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Wilson Isidor : « J’ai plus appris des mecs de Laval que de Falcao »
La carrière de Wilson Isidor a pris un nouveau tournant cet hiver. L'attaquant de 21 ans a fait le choix de s'exiler en Russie, au Lokomotiv Moscou, où il a lancé son aventure sur les chapeaux de roue, sans jamais avoir pensé à partir à cause du conflit en Ukraine et en espérant taper dans l'œil de certains clubs européens. « Je kiffe parler, si tu veux qu'on discute toute la nuit, c'est parti » prévient l'ancien Monégasque qui, s'il a savouré chaque instant aux côtés de Radamel Falcao et Thierry Henry, est aussi très reconnaissant à l'égard des briscards de Laval et Bastia-Borgo, qui ont été décisifs dans sa construction en tant qu'homme. Entretien avec un grand bavard qui n'élude ni le déchirement avec le Stade rennais, ni son amour pour Jovetić.
Tu as réalisé un départ canon avec le Lokomotiv Moscou en marquant au moins une fois lors de chacun de tes six premiers matchs (7 buts, 1 passe décisive). Comment expliques-tu cette adaptation express pour ta première aventure à l’étranger ? C’est une question de confiance. Si je ne suis pas bien dans ma tête, je sais que je ne vais pas être bon du tout. Au Loko, j’ai immédiatement senti la confiance du coach, des supporters et de mon équipe. On s’occupe très bien de moi, même si la belle série s’est arrêtée, mais j’espère bien la reprendre et continuer sur ma lancée.
Qu’est-ce que tu répondrais à ceux qui seraient tentés de dire que c’est plus simple de performer dans le championnat russe ? Facile ? Venez jouer contre des équipes comme le Zénith, le Loko, le Spartak et vous verrez bien. Puis, au niveau du foot, ça joue. On a affronté Rostov qui est entraîné par Karpin, le sélectionneur de l’équipe nationale, ça joue, ça fait du tiki-taka, c’est beau. On a perdu 4-1, on ne pouvait rien faire. C’est sûr qu’il n’y a pas un club atteignant le niveau du PSG ou du Barça, mais il doit y avoir cinq équipes de Ligue 1 qui peuvent faire podium en Russie, pas plus.
Comment ça se passe quand vous devez aller jouer à l’autre bout du pays ? Certains déplacements doivent être très longs, non ? Si je te disais comment on a été à Krasnodar, tu ne me croirais pas. On est parti de Moscou le vendredi, on a mis 1h25 pour rejoindre Saint-Pétersbourg, puis on a pris l’avion pendant 5 heures pour aller dans une petite ville avant d’enchaîner par 6h30 de bus pour arriver à Krasnodar. Et après, il faut faire le retour ! Le mois dernier, on a pris le train pendant 16 heures pour aller à Rostov ! C’est comme ça pour les clubs proches de la frontière ukrainienne parce que les aéroports sont fermés là-bas. Wow, c’était long, on discutait avec Beka Beka, on écoutait de la musique, on regardait des séries, on jouait aux cartes, on dormait…
Comment se retrouve-t-on à signer au Lokomotiv Moscou ?Quand on me parle de leur intérêt pour moi, je dis : « Qu’est-ce que je vais aller faire là-bas ? Tu peux leur dire non, ça ne sert à rien, je n’irai pas. » Je n’ai pas pris le temps de les écouter. En vérité, je devais aller à Angers. Après notre venue avec Monaco en décembre, le président Saïd Chabane me fait même visiter les salons en me disant : « Regarde, c’est ici que tu vas jouer. » Dans ma tête, j’avais déjà signé au SCO. Puis, le directeur sportif (Laurent Boissier) a fait comprendre dans la presse que l’équipe n’avait pas spécialement besoin de moi. Ce n’est pas comme ça que tu attires un joueur. C’est là que je me suis dit que l’étranger pouvait être une option, et j’ai écouté le Lokomotiv. Ils m’ont vendu le projet d’un club allemand en Russie, le projet Rangnick. Ils m’ont aussi promis du temps de jeu. Ils savaient tout sur moi, les mecs. Au début, je pensais qu’ils se foutaient de ma gueule. On me racontait mes matchs avec le Bastia-Borgo, tu te rends compte ? J’ai compris qu’ils n’étaient pas venus à Monaco pour rien, ils me voulaient avec eux.
