On parle d’un deuxième France-Brésil, mais que tu as joué ce coup-ci, au Parc des Princes en août 1992. Vous aviez gagné 2-0…
Oui, je m’en rappelle très bien, c’était un mach amical. Je jouais déjà en France depuis un an au Paris Saint-Germain. Tu sais, jouer contre la France, c’est différent des autres équipes. C’est spécial… Parce que la France et le Brésil, nous sommes deux équipes qui essayons de bien jouer au ballon. Moi, en tant que brésilien, j’aime bien notre rivalité contre l’Argentine. Mais ça va trop loin, parfois. Il y a parfois de la haine, donc du jeu dur, des méchants tacles et là, on ne joue pas au ballon. Pour moi, l’objectif du football, c’est de bien jouer au ballon, de faire du spectacle et nous, chaque fois qu’on joue contre la France, il y a toujours des bons matchs. En 1992, la France avait comme un petit avantage sur nous : elle nous avait battus aux Jeux olympiques de 1984 et au Mundial de 1986. Mais là, c’est nous qui l’avions battue…
Vous aviez fait une superbe démonstration. Votre latéral droit, Jorghino, nous avait fait très mal…
Mais il n’y avait pas de revanche, hein ! C’était amical, c’était la France. Mais c’est vrai qu’on était nettement supérieurs aux Français. Tu te rends compte de l’équipe qu’on avait ce soir-là ? Taffarel, Ricardo, Branco, Rai, Romário, Bebeto… La plupart seront champions du monde en 1994, sauf mon ami du PSG, Ricardo, qui devait la jouers mais qui s’est blessé juste avant ce Mondial US. Tu sais, en 92, on jouait ensemble depuis des années, pour certains. Et oui, Jorghino était fabuleux… Nos arrières droits l’ont souvent été : Carlos Alberto, Cafu, Leandro…
Il y avait beaucoup de supporters brésiliens au Parc ce soir-là, comme souvent à Paris…
Ah, mais toujours ! Toujours. Les Brésiliens sont fiers, ils sont là, qu’on soient bons ou moins bons par moments. Ils sont là, avec les drapeaux, partout dans le monde. À Paris, comme dans d’autres villes, il y a beaucoup de Brésiliens. C’est comme une petite colonie. En France, ils sont arrivés il y a plusieurs dizaines d’années. Parfois, ils se sont installés, ont fondé des familles ici… Quand une équipe brésilienne vient jouer ici ou si c’est un joueur brazileiro, ils accourent, ils chantent, ils encouragent !
En 1992, tu étais titulaire à part entière de la Seleção… Et tu jouais au Parc des Princes, le stade du PSG, ton club !
Le Parc, c’était « mon » stade : j’étais chez moi ! On était dans mon jardin. Je connaissais le terrain par cœur, tous les coins, tous les trous (rires). En plus, c’était drôle parce qu’il y avait des supporters de Paris qui étaient pour moi et pour Ricardo et en même temps ils acclamaient l’équipe de France ! Le Parc, c’est un stade magnifique, avec ses tribunes proches du terrain et le bruit que font les supporters. À Paris, en plus, on pratiquait du beau football avec Ginola, Le Guen, « Big George » Weah…
Et les orchestres musicaux dans les tribunes, c’est important dans la culture foot brésilienne. Tu sens leur présence une fois que tu es sur le terrain ? Cela vous motive ?
Oh, oui ! Bien sûr que tu les entends. Au Brésil, dès que tu es dans les vestiaires, tu les entends déjà, et du coup, tu es presque dans le match. Dans les années 80, au stade, les matchs de Flamengo, de Vasco de Gama, de Botafogo que j’ai joués deux ans, ça faisait un de ces boucans : les musiques, les percussions, les tambours, tout le monde chante, c’est la fête ! Extraordinaire. Les supporters au Brésil « jouent le jeu » , ils participent au match. C’est la même chose quand la Seleção joue à l’étranger, il y a toujours un petit orchestre de samba. C’est très important pour nous : on se sent vraiment chez nous. Au pays, en plus, les supporters, ça compte pour nous parce que le prix des places n’est pas donné, alors on ne peut pas les décevoir. Tu comprends, il faut qu’on gagne pour eux. Toujours.
