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« You’ll Never Walk Alone a changé Liverpool à jamais »
Dimanche dernier, c’est bien plus qu’un chanteur qui s’est éteint. Sur les bords de la Mersey, Gerry Marsden, 78 ans, était devenu une icône. Sa version de You'll Never Walk Alone avec son groupe Gerry & The Pacemakers est entrée au panthéon d'Anfield et du football d'une manière générale. Rien de mieux que d’écouter George Sephton, speaker d’Anfield depuis 1971, livrer son regard sur une chanson devenue un mythe des stades et sur ce Gerry Marsden qui ne marchera jamais seul, même au paradis.
George, Liverpool vient de perdre une autre de ses légendes…2020 était déjà une année compliquée, 2021 ne commence pas de la meilleure des manières. Il y a quelques semaines, c’était Ray Clemence (le 15 novembre) puis Gérard Houllier (le 14 décembre), et là Gerry. Il avait beau être un chanteur, il faisait partie intégrante du Liverpool Football Club. Il y a peu, je discutais avec le directeur général du club qui m’expliquait que Liverpool a un milliard de followers dans le monde. Se dire qu’il y a aujourd’hui un milliard de personnes qui se sont réveillées en entendant la nouvelle que Gerry est décédé est un véritable choc. Toutes ces personnes connaissent You’ll Never Walk Alone, tout le monde est capable de la fredonner. Ceux qui aiment le foot ne peuvent pas être passés à côté de cette chanson.
En 1963, lorsqu’il adapte à sa sauce ce qui deviendra un tube, c’est tout Liverpool qui vibre au rythme du Merseybeat ?La musique et le football étaient notre quotidien. À l’époque, lorsque nous étions au lycée, les seules musiques qui passaient le midi à la sandwicherie étaient celles des Beatles et de Gerry & the Pacemakers. Au Cavern Pub, c’était la folie lorsqu’ils allaient se produire. Si l’on demande aux gens leurs groupes préférés de l’époque, c’était d’abord les Beatles puis Gerry & the Pacemakers. Ils faisaient partie de la vie des habitants. Les deux groupes se partageaient la scène. Quand la carrière des Beatles a décollé, Gerry & the Pacemakers faisaient leurs tournées avec eux, car ils avaient le même manager. Ils sont allés en Amérique, en Australie, en Nouvelle-Zélande, partout en Europe. Sur la planète entière, on a chanté You’ll Never Walk Alone.
Mais comment la chanson bascule des pubs pour s’inscrire dans la légende d’Anfield ?Le précédent speaker (George Sephton occupe ce job depuis 1971, N.D.L.R.) avait l’habitude de jouer le top 10 des chansons les plus vendues de l’époque. Quand You’ll Never Walk Alone est sortie, la chanson s’est directement classée au top des charts. Mon prédécesseur l’a jouée à Anfield, mais lorsque la chanson n’était plus dans le classement il a arrêté de la diffuser, ce qui était logique. Sauf que ça n’a pas plu aux supporters qui se sont plaints. Ils lui ont demandé de la rejouer encore et encore et encore… 58 ans plus tard, il serait impensable de ne plus la passer un jour de match. You’ll Never Walk Alone a changé Liverpool à jamais.
Donc elle fait partie intégrante du football, mais pas seulement…On ne parle pas seulement du club de Liverpool, mais de la vie de Liverpool d’une manière générale. Elle est jouée aux enterrements, aux mariages, pour toutes sortes d’occasions. Beaucoup de programmes télé l’utilisent également. J’ai participé à un documentaire allemand sur l’histoire de cette musique, et son histoire est aussi fascinante, elle vient de la comédie musicale Carousel datant de 1945. La comédie musicale vient elle-même d’une pièce de théâtre écrite 30 ou 40 ans auparavant, donc l’histoire de cette chanson remonte à très longtemps. Ça fait partie de ce que l’on est, de l’esprit de Liverpool, des habitants…
Elle a aussi accompagné les drames qui ont jalonné les années 1980, du Heysel à Hillsborough. La traduction française, « tu ne marcheras jamais seul » , dit tout du combat pour la vérité mené après Hillsborough…C’est devenu un étendard pour ne jamais oublier ces drames, pour continuer à se battre pour la vérité, pour accompagner ces familles qui ont beaucoup souffert. Cette chanson a aussi permis au club de renverser des montagnes. Ça peut paraître fou, mais ces paroles ont un impact considérable. Dans certaines circonstances, c’est presque du mystique. À Istanbul en 2005, lors de la finale de Ligue des champions où l’on perd 3 à 0 à la mi-temps, les supporters se sont mis à chanter You’ll Never Walk Alone. Le chant était si fort que depuis le vestiaire, les joueurs l’ont entendu. Lorsqu’ils sont revenus sur le terrain, ils ont mis toute leur énergie pour tout renverser. La suite, on la connaît. En 2019, après avoir battu Barcelone 4-0 (en demi-finales retour de C1, N.D.L.R.), j’ai lancé la chanson juste après la rencontre, ce que je ne fais jamais habituellement. Mais là, c’était spécial. Autour de Jürgen Klopp, tous les joueurs se sont alignés devant le Kop pour chanter. Le temps était suspendu.
Peut-on parler de sacrilège si vous oubliez de la jouer à Anfield ?Et pourtant ça m’est arrivé, il y a environ 30 ans ! J’avais toujours trois copies en CD, avant en vinyle, de la version de Gerry. Ce jour-là, en arrivant à Anfield, je m’installe tout en haut du stade et en ouvrant ma valise, je me rends compte que j’ai oublié les CD. J’ai eu une peur incroyable. Les supporters ont cru qu’il y avait un problème. Heureusement maintenant, tout est en ligne. Mais je viens quand même avec deux versions en CD et deux sur clé USB. Il faut limiter les risques au maximum. (Rires.) Il y a quelques années, le lecteur CD s’est arrêté pendant la musique. Les supporters ont pensé que je l’avais fait intentionnellement, car la foule a continué à chanter. Normalement, je n’arrête pas la chanson, je ne la stoppe pas. C’était un accident, ce n’était pas prévu, mais personne ne m’en a voulu. Si je ne la joue pas un jour, il y aura une émeute ! À cause de la pandémie, lorsque l’on recevra Manchester United dans deux semaines, cela sera étrange de ne pas avoir 54 000 supporters chantant. L’hommage à Gerry sera particulier.
D’autant qu’il est resté attaché au club jusqu’au bout…J’ai rencontré Gerry pour la première fois au début des années 2000. On m’avait demandé d’aller en Norvège en tournée avec l’équipe de légende de Liverpool. On a passé une semaine ensemble. C’était une de mes idoles lorsque j’étais jeune, c’était étrange, irréel, d’être là avec lui, dans le même hôtel, de prendre mon petit déjeuner avec lui, alors qu’habituellement je le présentais au début des matchs. Il a chanté avant le match, et les Norvégiens ont adoré cette chanson. Après la rencontre, ça s’est terminé en concert en centre-ville. Il souriait tout le temps, il illuminait la pièce quand il entrait. Même durant ses dernières années où sa santé n’était vraiment pas bonne, il montait encore sur scène, car c’est ce qui le rendait heureux. Il se sentait vivant en étant sur scène à chanter pour les gens. Il a arrêté de chanter il y a deux ans, mais il est venu à Anfield pour son dernier grand concert. Tout le public a chanté You’ll Never Walk Alone, c’était un moment fantastique. Dans 50 ans, sa chanson sera toujours diffusée à Anfield, c’est une évidence. Personne ne l’oubliera.
Propos recueillis par Florent Caffery