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Yepes, l’amour dure 40 ans

Par Paul Bemer, avec Ronan Boscher
9 minutes
Yepes, l’amour dure 40 ans

Encore avec son lacet dans les cheveux, et toujours en taclant. Encore avec son brassard au biceps, et toujours aussi beau. Voilà maintenant quarante printemps que Mario Yepes chante l'amour et la violence. Et c'est dans ces moments-là qu’on se rend compte que toutes les bonnes choses ne devraient jamais avoir de fin. Portrait du plus français des latin lovers, fraîchement retraité.

Mario Yepes a passé sa carrière à défier les cotes. Quand l’adage raconte qu’un bon défenseur reste debout, Super Mario est souvent fourré au sol, car maître du tacle glissé. Lui qui ne correspondait pas aux canons techniques du FC Nantes en est pourtant ressorti comme l’un des trois meilleurs défenseurs centraux que le club ligérien ait connu, avant de devenir, un temps, le plus gros salaire de Ligue 1, en signant au PSG pour 250 000 euros mensuels. Et ensuite de donner à sa carrière ce que tout footballeur sud-américain recherche : des années de Calcio. Après avoir passé la barre des quarante printemps le 13 janvier dernier, le Christ colombien a annoncé la fin du game dans une interview pour Olé doublée d’une conférence de presse dans son fief de Cali, il y a une semaine tout pile : « C’est un jour très important pour ma carrière, j’annonce mon retrait du football et j’ai organisé cette conférence de presse pour tous vous remercier. Je remercie Dieu pour cette carrière complète. Je remercie aussi ma famille, mes dirigeants, les entraîneurs des équipes où j’ai joué, parce que chacun d’eux m’a donné des enseignements pour ma vie. Je dis également merci à la sélection colombienne, aux Colombiens en général, car je me suis toujours senti soutenu, et c’est très émouvant de dire au revoir à tout ce que j’ai fait pendant vingt ans. J’ai dit que mon plan était de terminer en Colombie sous les couleurs du Deportivo Cali, malheureusement ça n’a pas été possible. Ce n’est pas à cause de moi que ça ne s’est pas fait, et c’est aussi pour ça que je tiens cette conférence de presse ici à Cali… » Là où tout a commencé.

Coup de foudre

Yepes a su provoquer la chance. Fin 2001, Robert Budzynski, directeur sportif du FC Nantes, part en Argentine pour superviser un avant-centre « dont je tairai le nom, mais il a signé au Real Madrid ensuite » , dixit le Bud. Et finalement, Mario tape dans l’œil de l’expert nantais. « D’un côté, il nous filait un peu la trouille tellement il paraissait moqueur dans ses courses avant de tacler, mais en même temps, il était tellement nickel. L’arbitre ne sifflait pratiquement jamais. Pffff… Je le trouvais superbe. En fait, Mario, c’était une question d’opportunités vu qu’on n’était pas là, a priori, pour lui. » Le Cafetero est ultra-respecté à River. Son meilleur pote de l’époque nantaise, l’Argentin Mauro Cetto, confirme : « Il a marqué les esprits. Il a joué plus de deux ans à un excellent niveau et a été champion d’Argentine. » Renseigné sur l’intérêt canari, Yepes s’informe sur sa future partenaire et appelle de suite les anciens de son continent passés par Nantes. « Lentement mais sûrement, avec les Argentins passés au club, Nantes avait sa petite notoriété en Amérique du Sud » , détaille Budzynski. Mario monte alors dans un avion, au départ de Buenos Aires, assis à côté de Mauro Cetto, fraîchement champion du monde des U20 avec l’Argentine et lui aussi recruté par le FC Nantes.

Les débuts sont compliqués. Déjà, le FCN n’est pas au top. Champion de France sortant, les Canaris ont viré Denoueix pour poser Ángel Marcos sur le banc. Ensuite, Mario n’est pas le plus à l’aise techniquement. « Franchement, on était un peu sceptiques au début quand on le voyait à l’entraînement, avoue Olivier Quint. On le chambrait un peu avec Da Roch’ quand on faisait des concours de transversales. » Mauro Cetto, son compagnon de galère nantaise – « On prenait la voiture et on se perdait complètement dans Nantes et ses alentours, alors qu’on avait un GPS, mais on n’y comprenait vraiment rien » – abonde dans le sens de l’ancienne patte gauche de Sedan : « Il s’entraînait doucement, sans jamais forcer. Mais il était toujours prêt le jour du match. Niveau intensité, c’était le jour et la nuit entre les matchs et les entraînements. À l’entraînement, il ne taclait jamais. En revanche, lors des matchs, il adorait ça, et le public aussi. »

‘Nard Mendy : « Je l’ai toujours appelé « Caliente » »

Difficile de croire, après coup, que Mario ne correspondait pourtant pas vraiment au profil défensif recherché à l’époque par les scouts nantais. Budzynski encore : « On avait parlé de son recrutement avec tous les coachs au club. Le staff technique a d’abord sous-pesé ce que son profil sous-entendait en matière d’efficacité et d’apport dans l’équipe. » En charmeur accompli, Mario sait qu’il doit sortir son plus bel atout pour séduire. « Moi qui ai beaucoup aimé le tacle quand je jouais défenseur, j’essayais quand même de l’utiliser en dernier recours, de plutôt bien me placer. Mais lui, c’était quelque chose d’extraordinaire. On ne pouvait pratiquement jamais siffler faute contre lui. C’était un tacleur propre. Certains font mal. Lui non, il anticipait toujours la course du ballon pour tacler. Aucun attaquant ne s’est plaint d’un tacle appuyé de Mario. C’était pur, magnifique. Dans le choix qu’il avait d’être efficace, c’est sur le tacle qu’il s’appuyait. Il donnait l’impression de démarrer tardivement, mais il avait un très bon jugement des courses et il giclait au moment parfait. C’était vraiment remarquable » , en frissonne encore le Bud. Un Sud-Américain sait comment conclure.

L’idylle devient chaque jour un peu plus sérieuse et pousse parfois le FC Nantes à la fantaisie. Pour les yeux du beau Mario, le 4-3-3 d’Arribas et Suaudeau se laisse même tenter par une défense à trois. Là aussi, Robert Budzynski croit savoir pourquoi : « Les coachs, fondamentalement, souhaitaient jouer d’une certaine manière, celle de José Arribas. Mais il est évident que quand vous possédez un élément comme lui, c’était super intéressant de pouvoir faire grimper le joueur à côté de lui pour apporter un supplément de joueurs au milieu du terrain, où on était parfois en difficulté. Avec lui, on pouvait le faire tranquillement dans la mesure où Mario neutralisait à 90% les attaquants adverses. » Sans doute la preuve d’amour que le ténébreux attendait puisque, dès lors, galvanisé, le Colombien s’impose comme le patron du couple partout où son cœur s’attarde. « C’était un vrai capitaine, le genre sur qui tu peux compter pour aller à la guerre. Il parlait tout le temps pour replacer les gens. Il nous parlait de concentration, rappelait notre rôle à chacun, disait tout le temps qu’il fallait faire les efforts pour les autres et ne pas penser qu’à soi. C’était un mec très collectif, se souvient Bernard Mendy, son coéquipier et voisin pendant son passage dans la capitale. Dans le privé, il est plus réservé, mais sur le terrain, il ne lâche rien, il gueule sur tout le monde. Dès qu’il y avait une faute, il courait vers l’arbitre pour lui gueuler : « Mé kes tu fé là, mé kes tu fé ! » Perso, je l’ai toujours appelé « Caliente », parce qu’il a le sang chaud et qu’il est toujours là quand y a embrouille. »

Langues, tartes et transversales

L’accent hispanique, voilà l’autre arme de Mario. Et même si Bernard le raille encore – « Franchement, il était parfois difficile à comprendre. Quand il m’envoie des textos… Laisse tomber, impossible à déchiffrer ! » -, que Mauro confesse les quelques difficultés engendrées – « À Paris, j’imagine qu’il réunissait les joueurs, mais à Nantes, non. Il n’était pas encore assez à l’aise avec la langue. Il a fallu attendre sa meilleure saison, la 2003-2004, pour qu’il soit complètement à l’aise et qu’il s’impose comme un véritable leader du club » – le beau brun fait rapidement tourner d’autres têtes. Le Parc cherche un nouveau prince et, moyennant dix millions d’euros, l’amant de la Beaujoire accepte finalement de quitter la Loire pour la Seine. Fidèle à sa réputation, Yepes marque d’entrée son territoire. « Le tacle, la grinta, c’est un truc de Sud-Américains, Heinze et Sorín aussi étaient pareils. En match, putain, ils te mettaient des tartes, ils couraient partout et défendaient comme des chiens !, raconte Mendy, avec qui il développe une vraie complicité. Ce que j’aimais bien avec lui, c’est que dès que je prenais mon couloir, il m’envoyait de longues transversales dans la course. Je lui disais tout le temps : « Mario, dès que tu me vois partir, paye ta transversale côté droit ! » C’était notre petite astuce. »

