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Torricelli : « On se parlait en patois milanais avec Trapattoni »
Pensionnaire de la grande Juve de Lippi mais aussi présent au sein de la dernière Fiorentina capable de prétendre au Scudetto, Moreno Torricelli est surtout ce menuisier passé directement du football amateur à la Serie A.
Pourquoi la menuiserie ?En voyant mon grand frère passer ses week-ends sur les livres (rires). Étudier ne me disait trop rien. Alors, après le collège, j’ai commencé à bosser. Je suis d’Erba, dans une région qu’on appelle la Brienza et qui est très connue pour l’industrie du meuble. Bon, je n’étais pas chez un artisan, c’était de la grande industrie avec des grosses machines. Je faisais mes huit heures par jour, parfois des heures sup’ car il y avait beaucoup de travail. Ça m’allait bien, c’était ma vie de mes 15 à 22 ans.
Parallèlement, vous jouez au foot dans les basses divisions.J’ai commencé à Oggiono où l’on peut trouver un des plus beaux terrains d’Italie, c’est d’ailleurs ici que l’Allemagne de l’Ouest championne du monde avait choisi de s’entraîner durant le Mondial 90. Ensuite, je suis allé à la Caratese en Serie D (cinquième niveau national, ndlr). Grâce à mes performances, j’ai fréquenté l’équipe d’Italie des amateurs durant plusieurs années, c’était déjà génial pour moi. Vu que j’avais des touches avec des clubs de Serie C2, je pensais peut-être faire une année en pro pour voir si j’avais le niveau, mais rien de plus.
Puis arrivent ces matchs amicaux disputés avec la Juventus…C’était à la fin de la saison 1991-92, beaucoup de Bianconeri étaient partis aux États-Unis avec la Squadra Azzurra pour y disputer un tournoi visant à promouvoir le foot avant la World Cup. Il fallait donc des joueurs pour les trois amicaux programmés. Le premier était contre la Pro Vercelli qui me voulait, et je dispute la rencontre avec la Juve. J’ai tellement plu à Trapattoni qu’il m’a demandé de rester. Avec lui, le feeling est passé de suite, il faut dire qu’on se parlait en patois milanais.
Et votre ancien boulot ?J’ai posé ma démission, mais mon patron l’a bien pris ! Vous imaginez, un mec d’un bled de 4000 habitants qui passe à la Juventus du jour au lendemain ? En revanche, j’ai dû changer de look pour aller signer mon contrat devant Boniperti…
Ce fameux look de rocker, cheveux longs et petite barbe…Dans mon village, mes meilleurs amis jouaient de la guitare, de la batterie et avaient formé un groupe, mais sans moi, car je n’ai jamais été doué en la matière. Je suis un grand fan d’heavy metal. Les Black Sabbath, précurseurs en la matière, restent mon groupe favori, car c’est un metal plus mélodieux.
Vous aviez l’immanquable clope aussi…Le Trap m’en a fait voir de toutes les couleurs ! La première saison, il a dû me faire faire au moins cinq radios des poumons. Lippi lui avait poussé une grosse gueulante un jour, il tenait à ce que les joueurs aient une image exemplaire, et il avait raison. Malgré toutes ces remontrances, je fume encore aujourd’hui.
Comment gère-t-on ce quadruple saut ?Il y avait déjà 5000 personnes lors de mes premiers entraînements à Turin ! Je pense qu’il faut une certaine inconscience. Je me suis toujours trouvé à l’aise sur le carré vert, peu importent les coéquipiers ou les adversaires, le langage du foot est le même. Je suis arrivé et j’ai délogé Carrera et De Marchi du poste d’arrière droit.
De 1992 à 1998, vous avez connu deux types de Juventus…Il y avait d’abord celle du duo Trapattoni-Boniperti, une gestion très familiale, puis l’arrivée de Moggi, Giraudo, Bettega correspondait à l’évolution naturelle du foot business.
Parmi les champions que vous avez côtoyés, vous citez souvent Vialli, pourquoi ?Gianluca était le vrai leader de cette Juve. Il a été un de ceux qui m’ont énormément aidé à mes débuts, sa grosse personnalité m’impressionnait. C’était un capitaine sur et en dehors du terrain, qui n’hésitait pas à être le porte-parole de ses coéquipiers auprès de la direction pour le moindre petit problème. Un des mecs fondamentaux dans la progression d’une équipe qui a tout gagné au milieu des années 90.
