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Tony Pulis : « Napoléon n’était pas seulement un chef guerrier »

Propos recueillis par Thomas Andrei, à Ajaccio / Photos : Photos : Olivier Laban-Mattei
Tony Pulis : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Napoléon n’était pas seulement un chef guerrier »

Tony Pulis, c’est dix ans à Stoke City, un titre d’entraîneur de l’année en 2013-2014 avec Crystal Palace, zéro relégation à son actif et un combo casquette-lunettes culte. Tout bon amateur du championnat anglais sait ça, mais sait probablement moins que le Gallois aime s’inspirer des « grands leaders » de l'histoire. Son personnage préféré : Napoléon. Et autant vous dire qu'il est incollable sur le sujet.

Quand et comment Napoléon Bonaparte est-il entré dans votre vie ?En 1994, quand j’étais à Bournemouth pour mon premier poste d’entraîneur. Le président, Norman Sherwood, m’a donné un livre sur lui. Il était captivé par Napoléon, par le leader qu’il était et ses qualités sur le champ de bataille, mais aussi par le Code napoléonien. Il pensait que ce serait une bonne lecture pour moi, du fait de la façon dont il gagnait ses batailles, puis aussi du fait de ses origines, d’où il venait, c’est-à-dire d’une famille relativement aisée, mais pas tant que ça en comparaison de ce que possédaient les familles nobles françaises. Il devait savoir que ce qui me séduirait, c’est ça : qu’il vienne d’une petite île et ait fini par contrôler le plus grand empire que l’homme ait jamais vu. Depuis, quand je vois un livre sur Napoléon que je n’ai pas lu, je le lis.

Vous en avez lu combien ?Une dizaine, dont trois très négatifs pour avoir un équilibre. Les grands leaders ont toujours des admirateurs et des détracteurs. Il y a des choses qu’il a faites avec lesquelles je ne suis pas d’accord. Des choses que tu n’aurais pas pensé qu’il ferait. Comme laisser les soldats en Égypte pour retourner en France. Évidemment, il était sous pression, il devait rentrer parce que des gens conspiraient contre lui pendant son absence. Mais tu te demandes si toi tu serais parti, en laissant les troupes derrière toi. Je sais qu’il avait des maréchaux fantastiques…

Ce premier livre a-t-il eu un impact sur vous en tant que manager ?Dans tout ce que j’ai lu sur les grands leaders, il y a toujours quelque chose qui me fait me dire : « Je pourrais utiliser ça. » Tous les grands leaders auxquels je me suis intéressé, comme Napoléon, Jules César et Gengis Khan, ont comme dénominateurs communs d’avoir été très intelligents, bien organisés, disciplinés et d’avoir su engendrer du respect. Je pense que j’ai au moins de mon côté la discipline, la culture du travail et de l’effort. Je crois en des valeurs démodées. J’ai toujours essayé d’offrir le meilleur à mes joueurs. J’ai toujours voulu, aussi, que l’atmosphère au sein du groupe ressemble à celle d’une famille ou d’une communauté comme celle où j’ai grandi au pays de Galles. C’était un quartier dur, mais où les gens s’entraidaient. Napoléon faisait pareil avec ses soldats. C’était un leader qui avait été soldat, qui s’était battu. Il était bien plus proche de ses hommes que les autres généraux. Il n’y a qu’à étudier la manière dont il les habillait, dont il les nourrissait. Il prenait soin d’eux. C’est pour ça qu’ils l’aimaient. Ils se sentaient comme des membres de sa famille et se battaient comme des membres de sa famille. Avant un match contre une grosse équipe, c’est important que les joueurs comprennent qu’ils doivent suivre le plan à la lettre. Comme avant une bataille, même si c’est différent. Napoléon planifiait tout avant chaque bataille. Le placement des canons, par exemple. Il feignait d’un côté et attaquait de l’autre. Il avait toujours un plan.

Un des paramètres extraordinaires des guerres napoléoniennes, c’est les distances que les soldats parcouraient.