Tu as retrouvé cette passion brésilienne du football à Paris ?
C’était différent du Brésil. Mais le public parisien s’y est mis petit à petit, quand il a vu que notre équipe jouait si bien. Au bout de trois saisons, il a commencé à s’enflammer : les beaux gestes, les petits ponts, les buts de « Big George » , le beau gosse David Ginola… Là, le public a explosé. Ils nous poussaient vraiment : « Ici, c’est Paris ! » , « Paris est magique ! » Moi, j’ai toujours respecté tous les supporters.
Tu as joué contre Marseille. C’était déjà la grosse rivalité… Or, il y avait un Brésilien en face, Carlos Mozer ! C’était pas évident, non ?
Mais Mozer, c’était « mon frère » ! On avait joué un an ensemble au Benfica. Avec Ricardo et Mozer, on s’appelait « bacana » entre nous, tellement on était proches. Bacana, ça veut dire un mec cool. On s’appelait souvent avec Mozer : « Allo, ça va bacana ? » Lui, le Marseillais, et moi, le Parisien, dingue ! Bon, ok, c’était très dur le contexte entre l’OM et le PSG. Mais, moi, je me tenais hors de cette guerre, je me concentrais sur mon métier et je ne faisais jamais de déclarations incendiaires. Tu sais, chez moi, le derby de Porto Alegre, Grêmio contre Internacional, c’était beaucoup plus dur sur le terrain et parmi les supporters, je te promets ! Jusqu’à 150 fautes pendant les matchs ! Là, c’est la guerre. Alors quand je suis arrivé en France, j’étais vacciné. Sans compter tout ce que j’ai vécu au Portugal entre le Benfica et Porto…
Au Grêmio, j’étais un exemple. Les mômes du club se mettaient même un bout de sparadrap sur le doigt, comme je le faisais pour cacher ma bague !
Tu étais avec Ricardo au PSG. Est-ce que vous êtes intervenus pour faire venir Raï à Paris ?
Oui. Bien sûr. Un jour, Michel Denisot, notre président, m’a dit : « Toi qui joues avec l’équipe du Brésil et qui fais des matchs un peu partout dans le monde, il faudrait qu’on te trouve un bon joueur qui soit ton remplaçant au cas où… » J’ai répondu : « Moi, j’ai un frère, un ami à moi : s’il vient ici, il va exploser la baraque. C’est Raï. Prenez-le, et après on verra. Et si c’est lui qui joue, eh bien c’est OK pour moi. » Ricardo m’a appuyé, et on dialoguait avec Raï au téléphone. Michel a fait le reste en négociant avec les dirigeants du São Paulo FC. Problème : Raï est arrivé en 1993 et il a mis plus d’un an à s’imposer. Imagine la situation ! Le coach Artur Jorge n’était pas trop content avec nous, Ricardo et moi (rires) !
Mais tu as pris des risques en faisant venir Raï ! C’est un gars qui jouait au même poste que toi en n° 10 !
Mais il fallait juste s’adapter ! Moi, j’étais habitué à jouer sur les côtés avec le Brésil. Après ce sont les risques du jeu… Raï était avant tout mon ami : et si c’est lui le plus fort, il joue ! Il n’y a pas de soucis ! Avec Ricardo, oui, on l’a aidé, heureusement pour lui et pour le PSG. Mais tu sais, Ricardo et moi, on n’était pas trop inquiets pour lui. On savait bien qu’il était très intelligent et fort dans sa tête. Il n’a pas cédé à la pression de la presse qui le fracassait sans arrêt : il connaissait très bien son potentiel. Il avait marqué tant de buts si importants. Et en plus, intellectuellement, il était top.