En 1996, vous faites également vos débuts en sélection…L’impact a été plus difficile, c’est un système totalement différent, le rapport avec l’entraîneur est moins intime, car on se voit quelques fois par an. Je me sentais plus à l’aise en club, mais cela ne m’a pas empêché de participer à l’Euro 96 et au Mondial 98. J’avais hérité des numéros 8 et 9, car à l’époque, et hormis de rares exceptions comme le 10 ou le 3 de Maldini, on les distribuait par poste et ordre alphabétique.
En 1998, et après une razzia de onze titres, vous quittez la Juventus pour la Fiorentina.C’est le Trap qui m’a fait venir, il y avait eu d’autres recrues comme Heinrich ou Amor. L’objectif était de faire mieux que la saison précédente et une qualification en Coupe de l’UEFA, mais jamais on ne pensait pouvoir se mêler à la course au titre.
Quel était le style de cette Fiorentina ?Un 4-3-3 ou 3-4-1-2 très équilibré, même si on jouait souvent avec Rui Costa au milieu de terrain, en plus de trois attaquants. On le sait, la priorité de Trapattoni, c’est de ne pas encaisser de buts, et ensuite, notre armada offensive faisait le boulot devant.
Vous décrochez le titre honorifique de champion d’hiver, mais tout n’est pas parfait…Le duo Batistuta-Edmundo ne s’entendait pas très bien hors du terrain, chacun voulait être protagoniste à sa façon, il y avait toujours quelque chose à régler de ce point de vue.
En février, alors que le Roi Lion vient de se blesser, Edmundo décide de rentrer au Brésil pour participer au carnaval de Rio, il vous avait mis au parfum ?De ce que je sais, c’était écrit sur son contrat qu’il avait la permission de rentrer durant cette semaine. Si le club a accepté cette clause au moment de la signature, il avait donc tous les droits de pouvoir s’en aller. D’ailleurs, cela ne justifie pas notre fin de saison difficile, ni la blessure de Batistuta, absent un peu plus d’un mois. Cette saison-là, on a sorti de gros matchs face aux cadors, mais on a perdu énormément de points contre les petits. Je me souviens par exemple d’un revers 4-1 à Venise.
Mais vous êtes encore en embuscade avec 5 points de retard à 5 journées de la fin…Oui, mais on a pêché au niveau de la mentalité. Je pouvais comparer avec ce que j’avais vécu à la Juve où l’humilité des joueurs était la base des succès. À la Fiorentina, les éléments-clés en manquaient, il aurait fallu faire plus de sacrifices personnels pour le bien de l’équipe.
En outre, c’est un Milan pas vraiment imbattable qui remporte le Scudetto. De quoi augmenter les regrets ?Et surtout, les grands favoris qu’étaient la Juve et l’Inter finissent très loin derrière, à la 7e et 8e place. Le Milan avait eu beaucoup de mal dans la première partie de saison, c’est là que l’habitude du très haut niveau fait la différence. Trapattoni le faisait souvent remarquer, ainsi que des gars comme moi, Heinrich ou Amor. Il fallait quotidiennement reprendre les joueurs censés nous faire passer un cap, à commencer par Edmundo.
Après des passages à l’Espanyol et Arezzo, vous raccrochez les crampons à 35 ans et entamez une carrière d’entraîneur.J’ai pris le temps de passer tous mes diplômes, trois en trois ans, pour pouvoir exercer à tous les niveaux. Après une saison avec les jeunes de la Fiorentina, je connais ma première expérience avec les seniors à la Pistoiese. J’arrive en février et atteint les play-out que l’on perd malheureusement. L’année suivante, je file à Figline, toujours en Toscane et en Serie C1, on frôle les play-offs, puis le club fait faillite. J’étais alors très proche de signer à Crotone en Serie B.
Et vous décidez de stopper votre nouvelle carrière à la suite du décès prématuré de votre femme…La vie de mes trois enfants était déjà assez chamboulée comme ça, ils avaient entre 10 et 16 ans, je devais rester auprès d’eux, j’ai donc préféré renoncer.
Vous vous êtes retiré à Lillianes, petit village de 500 habitants dans la vallée d’Aoste, un choix insolite pour un ancien joueur.J’ai toujours aimé la montagne, les randonnées, le ski, le grand calme. Puis, je suis à 40 minutes de Turin et pas très loin de Côme. Je me suis remis un peu au football en supervisant les jeunes d’une équipe du coin. Ici, l’activité principale reste le ski, mais le foot est très suivi, il y a beaucoup d’équipes amateurs. C’est juste que le réservoir est limité avec à peine 100 000 habitants.
Et vos anciens collègues menuisiers ?Je les vois toujours. Malheureusement, l’usine en question a fermé à la fin des années 90 lorsque la crise arrivait tout doucement. On était une petite centaine d’ouvriers. Seules les grosses boîtes ont résisté.
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi