balotelli, mais si tu pouvais revenir on prend ! ». J’ai toujours dit que si je devais comparer ce club par rapport au football français, ce serait l’équivalent de l’Olympique de Marseille. Le public est bouillant et passionné ». Des supporters toujours au rendez-vous, malgré 26 années consécutives en deuxième division. « L’Adana manquait de visibilité en deuxième division, mais on est très proche du niveau de fanatisme des supporters de Beşiktaş, Galatasaray, etc., poursuit Poté. On ne se rend pas compte, mais Adana est la cinquième plus grande ville de Turquie(1,8 million d’habitants, NDLR). L’ancien stade(de 14 000 places)était toujours plein et le nouveau(34 000 places, inauguré en février 2021, NDLR)le sera tout autant en SüperLig, c’est certain. D’ailleurs, que ce club ait végété en deuxième division aussi longtemps, c’est une anomalie. » Une anomalie difficile à accepter pour ses supporters, tapis dans l’ombre d’Adanaspor, le club rival avec qui Demirspor partage le New Adana Stadium et qui a effectué quelques passages furtifs en D1 au début des années 2000, ainsi qu’en 2016.

Un cap qui a semblé infranchissable durant de longues saisons pour Demirspor. « Comme tout club qui essaye de passer à l’échelon supérieur, cela se joue à des petits détails pour que ça marche, enchaîne l’attaquant qui a planté 63 buts avec les Mavi Şimşekler. Lors de ma première saison au club, en 2015-2016, on perd en finale des play-offs aux tirs au but contre Alanyaspor. La saison suivante, on se maintient de justesse. Puis, quand je reviens en 2018-2019 après mon passage en Chypre, on perd en demi-finale des play-offs contre Hatayspor ». Une nouvelle défaite la saison suivante en finale des play-offs, encore aux tirs au but, face à Fatih Karagümrük, avant d’obtenir enfin le sésame en étant sacré champion de D2 l’an passé. Une progression constante et structurée que le club doit surtout à un homme, son président Murat Sancak. Proche du chef d’État Recep Tayyip Erdoğan, pour qui il n’hésite pas à afficher son admiration sur son propre compte Instagram, cet homme d’affaires de 53 ans a le don de réussir tout ce qu’il entreprend, que ce soit dans la technologie et le médical (président de MT Group), l’industrie militaire (président du conseil d’administration de BMC) ou encore les médias (ancien président du groupe Star Media, l’un des plus importants en Turquie). Sancak se classe ainsi parmi les 30 plus grosses fortunes de Turquie. Une tête de gondole somme toute solide qui s’est installée à la tête du club en 2018.

On a pris Sancak pour un fou, et pourtant il a réussi son pari

Sancak-Demirspor, mariage évident

Un patron avec une personnalité très forte, apprécié et même adulé pour son franc-parler, son jusqu’au-boutisme et son apport financier au sein d’un club qui ramait depuis plus de deux décennies. « Pour tenir un club comme Demirspor, il faut du caractère et quelqu’un capable de résister à la pression sans avoir peur de prendre des décisions, précise Poté. Au début de son mandat, Sancak avait promis aux supporters qu’il les ramènerait en D1, et que personne l’empêcherait de réaliser cet objectif. On l’a pris pour un fou parce que ça faisait des années que le club échouait dans cette mission, et pourtant il a réussi son pari ». Une folie représentative de la ville d’Adana, ville réputée pour être la plus dingue de Turquie et dont un joueur comme Mario Balotelli a tout pour se sentir comme à la maison. Mais cet environnement exceptionnel est loin d’effrayer un bonhomme comme Sancak, lui qui est déjà sorti indemne d’une tentative d’assassinat en 2015 lorsque des assaillants ont ouvert le feu à vingt reprises en direction de son véhicule avant de prendre la fuite. Le président de Demirspor peut même se targuer d’avoir une très bonne gestion du club, n’hésitant à prendre des risques et s’entourant de personnes compétentes. « Il y a trois ans, les rumeurs en Turquie parlaient d’une arrivée d’Eto’o ou encore Drogba, mais Sancak a préféré me rapatrier à Demirspor parce que le public me voulait, et qu’il connaissait ce lien entre le club et moi. Donc quand il ramène des joueurs comme Balotelli, il y a certes le nom clinquant et une stratégie sportive derrière, mais aussi une volonté de faire plaisir aux supporters. Il s’en fout du foot business, ce qu’il veut, c’est faire briller le club. »

Ils ont tout pour se stabiliser en première division, qui semble être leur objectif

Un mercato pour conserver de la stabilité

Un recrutement malin qui vient compléter un effectif très cohérent, une progression d’un point de vue sportif, une stabilité économique avec un nouveau centre d’entraînement en construction en plus du nouveau stade : Adana dispose en théorie des ingrédients pour s’éviter un fiasco similaire à Antalyaspor, il y a quelques années. « Il y a des gros noms recrutés certes, mais il y a aussi de la réflexion derrière, reprend Poté. Par exemple, avant de prendre Balotelli, ils ont recruté Belhanda qui est un très bon joueur et qui a surtout de l’expérience en Turquie. Il faut voir si ça fonctionne, mais ça ressemble à un bon recrutement. D’un point de vue extérieur, ils ont tout pour se stabiliser en première division, qui semble être leur objectif, plutôt que de viser directement le haut de tableau ou la Coupe d’Europe ». Tout, ou presque. Car si la stratégie à court terme semble bonne, des interrogations se posent à moyen-long terme. Les regards se tourneront notamment vers Samet Aybaba, l’actuel coach de Demirspor qui a davantage le profil du pompier de service que celui du bâtisseur d’équipe (seize clubs différents en 31 ans, sans jamais tenir deux années de suite sur le même banc), et qui pourrait vite sauter en cas de mauvaise série. Dans le même temps, il faudra également surveiller les agissements de Sancak, dont l’excentricité et l’impulsivité pourraient le pousser à claquer la porte à la moindre contrariété, en atteste sa volonté de démissionner il y a plus d’un an avant de se rétracter. Quoi qu’il en soit, Demirspor est attendu sur le devant de la scène et son premier gros test d’entrée face au Fenerbahçe, ce dimanche, devrait donner des premiers éléments de réponse.

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Par Fabien Gelinat

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