Un homme de partage, donc. Un homme de barbecue, aussi. Mario le sniper aime l’odeur du sang, sait reconnaître une bonne viande et, ça tombe bien, possède un jardin assez vaste pour inviter toute l’équipe. Des réunions de famille élargie durant lesquelles ce fruit de l’union d’une agent immobilière et d’un prof de maths de l’université de Cali, qui se définit lui-même comme un gauchiste, parle volontiers de son pays, de ses origines, et bien sûr de politique pour faire vivre le groupe. « On est encore en contact aujourd’hui. C’est quelqu’un de très simple, très famille. Il est hyper humain avec un très grand cœur » , conclut Bernardinho, avec pour preuve cette croisière organisée par le Milan AC dans laquelle il a fait croquer le couple Mendy. « C’était mortel ! On a rencontré Seedorf, que je connaissais déjà un peu sur les terrains. On a pris des photos ensemble, joué au casino ensemble, et même fait du sport avec le préparateur physique du Milan. C’était un vrai kif, narre Nanard. En plus, c’était à l’époque où Taïwo allait signer au Milan et, du coup, tous les supporters sur le bateau me prenaient pour lui. J’ai même signé quelques autographes… Mario, c’est un mec qui n’oublie pas, un gars fidèle. » Avec un sens aigu de l’organisation. Sous son impulsion, la Coupe de France 2006 et celle de la Ligue 2008 sont toutes deux célébrées au Barrio Latino, cette oasis sud-américaine située dans le quartier Bastille, à Paris. Son « chez-lui » , comme l’avouent ses potes.

« T’as Escobar, Shakira et Mario »

Oui, Mario aime danser sur des rythmes langoureux. Principalement avec sa femme Carolina, avec qui il forme un couple magnifique, tout en classe et en cheveux soyeux. « Sa grande passion, c’étaient ses cheveux ! Il mettait énormément de temps à les préparer, balance Mendy. Il se regardait dans le miroir pour voir si tout était bien en place. C’est un peu le Emmanuel Petit colombien. Et puis c’est quand même lui qui porte le mieux l’élastique à cheveux… » Une première piste solide pour expliquer la suite de sa carrière au pays en forme de botte, que Mauro Cetto tient absolument à compléter : « Ici en Amérique du Sud, notre génération a

grandi avec le rêve d’aller jouer dans le Calcio. Pour nous, c’est une étape presque imposée. » Un palier que le totem de Cali a choisi de franchir l’année de son trente-deuxième anniversaire, remportant ainsi le pari de sa vie : s’offrir une seconde carrière plus belle que la première. « Il doit faire partie des dix personnalités les plus influentes en Colombie à l’heure actuelle. T’as Pablo Escobar, Valderrama, Falcao, Rodríguez, Shakira et t’as Mario… » Avec ses os usés et sa crinière grisonnante, Yepes n’a pas attendu qu’un jeune premier vienne mettre fin à son règne. Mais une action lui a peut-être mis la puce à l’oreille. Le 6 septembre dernier, outre sa verve habituelle, Mario dégaine un tacle pour une fois pas très propre, contre Boca en championnat argentin, sur le genou du petit Palacios, sanctionné d’un carton jaune seulement. Même si San Lorenzo semble entré dans son cœur – « J’ai même acheté des mètres carrés pour le retour de San Lorenzo dans son stade à Boedo » , dit-il dans Olé – Super Mario a préféré dire stop avant qu’on ne le lui ordonne. Délesté désormais de son lacet dans les cheveux et des tacles purs dans ses pieds, le moment choisi par Mario était à l’évidence parfait.

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Dans cet article :

Par Paul Bemer, avec Ronan Boscher

Tous propos recueillis par PB, RB et Mauro Cetto par Léo Ruiz

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