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Ultra de l’OM : « Une fois en meute, nous sommes habités »
Julien* est supporter de l'OM. Même plus que ça, à son sens : il est un ultra de l'OM, et ce, depuis une quinzaine d'années. Une activité, une passion ou un mode de vie (c'est selon) qui a conduit ce trentenaire à rencontrer un monde uni par des liens sacrés, mais aussi, par ses dérives et ses risques, à être interdit de stade pendant un an. Et forcément, l'agression de Dimitri Payet au Groupama Stadium et la condamnation du supporter lyonnais a fait ressurgir quelques souvenirs et de quoi le faire réagir. Témoignage d'un ultra parmi d'autres.
Dimanche soir, les supporters marseillais n’étaient pas autorisés à se rendre à Lyon. Depuis ton salon, quelle était ta réaction au moment de l’incident qui a mené à l’arrêt du match au bout de quatre minutes ?Je vais te répondre sincèrement : je suis content que cela soit arrivé à Lyon. Nous, supporters de l’OM, nous sommes dénigrés en permanence. Pour la France du football, nous sommes des animaux, des sauvages, on fout le bordel, tout est démesuré quand on parle de l’OM et des agissements de ses supporters. En fin de compte, on se comporte peut-être mieux que certains supporters des autres clubs, et ça prouve que cette violence peut être présente dans les quatre coins de la France.
Lors du dernier OM-PSG, Neymar a aussi reçu des projectiles…En l’occurrence, je ne pense pas que ce soient des gars affiliés aux groupes de supporters qui commettent ce genre de choses. Moi, pour déstabiliser Neymar, je vais l’insulter de toutes mes forces, lui parler mal, le menacer, voire me défendre si on m’agresse comme le supporter qui s’est battu avec Évra. Je ne suis pas du genre à lancer des projectiles ou des briquets, je préfère insulter.
Donc pour toi, celui qui a balancé une bouteille sur Payet n’est pas un ultra ?Si, on peut le considérer comme un ultra, mais il ne doit pas être du noyau dur des Bad Gones. Ça doit être un gars qui vient de temps en temps et qui s’identifie comme tel. C’est un pitre, un mec lambda qui vient encourager son équipe sans plus. Mais il ne faut pas se leurrer, c’est l’effet de groupe qui l’a poussé à faire cet acte.
Peux-tu nous décrire cet effet de groupe ?Dans ces moments, on est des moutons, il y a des choses qu’on ne ferait pas seul, mais une fois en meute, nous sommes habités, voire possédés et nous nous sentons pousser des ailes. T’es là avec ton groupe, tu te retrouves prêt à faire des choses stupides, vraiment.
Tu as l’impression d’être une autre personne quand tu vas au stade avec ton groupe ?Totalement ! Ça me transcende, je me sens plus fort. Je sais que quoi qu’il arrive, mes frères du groupe sont prêts à me défendre et je ne me retrouverai jamais seul. On se définit comme une famille et non pas un simple groupe.
Qu’est-ce qui te plaît avant tout dans ce milieu ultra ?L’animation en tribune. Je ne suis jamais allé dans un stade sans que l’OM n’y joue. Je n’ai connu que des matchs de ce club, la ferveur, chanter malgré la défaite. Quoi qu’il arrive, nous serons présents pour le prochain match, nous chanterons jusqu’à la mort. À l’époque, quand j’étais plus jeune, tu me demandais de choisir entre l’OM et le taf, la priorité était l’OM. Aujourd’hui, si l’OM conserve une place importante dans ma vie, il y a des choses que je peux mettre en priorité comme les enfants ou le travail.
Que représente le mouvement ultra à tes yeux ?Ce qui fait de toi un ultra, selon moi, c’est de te sentir encore plus supporter de ton équipe après une défaite. Je soutiens davantage mon club dans la défaite que lorsque l’on gagne, c’est comme cela que je m’identifie. Certes, je suis content lorsque l’équipe triomphe, la semaine qui suit une victoire est toujours super, mais c’est surtout dans la défaite que l’on distingue qui sont les vrais supporters. Les mecs qui parlent de tactique, de transferts, de joueurs, qui disent que Sampaoli aurait dû faire entrer tel mec à telle minute ne le sont pas. Pour moi, c’est le club qui prime.
L’agresseur de Payet a écopé de six mois de prison avec sursis et de cinq ans d’interdiction de stade. Tu l’as été pendant un an. Ça s’est passé dans quelles circonstances ? Lors d’un déplacement à l’étranger, nous avons passé la journée dans la ville comme à chaque voyage. Il y a eu des affrontements avec les supporters du club local présents dans la ville, un peu de casse, mais rien de bien méchant. J’assume, j’étais de la partie, et je pense qu’on m’a repéré à cet instant. Puis, en arrivant aux abords du stade, il y a eu des échauffourées avec la police locale, chose qui arrive quasiment à chaque déplacement, c’est à cet instant précis que je me suis fait pincer. Je pense que j’ai payé pour le comportement des supporters durant toute la journée.
Et ton arrestation ?J’ai passé quasiment 24 heures de garde à vue dans des conditions abominables, sans voir le jour. On m’a fouillé, mis tout nu, je n’ai eu droit à aucune information. J’ai même dû me soulager dans ma propre cellule. Je suis passé en comparution immédiate, j’ai été défendu par un avocat que j’avais vu cinq minutes avant. Le but était de nous renvoyer rapidement vers la France.