Est-ce qu’il y a de l’appréhension quand on comprend qu’on part jouer à des milliers de kilomètres, dans un pays que l’on ne connaît pas ?Forcément, ça me fait un peu peur, je me dis que si je me loupe en Russie, c’est foutu. Je n’ai donc pas d’autres solutions que de me concentrer sur le foot. Dans le vestiaire, j’ai trouvé Alexis Beka Beka, François Kamano ou Pablo de Bordeaux. Il y a aussi des membres du staff, dont l’adjoint Marvin Compper (aujourd’hui entraîneur principal, NDLR) et un kiné qui parlent français, ça aide. Puis, tout le monde pense que les Russes se moquent du foot, mais c’est hyper médiatisé ! Je ne pensais pas que c’était le sport numéro 1. Une chaîne de télé parle de foot H24, les gens te reconnaissent dans la rue, c’est cool.
Un mois après ton arrivée, Vladimir Poutine annonce l’intervention militaire de l’armée russe en Ukraine et marque le début d’une guerre qui dure encore aujourd’hui. Comment l’as-tu vécu ?Dans ma tête, je n’ai jamais pensé à partir. Je n’allais pas casser mon contrat, je n’ai rien à voir dans tout ça, je suis là pour faire du foot. On paye un peu les pots cassés avec les sanctions, alors qu’on n’a rien à voir avec tout ça, nous les footballeurs. J’ai rassuré mes parents, je leur ai expliqué que la vie restait normale à Moscou. En plus, je commençais à me sentir bien dans l’équipe. Certains ont eu peur, comme Pablo, mais c’est un père de famille, ça peut se comprendre. De mon côté, je suis un jeune qui découvre un pays, une culture. On verra comment la situation évolue, mais je suis très bien ici.
À quoi ressemble la vie à Moscou, justement ? C’est une ville magnifique, j’ai rarement vu ça. C’est géant. J’ai trouvé un appartement dans une belle tour avec une belle vue. J’ai aussi pu visiter des monuments, des musées. Quand je suis arrivé, il faisait un peu froid, mais on s’adapte vite, car il n’y a pas d’humidité. On s’est entraîné sous -10°C ou -11°C degrés, on ne le sentait pas vraiment. Les gens pensent que les Russes sont des surhumains, mais ce n’est pas un froid qui agresse.
Quelles ont été tes surprises culturelles en Russie ? En quoi ça change de ce que tu as pu connaître en France ? Les fans ne critiquent pas beaucoup, ils sont très gentils. À mon arrivée, des supporters m’ont offert des matriochkas (poupées russes), des petits jeunes m’ont donné des pâtes… Ça fait trop plaisir ces petits gestes. Et qu’est-ce qu’on bosse… En France, je pensais que je travaillais, mais ici c’est autre chose. On a un préparateur physique russe et un autre allemand, il y a une vraie rigueur. On arrive très tôt le matin, on a la pesée, les repas, la vidéo, les échauffements et des entraînements avec 100% d’intensité. J’ai aussi fait du spécifique après les séances pour travailler devant le but. Quand tu rentres chez toi, tu es fatigué.
Il paraît que tu n’avais jamais mis les pieds à l’étranger avant un match avec l’équipe de France U17 en Autriche. Tu t’en souviens ? Je viens d’une famille qui n’est pas riche. Quand je partais en vacances, c’était plutôt du côté d’Erquy, au Val André, à Lorient, à Vannes, en camping. Je n’avais jamais pris l’avion ni été à Paris. C’est le foot qui m’a fait découvrir tout ça. J’ai pu voir la tour Eiffel, Montparnasse… Pour l’Autriche, je flippais trop, c’était ma première fois en avion. On a aussi fait le Mondial en Inde, ce sont des souvenirs dingues. On était dans une ville très pauvre, à Guwahati, dans l’est, vers le Bangladesh. Quand on passait, les gens scrutaient le bus, les paysages étaient incroyables.