Napoléon est également connu pour ses citations. Vous en avez une préférée ?Attends, j’en ai sur le téléphone. (Il sort son smartphone et prend un moment pour trouver où consulter ses citations.) Ah : « N’interrompez jamais un ennemi qui est en train de faire une erreur. » (Il la lit avec un léger rire, puis il continue.) « La religion est ce qui empêche les pauvres de tuer les riches. » « Un chef est un marchand d’espoir. » « L’histoire est une suite de mensonges sur lesquels on est d’accord. » (Il marque une pause pour réfléchir.) « Le talent n’est rien sans l’opportunité. » Je crois beaucoup en celle-ci. J’ai travaillé avec beaucoup de joueurs qui n’ont pas eu la chance de jouer au haut niveau. Ou de formidables entraîneurs qui n’ont jamais entraîné dans des grands clubs. Il faut avoir de la chance. Napoléon le disait : il préférait un général chanceux qu’un bon général. Il avait raison. Ça m’est arrivé que cette phrase me vienne en tête pendant des matchs. Surtout quand l’adversaire avait de la chance, que le manager était chanceux. Mais aussi quand on était mauvais et qu’on gagnait 1-0.

Pour vous, un leader est donc un marchand d’espoir ?Oui. On vit dans l’espoir tous les jours. Je n’ai jamais été dans les plus grands clubs, jamais eu les plus gros budgets, ni les meilleurs joueurs. Donc j’ai toujours eu à travailler plus dur, à faire travailler mes équipes plus dur, à être plus organisées, plus disciplinées. Comme Napoléon contre les Autrichiens ! Avec 28 000 hommes contre 31 000. Même si on disait que le chapeau de Napoléon, vu de loin sur un champ de bataille, valait 50 000 hommes. Je crois que c’est un de ses généraux qui a dit ça.(En fait, c’était le duc de Wellington, à Waterloo, NDLR.)

Sur la deuxième partie de son règne, il a sacrifié beaucoup de gens sur les champs de bataille pour maintenir sa réputation.

Et votre casquette vaut trois joueurs ?(Il éclate de rire.) J’aimerais bien ! Si seulement. J’ai quand même aussi eu de la chance dans ma carrière et je pense avoir toujours donné mon meilleur. C’est ça qu’un sportif doit faire : donner son meilleur. Mais on dépend aussi d’autres personnes, comme Napoléon dépendait de ses soldats.

Lors d’une conférence de presse à Crystal Palace, vous avez comparé Churchill et Napoléon. « Churchill était un grand leader, mais il faisait partie de l’establishment. J’aime lire à propos de gens qui ne l’étaient pas, comme Napoléon. » Pourquoi ?
Parce que Churchill avait le droit à l’erreur. Et il en a fait, des erreurs. Des grosses. Malgré ça, il pouvait toujours être accepté au sein de la fraternité de l’élite britannique. Napoléon venait de Corse, d’un autre pays (Bonaparte est né quinze mois après le rattachement de la Corse à la France, NDLR). Jeune, il a fait des erreurs en Sardaigne. Mais s’il avait fait des erreurs dramatiques, il aurait perdu tout son crédit. Il n’aurait pas pu s’en remettre. Alors que quand Churchill chutait, il y avait des gens en dessous de lui pour le repousser vers le haut.

Napoléon n’est pas né au sein de l’establishment français, mais il a créé son propre establishment. Son frère Joseph était roi d’Espagne, son beau-frère Joachim Murat, roi de Naples. La famille royale suédoise porte encore le nom de Bernadotte, comme le Maréchal napoléonien Jean Bernadotte. Ça vous dérange qu’il ait échappé à l’establishment seulement pour en créer une nouvelle forme ?L’histoire, c’est l’histoire. Il a créé sa propre famille royale. Il n’avait pas une famille qui régnait depuis deux cents ans sur la Russie ou la Prusse. Il n’était pas Frédéric le Grand, il n’était pas dans l’élite européenne. Je pense que cela venait d’un sentiment d’insécurité. Et de la manière dont il a été élevé. C’était son moyen de dealer avec les princes et empereurs des autres pays. Mon opinion, c’est qu’il se sentait un peu en dessous des autres. Il a fait ça pour dire qu’il était au niveau des autres.

Ceux qui défendent Napoléon disent parfois qu’il a causé beaucoup de morts, mais a aussi offert le code civil à l’Europe, un texte de loi qui n’était pas basé sur le droit divin ou sur le bon-vouloir d’un monarque. Pour vous, ça valait le coup, tout ce sang versé ? Je ne pense pas que tu puisses dire qu’une guerre vaille le coup. Dans aucun cas. Toutes les grandes batailles napoléoniennes, les guerres mondiales, personne ne peut justifier ça. Il se trouve juste que Napoléon n’était pas seulement un chef guerrier. On se sert encore du code civil, il a fait des lois en faveur des pauvres. Quand il combattait, il ne détruisait pas. Il a gardé des peintures. Avant, on détruisait tout. Il a aussi dessiné Paris. Je crois qu’il a introduit les lampes à gaz. Son esprit devait marcher (il claque des doigts à plusieurs reprises) en permanence. Sans les batailles, il aurait été un encore plus grand leader.

