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Une Ligue 1 à 1,8 milliard dès 2028, est-ce que c’est possible ?
Alors que le football, l’année dernière, est passé à deux doigts de la faillite, Vincent Labrune, le président de la LFP, a voulu tout changer. Après avoir créé une société commerciale chargée de la commercialisation des droits, il annonce viser une très forte valorisation durant la décennie avec comme objectif 1,8 milliard en 2028. Mais est-ce vraiment possible ?
Dans une interview donnée au quotidien économique Les Échos, vendredi dernier, Vincent Labrune annonce les choses très clairement. Il veut redynamiser la compétitivité du football français et retrouver une valeur marchande comparable à celle des standards européens. Pour faire simple, il veut atteindre 1,8 milliard d’euros à partir de 2028 et retrouver un niveau équivalent aux championnats espagnol ou anglais. Ses arguments sont simples. Parce que la France est un pays économiquement puissant, à forte valeur commerciale et doté d’une forte densité démographique, il est persuadé que la Ligue 1 pourra atteindre une telle somme en moins de six ans. Ajoutez à cela la création récente d’une entité commerciale, dont une partie a été vendue au fonds d’investissement CVC Partners, chargée de la commercialisation et de l’exploitation des droits de diffusion et des droits commerciaux, Labrune estime que cela est parfaitement possible.
D’ailleurs, ce business plan a été validé par CVC, et tous les collaborateurs et les dirigeants de la ligue travaillent en ce sens. Il faut un rebond de plus de 157% en seulement deux cycles de commercialisation avec, à la fois, une amélioration des droits nationaux, détenus actuellement par Amazon et beIN Sports (qui revend en sous-licence à Canal+), et des droits internationaux, seulement évalués à 75 millions d’euros et détenus intégralement, jusqu’en 2024, par beIN Sports.
Mais cela est-il vraiment possible ? Pourquoi ce qui n’a pas marché en 2020 devrait fonctionner en 2028 ? Pourquoi le football français, qui a floppé à 1,2 milliard d’euros, devrait parfaitement fonctionner huit ans plus tard ? La LFP n’a-t-elle pas appris de ses erreurs, après la faillite de Téléfoot la Chaîne et le retrait de Mediapro ? N’a-t-elle pas une trop grand estime d’elle-même, à se comparer à la richissime Premier League ou à la prestigieuse Liga ?
On y croit vraiment, une Ligue 1 à 1,8 milliard ?
Pour tenter de répondre à ces questions, pesons le pour et le contre. Demandons-nous si la Ligue 1 française peut véritablement et objectivement être cédée à plus d’un milliard, alors que sportivement, elle n’est que le cinquième championnat européen et n’a qu’une seule Ligue des champions à son actif, avec le titre de Marseille en 1993.
Tout d’abord, rappelons qu’en 2017, alors que Didier Quillot dirigeait la LFP, le cabinet de conseil américain Boston Consulting Group avait estimé un prix pour la Ligue 1 compris entre 800 et 1,2 milliard d’euros, en prenant en compte les forces économiques, les résultats sportifs et le fonctionnement du marché. D’ailleurs, le député Cédric Roussel, instigateur avec le député Régis Juanico d’une enquête parlementaire sur les droits TV, avait reconnu qu’un prix supérieur à 1 milliard était parfaitement rationnel et réalisable.
En fait, il estime que ce qui a fauté, ce n’est pas la prétention du football français à se croire plus gros qu’il ne l’était, mais toutes les péripéties et les éléments conjoncturels qui ont jalonné la période 2018-2020. En deux ans, la France a connu le Covid, ce qui a ralenti le championnat, reporté des rencontres, imposé des huis clos peu vendeurs télévisuellement et fermé les bars. À ce sujet, le président de Mediapro, Jaume Roures, interrogé lors de l’enquête parlementaire, a estimé que cela aurait coûté jusqu’à 15% du chiffre d’affaires de Téléfoot. En fermant les bars, on bloque une partie des téléspectateurs non abonnés et on conduit à un arrêt spécifique des abonnements. Si, d’ici 2028, aucune pandémie ne survient et aucun confinement n’est imposé, les choses ne seront pas les mêmes et les ayants-droits pourraient s’y retrouver financièrement. Ce qui devrait conduire à une valorisation du prix, théoriquement.
Ce qui change : la fin du streaming et l’ère de l’OTT
De plus, en 2018, lorsque Mediapro avait acquis 80% des droits, Roures a affirmé que Quillot lui avait promis une loi anti-streaming, responsable d’une perte d’au moins 25% d’abonnés potentiels. Et effectivement, elle aurait dû être votée dès mars 2020, sous l’impulsion du ministre de la Culture de l’époque, Franck Riester. Un projet était même à l’ordre du jour à l’Assemblée avant que le Covid ne chamboule tout et ralentisse le calendrier parlementaire. La loi n’aura été votée qu’en octobre 2021, avec mise en application dès janvier 2022. Maintenant elle existe et devrait aider les ayants-droits.
Enfin, ce qui a pêché en 2020, c’est l’ingérence de Canal+, qui a refusé des accords de diffusion avec Mediapro. Téléfoot voulait en effet être disponible sur les box de la chaîne cryptée, réunissant plus de 8 millions d’abonnés, donc autant de nouveaux clients potentiels, sauf que cette dernière a toujours refusé de signer l’accord. Ce qui aurait pu accélérer l’échec de la chaîne espagnole. Mais à présent, les modes de consommation ont changé et tout le monde passe par l’OTT, Over-The-Top, un service par contournement sans la participation d’un opérateur de réseau traditionnel. Amazon en est d’ailleurs la parfaite illustration. Dans l’avenir, une chaîne pourra parfaitement s’installer au sein du paysage audiovisuel sans négocier en amont des accords de diffusion avec les opérateurs, il suffira simplement de passer par une connexion à internet, avec un ordinateur ou une télévision connectée.
Les droits TV, ce n’est pas une science exacte
Si on s’arrête à cette analyse, on devrait donc estimer que la barre fatidique du milliard ne serait pas prétentieuse et pourrait être atteinte facilement. Sauf que rien n’est moins sûr. Tout d’abord, le marché s’est largement resserré. Canal l’a réaffirmé, il ne veut plus diffuser du football français, qui ne marcherait pas. Bein devrait suivre, en étant conjointement lié avec la chaîne cryptée. Reste alors Amazon qui profite d’une situation de quasi-monopole en proposant un prix d’achat extrêmement faible. Quel serait son intérêt à ce qu’il augmente dans les années futures ?
Concernant les droits internationaux, ils sont certes dévalorisés aujourd’hui, à seulement 75 millions d’euros. Mais pourraient-ils seulement atteindre les 300 millions comme la Bundesliga ou la Serie A ? Voire les dépasser et atteindre les moyennes espagnoles ou anglaises ? Alors que les clubs français, malgré le PSG, ne brillent pas tellement à l’international ? Oui, dorénavant, une partie de la dotation des droits internationaux sera conditionnée aux performances en Coupe d’Europe, ce qui incitera les équipes à performer. Mais n’est-ce pas trop tard ? La France fait-elle vraiment partie du Big Five ou n’est-elle que la cinquième roue du Big Four ? On est en droit de se poser la question. Tout comme le fait de croire à 1,8 milliard en 2028.
Par Pierre Rondeau