Comment es-tu informé de ton interdiction de stade ?Un mois et demi après les faits, je reçois une convocation judiciaire, disant qu’à compter de ce jour, j’étais en interdiction administrative de stade. Cela m’ordonnait de me rendre au commissariat le plus proche de chez moi, lequel avait été notifié par le procureur de l’interdiction prononcée à mon encontre. À partir de là, je devais pointer à chaque match du club, peu importe la compétition et ce pendant un an.
Pour toi, c’était une première ?Oui, mais je savais pertinemment que ça pouvait arriver et comment ça allait se passer. Ce sont des choses qui se savent dans le milieu, quand tu discutes avec des gars à qui c’est déjà arrivé. En gros, si tu es un bon ultra, ta carrière doit afficher une IDS.
Dans ton quotidien et dans ta vie sociale, ça changeait quoi d’être interdit de stade ?C’était frustrant, je ne pouvais plus voir les copains de la section, retrouver mes frères les jours de match. Surtout que je me sens habité par l’OM : quand l’OM gagne, ma semaine se passe bien, mais quand ça perd, je me sens mal. Sachant que j’habite un peu loin de Marseille, faire le trajet, savoir qu’il y a le match, retrouver l’ambiance du stade, vivre l’avant-match, le fait d’être ensemble : tout ça me manquait. Il peut t’arriver des trucs de merde dans ta vie de tous les jours, retrouver tes amis, ça te met du baume au cœur. On ne demande que ça, se retrouver tous ensemble.
À quel point les confinements et les huis clos pour cause de Covid influencent cette saison le comportement des ultras ? On a été privés de stade bien trop longtemps, et les tensions se sont exacerbées. Les supporters sont revenus chauffés à blanc avec des comportements limites dans tous les stades de France. Et on en a encore eu la preuve dimanche : même le supporter lambda se sent pousser des ailes.
On a considéré l’agression envers Payet comme « un acte isolé »… Qu’en penses-tu ? Ce sont des foutaises. Il est lâché par les autres supporters. J’espère qu’il n’ira pas en prison et qu’il ne prendra que du sursis. C’est malheureux pour lui, il va devenir le bouc émissaire, servir d’exemple et payer pour tout ce qu’il s’est passé depuis le début de la saison. Honnêtement, j’en veux moins à ce mec-là, même si ce qu’il a fait est limite, qu’au supporter lyonnais faisant un salut nazi dans la tribune.
À quel moment a-t-on la sensation d’aider son équipe en visant un joueur adverse ?Jamais ! En faisant ces gestes, tu es conscient que tu vas pénaliser ton équipe, c’est certain. Après, le stade reste à nous, c’est une façon de marquer notre territoire.
Une mesure pourrait-elle dissuader les ultras de stopper ces actes violents, selon toi ?Non, les huis clos, on s’en tape complètement. En ce qui concerne les points – et ça, ce n’est que mon point de vue -, je m’en fous aussi.
On a l’impression que les discussions avec les dirigeants sont vaines puisque leurs intérêts et les vôtres ne sont pas les mêmes.C’est vrai. Dans une certaine mesure, ça fait chier de perdre des points et de, par exemple, rater la Ligue des champions ou quoi. Mais sincèrement, je suis prêt à craquer une cinquantaine de fumigènes au prochain match après le huis clos, quitte à reperdre des points. C’est comme cela que je vis ma passion et pas à travers les résultats. C’est la mentalité de l’ensemble des ultras.
Y a-t-il une limite que vous vous fixez ? Est-ce que ce qui s’est passé entre Lens et Lille, par exemple, a franchi un palier qu’il n’aurait pas fallu franchir.Moi, les mecs de Lens, quand ils montent sur le terrain, à ce moment je les respecte ! Je peux comprendre la vox populi qui s’émeut de ces multiples incidents et, à titre personnel, je pense m’assagir. Mais avec l’effet de groupe, la seule limite qui pourrait me faire basculer vers la raison serait de causer la mort de quelqu’un.
Le grand public ressort souvent l’exemple du père ou de la mère qui voudrait aller avec voir un match avec son enfant. Tu y penses ?Je n’y pense jamais. Aujourd’hui, je suis père, et si je dois aller au stade avec mon enfant, je prendrai place dans une tribune loin du bordel. Mais oui, je peux comprendre le souci. Certains doivent économiser pour aller au stade, faire pas mal de route, etc. Ça revient de plus en plus cher d’assister à un match et ça reste un investissement, même pour nous. Mais si le match devait être interrompu pour ce genre d’événement, je n’en ferais pas une montagne parce que je sais pertinemment que ce sont des choses qui peuvent arriver dans un stade.
Tu penses qu’il y a des choses à attendre des réunions entre les présidents de club, la ligue et le gouvernement ?Absolument pas, juste une répression plus sévère. Il faut être honnête : les dirigeants n’ont pas assez de courage pour trancher dans le vif. Si les sanctions étaient beaucoup plus poussées, avec des interdictions de stade de cinq ans ou plus, je peux te garantir que cela calmerait les ardeurs de certains. Mais il est nécessaire de rappeler que le football reste assez populaire en France et que les groupes de supporters peuvent être de puissants alliés politiquement. On le voit bien, notamment à Marseille, que certains politiciens peuvent brosser dans le sens du poil certains supporters pour faire basculer une élection. C’est pour cela que je pense que les décideurs n’ont pas le courage de taper du poing sur la table.
Propos recueillis par Mathieu Rollinger
* Le prénom a été modifié pour garantir l'anonymat de la personne.