- Un jour, un transfert
- Épisode 4
Un jour, un transfert : Florian Thauvin à Marseille
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Celui de Florian Thauvin à l'OM en 2013 coche toutes les cases. Tout juste arrivé au LOSC, avec qui il s'est engagé en janvier, le milieu offensif ne s'éternise pas et file à la marseillaise pendant l'été. Un transfert validé le dernier jour du mercato, non sans quelques remous.
« Convoité par plusieurs grands clubs européens, Florian Thauvin a choisi le projet lillois. Son profil de milieu de terrain offensif percutant s’intègre parfaitement dans la philosophie de jeu prônée par le LOSC. » Voilà comment Lille se targuait de son coup le 29 janvier 2013. Une affaire à 3,5 millions d’euros pour les Dogues, en recherche d’allant offensivement après le départ de leur maestro Eden Hazard. À l’époque, le milieu offensif brille sous le maillot bastiais. Dans la foulée de sa signature, il est d’ailleurs prêté au Sporting pour y finir la saison. Il retrouvera le Nord pendant l’été, mais jamais pour y jouer. Et le 2 septembre, peu après 22 heures, Thauvin deviendra marseillais. « C’était un dossier un peu difficile, tendu et surprenant, résume Frédéric Paquet, alors directeur général adjoint du LOSC. On n’imaginait pas que ça se passerait comme ça alors que tout était bouclé depuis le mois de janvier. »
Joyeux anniversaire à la légende du LOSC Florian Thauvin ! pic.twitter.com/liL9wb07M7
— Fédé ?? de la Lose (@FFLose) January 26, 2020
Étoile fuyante
Entretemps, Thauvin claque trois doublés en Ligue 1 – contre l’OL, Valenciennes et Brest – et colle un but au Vélodrome. En mai, il est élu meilleur espoir du championnat face à Rémy Cabella, Lucas Digne et Marco Verratti. En juillet, il devient champion du monde U20 avec Alphonse Areola et Paul Pogba en inscrivant les deux buts de la victoire contre le Ghana en demi-finales (2-1). Sa cote grimpe en flèche, alors le garçon demande une revalorisation à son retour à Lille. D’autant que selon le JDD, il est « vexé » de s’être fait chambrer sur son salaire (45 000 euros par mois) par son coéquipier en sélection, Yaya Sanogo.
« Au moment où on négocie avec Florian, c’est un jeune qui laisse promettre de belles choses, mais qui n’a rien prouvé, resitue Frédéric Paquet. Pour lui, c’était la garantie d’un contrat dans une équipe de premier plan. C’était un accord gagnant-gagnant et on ne peut pas le remettre en question toutes les trois minutes. Mais dans les discussions, on avait considéré le fait qu’il avait progressé parce qu’on avait rediscuté du salaire. » Sans qu’une position commune ne soit trouvée au retour du Mondial U20. Une aubaine pour l’OM.
« Avec le président Vincent Labrune, on souhaitait recruter des jeunes joueurs pour ce fameux « projet Dortmund », ce qu’on a fait avec Thauvin, Benjamin Mendy, Lemina, Imbula, Samba… Thauvin était parmi nos premières cibles. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé pour qu’il signe à Lille. On n’a pas été rapides, je ne sais pas… Mais la volonté de l’avoir a toujours été là », rejoue Élie Baup, alors coach des Olympiens. « J’avais discuté avec Vincent Labrune au mois de janvier, il m’avait dit qu’on avait fait un super coup, qu’il avait les boules de ne pas avoir pu le faire », abonde Frédéric Paquet. Et le président marseillais n’a pas abdiqué.