Quand as-tu compris que tu voulais devenir joueur de foot professionnel ? Je vivais dans un appartement au Rheu avec ma mère, je jouais tout le temps au foot, les voisins pétaient les plombs. Quand j’arrive au Stade rennais, je ne pense pas forcément à être pro, mais une fois que tu intègres le centre de formation, c’est le seul objectif. Ma première année ne se passe pas très bien. À l’école, ça ne va pas, je ne fais pas les bonnes choses. On était dix dans la classe, on venait tous de Rennes, on se connaissait très bien. On rendait fous les profs, j’étais tout le temps puni. Je ne foutais rien.
En 2018, tu as choisi de quitter Rennes pour signer ton premier contrat professionnel à Monaco. Pourquoi ? À Rennes, on ne m’a jamais mis en avant. Tu peux regarder les feuilles de match, j’étais toujours remplaçant. Ça ne se passait pas non plus très bien avec les coachs, ils ne diront jamais que j’étais un top joueur à ce moment-là. Le seul avec qui j’aurais pu faire de bonnes choses, c’est Julien Stéphan. Quand j’avais 16 ans, il m’avait pris deux fois avec la réserve, il se foutait de mon âge. Après mes performances avec la sélection en jeunes, Rennes a commencé à se dire qu’ils pourraient me faire signer pro, mais je n’ai pas senti une grande sincérité. Il n’y avait pas la garantie de s’entraîner avec les pros, et j’ai eu cette opportunité avec Monaco.
Avec le recul, estimes-tu aussi avoir des torts dans cette histoire ? (Il réfléchit.) Je ne sais pas trop comment l’expliquer. Oui, j’en ai eu parce que j’ai réagi comme un jeune avec de la frustration. En tout cas, je ne regrette pas d’être parti de Rennes, c’est ce qu’il me fallait pour grandir.
Mais il n’y a pas le regret de ne pas devenir professionnel avec le club de ta ville natale ? Bien sûr que c’était un de mes rêves ! C’était aussi celui de ma mère, de me voir jouer dans ce stade, pas loin de chez elle. Maintenant, ça ne veut pas dire que les gens veulent ma peau à Rennes.
Les supporters ont pourtant réagi avec une banderole pour Sofiane Diop et toi au Roazhon Park ou avec des messages sur les réseaux sociaux. Qu’est-ce que ça provoque chez toi ? Pour l’histoire de la banderole, on était des gamins de 17 ans… Sinon, ça me fait rire tous les messages sur les réseaux, ça me donne de la force. Ce n’est pas moi qui regarde parce que je suis tellement con que je pourrais répondre. Quand j’ai signé au Loko, certains disaient « bravo pour ta carrière » en se moquant. Et alors ? Ils ne sont pas contents que mon parcours ne soit pas le même que celui de Sofiane (Diop) ?
« #Diop #Isidor vous ne méritez pas ce maillot » affiche le @RCK1991 sur une banderole. #SRFCTFC pic.twitter.com/hosN7Rmd16
— Benjamin Idrac (@bidrac15) April 29, 2018
Quels souvenirs gardes-tu de tes premiers entraînements à Monaco où il y a des stars comme Falcao ?C’est fou, ce sont des joueurs que je prends à FIFA, normalement. Je le regardais mettre des triplés en Ligue Europa quand j’étais petit. Falcao ne parle pas beaucoup, mais il est très gentil. Un mec trop fort, c’était Stevan Jovetić. Oh lalala, qu’est-ce qu’il est fort ! C’est dommage qu’il ait eu des blessures. Le mec, c’est Ronaldinho, il sait tout faire. Il est trop fin, trop élégant, c’était le seul mec qui pouvait jouer avec une paire de Ronnie, à l’ancienne avec la languette. Wissam (Ben Yedder) m’a aussi beaucoup aidé cette saison quand il a vu que je commençais à être dans le dur. Il m’a rassuré, il m’a encouragé, il m’a un peu pris sous son aile.