Tu as conscience que Valdo, Ricardo et Raï ont changé le regard des Français sur les footballeurs brésiliens ? Parce qu’avant, en France, on trouvait les footballeurs brésiliens pas sérieux, pas très professionnels, plutôt fêtards, etc.
Je pense, oui. Déjà, j’étais toujours très attentif sur moi-même. Au Grêmio, j’étais un exemple. Les mômes du club reproduisaient tout ce que je faisais dans la vie, y compris se mettre un bout de sparadrap sur le doigt, comme je le faisais pour cacher ma bague ! On était déjà des exemples, dès le Brésil. Il faut être très sérieux en tant que joueur. Il n’y a pas que le bon boulot sur le terrain. On me dit que nos bons exemples ont permis à d’autres joueurs brésiliens de pouvoir venir ensuite en France et à Paris, j’en ai conscience. Sûrement, oui. Et que dire de Mister Juninho à Lyon ! Un grand monsieur.
Il y a des équipes qui t’ont marqué en France ?
La meilleure équipe que j’ai vue bien jouer au ballon, en face, après la nôtre, c’était Nantes… N’Doram ! Quel joueur. Et Karembeu, Makelele, Pedros, Ouédec : des sacrés morceaux ! Les Canaris, ah oui !… Ils avaient quelque chose de brésilien, sans problème : on en a pris cinq là-bas, l’année où ils sont champions (en fait, Nantes avait gagné 1-0 à la Beaujoire cette saison-là et offert une démonstration au Parc, 3-0, ndlr). Eux, ils jouaient au ballon, je te le garantis.
Pour vous, au Brésil, que représente le football français ?
C’est un foot qui a « l’art » … Au Brésil, tous les pays qui ont l’art, qui jouent bien au ballon, pour le spectacle, eh bien les Brésiliens aiment beaucoup. Même si on se fait parfois éliminer par vous, hein !… Les Français sont un peu comme nous. Il y a toujours eu de grands joueurs ici, de grands techniciens. Moi, je préfère être battu par une équipe qui joue au ballon, plutôt que par une équipe qui joue dur, qui tacle et puis c’est tout. En 1998, rien à dire : les Français étaient les plus forts, et c’est terminé. Ah, Zizou ! En 2006, contre nous, encore… Quel match, quel artiste ! Tu vois, c’est ça l’art !
Allez ! Un dernier mot sur le match mythique PSG-Real Madrid (4-1) en quarts de finale de Coupe de l’UEFA en mars 1993…
Ah, c’était extraordinaire. On avait perdu 3-1 là-bas et on sentait qu’on pouvait faire quelque chose au Parc, chez nous. Et on l’a fait…
Mais tu es impliqué sur les quatre buts, non ? Le premier, c’est sur ton corner pour la tête de Weah, après tu débutes l’action sur le mouvement qui amène le super but du 2-0 par Ginola et…
… et je marque le troisième. Ginola m’avait passé le ballon et je m’étais retrouvé dans les 16 mètres face à Rocha, je crois. Et là, dans ces moments-là, il faut rester maître de soi : j’ai feinté la frappe et j’ai mis Rocha dans le vent. Après je n’ai pas croisé, j’ai ouvert bien comme il faut face à Buyo sur le côté droit et elle est entrée. On menait 3-0 et on était qualifiés à la 89e ! C’était la folie dans le Parc. Mais Zamorano a marqué dans les arrêts de jeu. C’était pas fini puisqu’on a eu un coup franc indirect, je l’ai centré sur la tête d’Antoine (Kombouaré, ndlr) et il a sauté super haut et ça a fait but. C’est un très grand souvenir. Les gens me parlent encore souvent de ce match. Tu sais, là, c’était un match de Coupe d’Europe contre un club mythique. On avait marqué l’histoire du Paris Saint-Germain…
Lire la première partie de l’interview – Valdo : La presse a pardonné à Zico, pas à Júlio César
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