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Vladan Lukić : du FC Metz à l’armée serbe

Par Julien Emel
7 minutes
Vladan Lukić : du FC Metz à l’armée serbe

Quand Vladan Lukić annonce son départ sans sommation en 1999, c'est pour rejoindre l’armée serbe de Slobodan Milošević...

Qu’elle est dure, la gueule de bois du côté de Saint-Symphorien en cette saison 1998/99… Un titre perdu la saison précédente pour quelques buts au goal average et une tête de Guivarc’h sur la barre du RC Lens… Le FC Metz se présente en ce début de championnat privé de ce que l’on appelle généralement sa « colonne vertébrale » : l’Italie accueille Rigobert Song chez l’éphémère promu Salernitana, et Jocelyn Blanchard ne peut décemment pas dire non à une offre de la Juventus. Robert Pirès, quant à lui, appose sa signature en bas du contrat phocéen, et ne découvrira donc pas la Champions avec son club formateur.

Pas plus que les membres de l’effectif restés au port en tout cas, puisque Metz se fait sortir dès le tour préliminaire par les plus que modestes Finlandais d’Helsinki. La faute à une équipe trop remaniée, la flamme vacillante d’un groupe resté sur sa faim et surtout un recrutement à la ramasse : la presse locale annonce Luc Nilis, Tore André Flo, les frères Mpenza, le Mexicain Hernandez et même Dugarry, les supporters devront finalement faire avec David Régis, Sébastien Schemmel, Ludo Asuar et Franck Rizzetto. Le bad. Autant dire que le pauvre Joël Muller, qui rame depuis plusieurs mois avec son effectif, n’avait pas besoin de plus. Et pourtant, il n’est pas au bout de ses surprises…

Un enfant du pays

Un entraîneur confronté au départ soudain d’un cadre, ce n’est pas une première. Clash de vestiaire, problème de contrat, offre impossible à refuser ou plus souvent mésentente sur la fiche de paie, les motifs sont légion quand une saison part en cacahuète. Mais Vladan Lukić est très loin de toutes ces considérations, lorsque, le 30 mars 1999, il claque la porte du club lorrain. Non, quand Vladan Lukić annonce son départ sans sommation, c’est pour rejoindre… l’armée serbe de Slobodan Milošević.

L’histoire entre le numéro 9 et les Grenats avait démarré un an et demi plus tôt. Obligé encore une fois de recruter malin, la cellule messine tente un coup de poker en rapatriant le sulfureux Fred Meyrieu, exilé au FC Sion. Le 10 est trouvé, mais Metz reste faible devant, avec l’inconstant Bruno Rodríguez et le jeune Saha. Meyrieu apportera ses coups de patte magiques, sa grinta, son toucher de balle délicieux et une suggestion : son coéquipier Lukić. Élevé aux côté des « Brésiliens d’Europe » -Savićević, Mihajlović ou encore Prosinečki – qui forment la génération championne d’Europe de l’Étoile rouge de Belgrade, le prometteur Vladan apprend vite et bien. Trop jeune pour participer à la victoire de 1991, l’attaquant explose dès la saison suivante et atteint très vite les 100 buts, les titres et les premières sélections. Suffisant pour décrocher une place au soleil, du côté de l’Atlético de Madrid…

Mais la greffe se passe moins bien que pour ses glorieux aînés, et voilà Lukić prêté au bercail à deux reprises, avant d’être vendu en Suisse, donc, suite à une dernière tentative du côté de Marbella, sans grand succès. Le cœur, la tête et les tripes sont probablement restés au pays.

Nos supporters sont au front… Mon peuple meurt et verse son sang, comment pourrais-je jouer ?

Patriote, engagé, le Serbe avait déjà choisi de fêter le réveillon 92 sur le front en compagnie de Mihajlović et des soldats supporters de l’Étoile rouge, lorsque Croatie et Serbie se déchirent : « « Beaucoup de nos supporters de la tribune nord écrivent indubitablement les plus belles pages de l’histoire de la Serbie » , déclare-t-il alors… L’actuel Mister du Milan AC ajoute, prémonitoire : « Nos supporters sont au front… Mon peuple meurt et verse son sang, comment pourrais-je jouer ? Il m’est même venu à l’idée qu’il était inconvenant de jouer et de se réjouir au milieu de tant de drames. »

L’appel du drapeau

Pourtant, c’est bien lui, Vladan Lukić, qui va lancer la saison messine sous la forme d’un cachou rageur dans la lucarne de Gerland et d’une victoire à l’extérieur annonciatrice d’une des plus belles pages du club. 38 matchs d’un championnat promis à deux équipes inattendues plus tard, Lukić attaque sa seconde saison fort d’une cote de popularité sans faille dans les travées lorraines. Saison au cours de laquelle les trajectoires d’un joueur et d’un pays vont alors se croiser… Laborieux en D1, sortis en C1, les Messins se présentent affaiblis pour affronter la C3 dans laquelle ils sont rebasculés. Coquin, le destin place alors l’Étoile rouge de Belgrade sur le chemin de l’avant-centre.