Tu as passé deux saisons en National, à Laval et Bastia-Borgo. Qu’as-tu appris de ces deux expériences ? J’ai appris à être un homme, déjà. J’ai appris le métier, en fait. J’ai joué avec des gens qui se battaient pour des primes de 150 ou 200 euros quand, à mon retour à Monaco, c’étaient des primes énormes. Ce n’est pas du tout le même monde. Le National, ça m’a fait trop de bien. Quand je sors de ma saison à Monaco et de l’Euro U19, je me dis : « Vas-y, le National, c’est tout claqué, ça va être trop facile. » Je suis arrivé dans le vestiaire à Laval, des pères de famille m’ont mis des claques direct. Ils m’ont mis cher. C’est là que j’ai compris que j’étais trop bête. Pendant le confinement, je me suis remis en question, j’ai bossé comme un malade. Et je suis reparti avec le couteau entre les dents à Bastia-Borgo.
Est-ce qu’on apprend plus aux côtés de joueurs du National qu’avec Radamel Falcao ? J’ai plus appris des mecs de Laval que de Falcao. (Il se marre.) Au début, avec Robert Maah, on se détestait. Il ne faisait que de m’engueuler, de me crier dessus. Il avait 34-35 ans, c’était comme un père. C’est devenu comme un tonton pour moi. Il me donnait des conseils à l’entraînement à la fin, on allait manger ensemble, alors qu’au début, c’était la guerre entre nous, on se disait à peine bonjour. Maah était sur mes côtes H24, et il y avait aussi des gars comme Robic ou Aliou Dembélé.
Est-ce qu’à un moment, tu as eu peur de ne pas rebondir ? Jamais, même si lorsque je joue en N3 à Laval, je me pose des questions. Qu’est-ce que je vais faire de ma vie si je n’y arrive pas ? Tu rencontres des mecs qui viennent d’encore plus bas, de R1. Je me demandais si je n’allais pas finir comme un banal joueur de National, c’est vite arrivé.
C’est Thierry Henry qui t’a lancé dans un match à Louis-II contre le PSG. Quel souvenir gardes-tu de ce moment ? Le scénario est fou. Chadli se blesse à la 12e, son remplaçant (Jordi Mboula) se blesse aussi et c’est à mon tour. Je ne me sens pas prêt, j’ai la boule au ventre. Quand j’entre, c’est comme dans un rêve : tu tournes la tête, tu vois Mbappé, de l’autre côté c’est Neymar et tu as Cavani devant toi. Un truc de fou. La boule au ventre finit par disparaître rapidement. C’est un des plus beaux souvenirs de ma vie.
Comment c’était d’être dirigé par Thierry Henry ? C’est mon idole ! Si je pouvais gratter un petit conseil à chaque fois… Il était très proche des jeunes. Je l’ai revu récemment avant le match contre Paris, on s’est serré dans les bras. Beaucoup de choses sont sorties dans la presse, mais je ne l’ai jamais vu insulter des joueurs. Il est exigeant, mais encore heureux, non ? T’es à Monaco, pas à Pontault-Combault, comme il dit.
Tu fêteras tes 22 ans en août. N’as-tu pas parfois envie de rappeler que tu es encore un jeune joueur à une époque où les débuts en pro s’effectuent de plus en plus tôt ? En fait, c’est Mbappé qui a tout déréglé. Une carrière de foot normale, ça ne commence pas par jouer des matchs de Ligue des champions à 17 ans et gagner la Coupe du monde à 19 ans. C’est un truc de malade, il est déjà prétendant au Ballon d’or, il a vraiment tout déréglé. C’est vrai qu’à Rennes, il y avait aussi l’exemple d’Ousmane (Dembélé). Mais personne n’avait son niveau, tout le monde savait qu’il jouait en pro parce qu’il était trop fort. Mon début de carrière est ce qu’il est. Si je n’avais pas connu toutes ces étapes, Laval, Bastia-Borgo, je n’en serais pas là aujourd’hui. Ça m’a aidé parce que j’ai été trop bête et j’ai besoin de prendre des coups, des claques. Je ne me dirai jamais que j’ai pris du retard. Je suis arrivé à Monaco à 17 ans, j’apprenais à faire des choses tout seul : des machines à laver, à manger, des courses. J’étais le petit prince à la maison chez ma mère, comme un fils unique, ça m’a fait du bien de prendre mon envol.
Propos recueillis par Clément Gavard