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Vis ma vie de directeur sportif de Ligue 2 : Comment gérer une montée ?
Jusqu’au 1er septembre,, le mercato va rythmer la vie des clubs de l’Hexagone. Au-delà des rumeurs farfelues, des offres mirobolantes et des fantasmes de supporters, il y a une réalité, que des dirigeants de formations de Ligue 2 ont accepté de nous raconter tout au long de l’été. Ce vendredi, Jean-Philippe Nallet, directeur sportif du promu Annecy, explique comment bien gérer une montée.
L’ascenseur émotionnel
« Ce qui est super compliqué dans notre métier, c’est de passer d’une soirée exceptionnelle avec une montée et un match extraordinaire et, un jour et demi après, d’être déjà obligé de se projeter sur la saison prochaine. Tu reviens vite à la réalité des choses, notamment annoncer à des garçons que tu ne les conserves pas, parce que par respect tu dois leur dire vite, pour qu’ils puissent rebondir. Je ne vous cache pas que ce n’est pas la meilleure des choses, c’est le pire moment de l’année. Avec le coach, on doit maintenir tout le monde dans le projet jusqu’au dernier match, et ensuite prendre des décisions rapidement et surtout les annoncer. Tout se fait dans la précipitation. L’ascenseur émotionnel est incroyable. Dès le mardi qui suit la montée, tu commences les entretiens pour annoncer que l’aventure s’arrête là ou non. Des joueurs s’en doutent, d’autres gardent un espoir, et certains sont totalement surpris. Il y a toutes sortes de réactions. Ce qui est important, c’est dès le départ d’avoir une relation de proximité avec le joueur, de franchise. Le directeur sportif est là pour défendre les intérêts du club, ce qui n’empêche pas de rester humain, de tisser des liens avec les joueurs. Quand il faut annoncer les choses, il faut être le plus simple et franc possible, pour expliquer parfois l’inexplicable. C’est des garçons avec lesquels on vit toute une saison. On dort peu ces jours-là. Ça déborde sur notre vie privée, qui n’existe pas dans le football. C’est compliqué de séparer tout ça, parce qu’on a un métier passion qui déborde sur la vie familiale. »
Anticiper pour ne pas se noyer
« On anticipe divers scénarios, mais tu as beau dessiner des scénarios, tu n’as pas encore l’esprit serein parce que rien n’est jamais fait. Tu travailles sur la montée, mais tu te dis que tout peut s’écrouler. Il y a tellement d’enjeux, de pression. C’est difficile d’être lucide, parce qu’au fond de toi, il y a l’incertitude de savoir à quel niveau tu vas jouer. Ce n’est pas simple, et encore moins quand ça se joue à la dernière journée comme pour nous. Plus tu retardes l’échéance, plus c’est difficile. Après, il faut vite s’y mettre parce que la quantité de travail est colossale. La période de repos pour un directeur sportif, c’est quand le mercato est fini, quand le groupe est constitué, que le staff va reprendre dans de bonnes conditions. On fait des entretiens avec le staff, les joueurs. De la fin du championnat jusqu’à la fermeture du mercato, c’est la période la plus chargée pour un directeur sportif, surtout quand on joue une montée. Je vais couper en juillet quand le gros du travail sera fait. Ensuite, on affinera pour la reprise. »
Le changement de dimension
« Dans un premier temps, il y a toute la partie mise aux normes des infrastructures pour répondre au cahier des charges de la LFP. Ça, c’est plus le rayon du président et du directeur administratif. Nous, sur la partie purement sportive, on a un conseil stratégique qui nous donne un budget en lien avec la masse salariale. À partir de ce moment, on peut travailler. La montée a un impact, notamment sur des postes à créer au club, comme le stadium manager, un poste de sécurité, dans le staff médical et technique. Mais comme le club avait pas mal anticipé tout ça et visait le monde professionnel, l’évolution suit son cours. Le FC Annecy ne pensait pas retrouver le professionnalisme aussi vite, mais on s’y préparait. Il faut aussi passer la DNCG, ce qui est purement administratif, on regarde juste le budget et on émet des souhaits pour avoir une équipe compétitive. Ça s’est bien passé, même si comme tous les DS, on aimerait toujours avoir une plus grosse enveloppe. (Rires.) Il faut être cohérent, travailler dans la continuité avec un groupe renouvelé à 35-40%.
Le soir d’une montée, vous avez plein d’amis. C’est une réalité. On sent les sollicitations exploser aussi, parce qu’on devient professionnels, qu’on va être plus médiatisés. On s’y prépare. Le coach et moi, on a un passé de joueur, ça nous permet d’être vigilants, de garder la tête froide, de prendre de la hauteur sur ce qui va nous arriver. On n’est pas dupes. Si l’intérêt du club ne s’y retrouve pas, on ne prend pas la décision. Une montée, ce n’est pas plus simple à gérer qu’une descente, parce qu’il faut canaliser les ardeurs. Le succès peut aussi amener certaines frustrations pour des personnes qui voudraient plus de responsabilités. La réussite d’un club, c’est que chacun reste à sa place, respecte ses prérogatives. À partir du moment où l’on a compris cela, ça fonctionne bien. C’est une des clés de notre réussite. »
Propos recueillis par Adrien Hémard-Dohain
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