Inefficace, frustré et probablement l’esprit ailleurs, Lukić attire les critiques, et, blessé, ne joue pas le match retour, remplacé par son compatriote Jestrović.

L´inconvénient est qu’à Metz, je n´ai toujours pas compris où je jouais. À droite, au centre, à gauche, ça change tout le temps.

S’ensuit une bataille de mots avec le président Molinari. Lukić : « Ce n´est pas un problème personnel si je ne marque pas. J´estime que je ne bénéficie pas d´assez d´occasions. L´inconvénient est qu´à Metz, je n´ai toujours pas compris où je jouais. À droite, au centre, à gauche, ça change tout le temps… » Reprise au vol du prez’ : « Le fait d´avoir une réaction individualiste et égoïste n´arrange pas les affaires du club ni les siennes. Désormais, Lukić s´est mis tout le monde à dos, le public comme ses partenaires. » Ambiance.

Un retour en D2 grecque

Si Lukić n’a jamais semblé aussi loin des préoccupations sportives, il faut probablement élargir le regard. Les huit années de tensions et d’affrontements qui déchirent l’ex-Yougoslavie atteignent à ce moment des sommets de violence, et les lignes de front se durcissent autant que les exactions éclatent au grand jour. Chacun prend position, et Vladan n’est pas des plus modérés. Janvier 1999, le massacre de Račak entraîne la mort de 45 Albanais du Kosovo. La police de Milošević est pointée du doigt, et l’OTAN, qui accuse les Serbes d’être plus globalement à l’origine de 2000 victimes civiles et 300 000 réfugiés kosovars, lance l’opération Allied Force en bombardant les positions de l’armée.

La Serbie est une victime. Personne ne changera nos frontières contre notre volonté.

Lukić se pointera dans la foulée dans le bureau de son président en ce 30 mars 1999 pour annoncer son départ immédiat pour son pays d’origine et sa volonté de combattre aux côtés des siens : « La Serbie est une victime. Personne ne changera nos frontières contre notre volonté. » Voilà donc l’histoire du footballeur pro devenu soldat réserviste. Pas directement engagé sur le front les armes à la main, le désormais ex-pro apporte son image et sa cote de popularité auprès des hommes. Il le dira lui-même : « Je suis resté dans ma région en soutien aux troupes et à la population. Je leur apportais à manger, je discutais avec eux, j’aidais à la livraison de matériel militaire ou médical. C’était plus une aide logistique et humanitaire. »

Ces quelques mois passés au cœur de cette guerre fratricide le changeront fatalement. À l’été 1999, alors que le volet kosovar semble tirer à son terme en même temps que la Macédoine s’enflamme, Lukić tentera bien de rechausser les crampons, du côté de la D2 grecque. On s’en doute, il est trop tard, rincé qu’il est : « Mon cœur n’y était plus, mes jambes ne comprenaient plus l’intérêt d’envoyer un ballon au fond d’un filet après ce que j’avais vécu. » Viscéralement impliqué, physiquement engagé, Vladan Lukić portera ensuite ses convictions en costume, dirigeant l’Étoile rouge chère à son cœur durant 3 ans et demi. Les supporters n’ont en effet jamais oublié celui qui, en 92, avait « rendu visite, à quatre reprises, dans sa Mazda 323, à ses camarades combattant à Erdut » selon le Sportsli Zurnal. Un homme chargé de hisser à nouveau dans le ciel un club en reconstruction, club qui flirte toujours avec son nationalisme exacerbé et assume la complexité de son histoire.

Ma carrière n’est pas grand-chose face à ce que représente pour moi l’idée que je me fais de mon pays.

Vladan Lukić semble y avoir trouvé sa place durant un temps, loin des armes, mais au plus près de ses convictions. L’échec de son projet de Ligue balkanique (rien à voir avec Patrick et Isabelle), ainsi que la pression de l’UEFA qui accuse son « laxisme » envers les ultras auront raison de son énergie et de sa présidence dont il s’efface. Sans regret : « Aujourd’hui, si tout était à refaire, je referais la même chose. Ma carrière n’est pas grand-chose face à ce que représente pour moi l’idée que je me fais de mon pays. »

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