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- Coupe de l'UEFA 1971-1972
Tottenham 1972, la classe européenne
Charpentés par le commandement et la science tactique de leur emblématique manager Bill Nicholson, les Spurs remportaient la première Coupe de l’UEFA de l’histoire en 1972. Le point culminant du premier âge d’or du club londonien, entamé au début des années 1960.
La saison 1971-1972 débute, et le football européen est sur le point de se réformer. L’archaïque Coupe des villes de foires, une compétition européenne qui voyait uniquement s’affronter les clubs issus de villes hôtes de foires internationales, est supprimée, et l’UEFA décide de la remplacer par une autre compétition, plus attrayante, plus moderne aussi, la Coupe de l’UEFA. Celle-ci voit alors se confronter les équipes les mieux classées des différents championnats européens, à l’exception des champions (qui participent, eux, à la Coupe d’Europe des clubs champions) et des vainqueurs de coupe nationale. C’est donc Tottenham, troisième du championnat anglais en 1971, qui fera partie des premiers représentants britanniques à concourir pour l’obtention de ce nouveau trophée.
Bill Nicholson, roi du « push and rush »
À l’époque, les Spurs, champions d’Angleterre en 1961, ont des airs d’outsiders : régulièrement classés dans le haut du tableau de la première division britannique, les Lilywhites sont craints et respectés grâce à leur entraîneur, le charismatique Bill Nicholson. Cet ancien joueur de Tottenham, qui entraîne le club depuis 1958, est tenant d’un style de jeu, le « push and rush », qui privilégie les passes courtes, le mouvement, les permutations et les courses offensives. De quoi trancher avec la tactique alors prisée par de nombreux clubs anglais, le « kick and rush », un style de jeu physique et direct, qui favorise le recours aux passes longues vers les joueurs offensifs. Le football pratiqué par Tottenham va immédiatement faire ses preuves sur le plan continental : les Spurs commencent leur campagne en Coupe UEFA en pulvérisant le club islandais du ÍBK Keflavík (6-1, 9-0).
La seconde manche de la compétition, face au FC Nantes, s’avérera sans surprise beaucoup plus épineuse. Troisièmes de Division 1 en 1971, les Nantais tiennent leur rang à La Beaujoire (0-0), alors que les Anglais ne parviennent pas à développer leur football habituel. Exaspéré par la pauvreté du jeu déployé par ses hommes ce soir-là, Nicholson s’engueule dans les vestiaires avec Martin Chivers, son attaquant phare, à qui il reproche son manque d’implication : « Je sais à quoi ressemble ce genre de matchs : je l’ai expérimenté quand j’étais joueur. Beaucoup d’entre vous ont mal joué ce soir, c’est ce que je dis. Certains de nos joueurs n’essayaient même pas, je vous le redis ! » La leçon sera retenue : au match retour, les Spurs dominent leur sujet et plument les Canaris, 1-0.
Perryman, l’homme qui terrassa Milan
Les deux tours suivants seront relativement plus simples : en huitièmes de finale, les Lilywhites écrasent le Rapid Bucarest (5-0 sur l’ensemble des deux matchs), puis domptent un autre club roumain, l’UTA Arad (2-0, 1-1) en quarts de finale de la compétition. Se profilent alors les demi-finales de l’épreuve et un gros morceau beaucoup moins facile à gober : l’AC Milan. Vainqueurs de la Coupe des clubs champions en 1969, les Italiens comptent plusieurs stars dans leurs rangs, parmi lesquels l’emblématique défenseur Angelo Anquilletti, leur buteur Pierino Prati et surtout leur numéro dix surdoué, Gianni Rivera, Ballon d’or 1969. Le match aller à White Hart Lane, spectaculaire de bout en bout, voit les Rossoneri ouvrir le score par Romeo Benetti. Mais Tottenham renverse la vapeur par son milieu de terrain Steve Perryman, qui signe un improbable doublé de deux tirs limpides (2-1).
C’est un autre joueur peu habitué à trouver le chemin des filets, le capitaine et milieu défensif Alan Mullery, qui ouvrira aussi le score lors du match retour à San Siro, d’une frappe pure, la plus belle de sa carrière selon lui : « J’ai bien marqué quelques beaux buts, mais je n’ai jamais retrouvé la puissance que j’ai produite cette nuit-là… Je n’avais jamais frappé une balle aussi bien, ni avec plus de résolution… C’était la perfection. » Milan égalisera par Rivera, sur penalty (1-1), mais voilà qui est bien insuffisant pour priver les Spurs de disputer la première finale de Coupe de l’UEFA de l’histoire.
Une finale so british
Une ultime confrontation disputée encore en match aller-retour, face à un autre club anglais, Wolverhampton. Ça tombe bien, les Wolves sont la victime préférée de l’attaquant des Spurs, Martin Chivers : « J’avais un très bon bilan quand je jouais chez eux, à Molineux. J’avais marqué lors des trois matchs précédents à l’extérieur, quand on les avait affrontés. C’était un de mes terrains de chasse favoris. » Fidèle à ses habitudes, le numéro 9 londonien plante deux pions, le premier de la tête, le second d’un puissant tir distant, et Tottenham remporte aux points la première manche, 2-1. « Et le retour, c’était chez nous, à la maison, reprend Chivers. On était très forts sur notre terrain, spécifiquement lors des matchs européens. Pour ces rencontres-là, l’atmosphère était différente, électrique… Avec la foule derrière nous, je pense qu’on jouait le football le plus excitant qu’on ait vu au club dans les années 1970. »
Malgré son avantage acquis à l’aller, Tottenham refuse de gérer son avance, attaque d’emblée et trouve la faille par Alan Mullery, d’un coup de tête astucieusement placé. Wolverhampton recollera bien au score (1-1), mais ne parviendra jamais à faire son retard et doit s’incliner 3-2 sur l’ensemble des deux matchs. Tottenham s’adjuge la Coupe de l’UEFA, son second trophée continental après la Coupe des coupes, que le club anglais avait remportée en 1963. Un triomphe en forme de fin d’ère pour les Londoniens, alors que Bill Nicholson quittera Tottenham seulement deux ans plus tard, en 1974, après avoir passé 16 ans à la tête du club. Sans lui, les Spurs vivront des heures sombres, descendant même en seconde division anglaise en 1977. Avant de renaître de leurs cendres de la plus belle des manières, en remportant une seconde Coupe UEFA, en 1984.
Par Adrien Candau
Tous propos issus du livre Bill Nicholson : Football’s Perfectionist, de Brian Scovell