Certains le présentent comme un « despote éclairé qui a posé les fondations de l’Europe moderne », d’autres comme « un mégalomane qui a rependu plus de misère que n’importe quel autre jusqu’à l’avènement d’Hitler » . Il y a du vrai dans ces deux versions d’après vous ?
Oui. Sur la deuxième partie de son règne, il a sacrifié beaucoup de gens sur les champs de bataille. Surtout pour maintenir sa réputation.

Napoléon était l’homme le plus puissant du monde, mais il est mort sur une île au milieu de l’Atlantique, à près de 7000 kilomètres de là où il était né. Comment expliquez-vous sa chute ?À la fin, il s’est concentré sur l’Est, alors qu’il aurait dû se contenter de l’Ouest. S’il avait fait ça, il aurait pu garder ses forces. Aller en Russie, à pied, c’est quand même complètement fou. Quand tu regardes la distance avec Paris, c’est dingue. On l’oublie. Comment a-t-il fait pour motiver des milliers d’hommes à marcher jusque-là ? Mais c’était ça son erreur. Il s’est trop étiré. Dès qu’on a senti qu’il n’était pas invincible, il était fini.

Vous avez un jour fait un talk à Oxford durant lequel un fan disait que le board de Stoke, qui a fini par vous virer, avait confondu la stabilité et la stagnation, qu’ils en avaient trop voulu. Napoléon était comme les dirigeants de Stoke ?
Les leaders essaient toujours de grimper les échelons. Pep Guardiola fait un travail extraordinaire à Manchester City. Mais il a une chose qu’il n’a pas fait : il fera tout ce qui est en son pouvoir pour gagner la Ligue des champions. C’est sa pomme de discorde. Tu essaies toujours de faire un peu plus. Après avoir combattu à travers la Russie, Napoléon ne pouvait plus faire demi-tour avant Moscou. C’était trop tard. Même si ses généraux lui conseillaient de rentrer.

Il paraît que vous aimeriez emprunter la route des Alpes que l’armée napoléonienne avait suivie au printemps 1800, lors de la seconde campagne d’Italie. C’est vrai ?C’est une de mes ambitions de marcher à travers les Alpes, oui. J’aimerais voir ce qu’ont traversé ses soldats. Les êtres humains peuvent se pousser très loin. Un des paramètres extraordinaires des guerres napoléoniennes, c’est les distances que les soldats parcouraient. Avec peu d’eau et de nourriture. C’était déjà une épreuve et à la fin, ils combattaient. Les armées de Napoléon marchaient plus vite que celles des autres généraux de l’époque. Ils pouvaient marcher quarante kilomètres pour trouver le terrain le plus propice où se battre plutôt que de se jeter dans la gueule de l’ennemi. Parfois, ils ne se reposaient pas avant la bataille. Parvenir à faire faire ça à tant de gens, c’est extraordinaire. Il me faudrait deux personnes pour me guider un peu. Mais je ne le ferais pas à la même saison que Napoléon, je ne veux pas me prendre toute cette neige. J’irais plutôt en été. On me dira qu’il faudrait que je le fasse en hiver pour vraiment comprendre la rudesse du froid et de la météo. Mais les hommes étaient bien plus durs à cette époque.

Bill Shankly a un jour dit qu’il voulait faire de son Liverpool « un bastion d’invincibilité. Si Napoléon avait eu cette idée, il aurait conquis le putain de monde. » Alex Ferguson s’est aussi intéressé à Napoléon. Pourquoi intéresse-t-il tant d’entraîneurs ?
Parce que c’est un des plus grands leaders de l’histoire ! Il faut rappeler que tout le monde voulait toujours se débarrasser de lui. Il a combattu à fond. Jusqu’au bout. À la fin, il a perdu. Mais tout le monde perd.





@ Olivier Laban-Mattei

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Propos recueillis par Thomas Andrei, à Ajaccio / Photos : Photos : Olivier Laban-Mattei

Le 15 août 2019, Tony Pullis était invité par So Foot aux 250 ans de Napoléon Bonaparte, célébré en grande pompe à Ajaccio. C'est dans le salon de l’hôtel Napoléon, un 3 étoiles choisi par son épouse, un peu à l’écart du centre, qu'il nous avait exposé sa passion pour le plus illustre des Corses.

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