La grève de trop
Thauvin remet lui-même une pièce dans la machine début juillet en confiant ses regrets à France Football, alors que le LOSC a fini sixième du championnat et que Rudi Garcia a signé à la Roma : « Je voulais rejoindre une équipe qui jouait la Coupe d’Europe. Le discours de Rudi Garcia et le projet de Lille me plaisaient beaucoup. Alors j’ai signé. C’était au mois de janvier. Après, tout va très vite dans le foot. J’aurais dû attendre… Ça m’apprendra à signer trop tôt. »
Michel Seydoux monte immédiatement au créneau par le biais d’un communiqué. Le boss lillois déclare le joueur « intransférable » et n’y va pas de main morte à l’encontre de son homologue marseillais : « Les premières charges, souterraines ou médiatiques, de Vincent Labrune, pouvaient être mises sur le compte de la maladresse ou de l’inexpérience. L’acharnement dont il fait preuve aujourd’hui s’apparente davantage à de la bêtise et à un profond irrespect du LOSC. Les manœuvres désespérées du président de l’OM n’ont pour seule finalité que de déstabiliser un joueur, lui faisant croire que les contrats et les engagements ne signifient rien. »
Une claque en public, mais en coulisses, le fameux « Tonton Adil » , un boucher devenu conseiller du joueur, joue sa partition. « Il disait que c’était toujours possible, qu’il y avait une possibilité pour qu’il nous rejoigne. À partir de là, on a continué notre chemin, on n’a pas fait une croix sur l’idée », confie Baup. Le 26 août, Frédéric Paquet confirme une nouvelle offre de l’OM, estimée à 10 millions d’euros bonus compris. Refusée par les Dogues. Dès le lendemain, Flotov sèche l’entraînement. Bis repetita lors des trois jours suivants.
« C’est facile de présenter ça comme un bras de fer et d’essayer de ternir son image, mais le gars ne va pas s’engager là-dedans s’il sait qu’il n’y a aucune négociation et que rien n’est en train de se faire », commente Baup. « On comptait sur lui, assure Paquet. On essayait de mesurer chaque jour s’il y avait un point de retour possible. Jusqu’au moment où on s’est rendu compte que ce serait compliqué parce qu’il était en train de se mettre tout le monde à dos, aussi bien ses coéquipiers que son entraîneur. »
« Regardez Sophie Marceau ou Isabelle Adjani »
Le deal se conclut dans les dernières heures du mercato, Lille récupérant 12 millions dans l’affaire. Michel Seydoux s’en explique sur le site du club : « Rien ne laissait présager que le club marseillais allait faire grimper ses propositions de manière exponentielle et quelque part irrationnelle. Une dernière proposition, extrêmement importante, nous est parvenue. Une telle offre pour un joueur qui a tout à prouver ne peut raisonnablement se refuser. » Au passage, il distribue les beignes pour Thauvin et son conseiller, « sans scrupules ni valeurs, exclusivement préoccupés par des problématiques financières ».
Dans So Foot, Seydoux tente une comparaison cinématographique : « Lille aurait été un bon palier pour qu’il apprenne son métier. Regardez Sophie Marceau ou Isabelle Adjani, elles sont montées progressivement. » Sans faire de référence au cinoche, Frédéric Paquet abonde : « Même si l’OM est un grand club, il y avait une étape à passer. Dès le départ, on avait convenu avec Florian qu’on était un point de passage pour lui permettre de grandir. Malheureusement, certains représentants voient leur intérêt perso avant celui du joueur. On s’est vraiment battus pour trouver des solutions et lui permettre de rester dans de bonnes conditions. On discutait avec Florian, ça se passait bien. Il retrouvait son oncle à l’hôtel, et le lendemain, c’était pire. Les dés étaient pipés. »
Le milieu offensif a obtenu gain de cause, mais débarque sur la Canebière avec une image sacrément écornée. Pendant des semaines, il sera suivi par les sifflets des supporters adverses. Pour son retour à Lille, il sera même insulté et pris à partie dès l’aéroport. « Il est quand même touché, il doit encaisser beaucoup de trucs, se remémore Élie Baup. Ce qui est beau, c’est qu’il a renversé la tendance. Il a travaillé, il a progressé malgré tout ça. Pour un jeune joueur, il a été assez impressionnant par son caractère. » Le bonhomme a su se relever, jusqu’à disputer 281 matchs sous le maillot phocéen, ponctués de 86 buts et 54 passes décisives. Joli butin pour un mutin.
Par Quentin Ballue
Tous propos recueillis par QB sauf mentions.