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Tony Hibbert : de Everton à Louzy, il n’y a que quelques pas
Depuis le 22 novembre 2021, l’Étoile sportive de Louzy, club de Départemental 2, dixième division, compte une légende du football anglais dans ses rangs : Tony Hibbert. Après avoir raccroché les crampons en 2016, après 328 apparitions avec Everton dans l’élite anglaise, le défenseur a traversé la Manche pour vivre une nouvelle vie. De Liverpool à la petite commune des Deux-Sèvres, plongée dans l’après-carrière étonnante d’une icône.
« Se faire photographier avec un poisson, quel manque de dignité… De tous les vices, la vanité est décidément le plus ridicule ! » Juste avant de prendre la route d’une maison de campagne dans les collines, juste au bord d’un désert de garrigue qui va d’Aubagne à Aix, Joseph, instituteur anticlérical, se moque en se revoyant sur une photo les pieds dans l’eau posant fièrement avec sa prise. Cette histoire ne vous dit peut-être rien, et pourtant, Marcel Pagnol a véritablement réussi à transmettre l’amour du pré, des champs et des ruisseaux perdus aux citadins. Au moment de la sortie de l’adaptation cinématographie d’Yves Robert à l’été 1990, Tony Hibbert a neuf ans, et le jeune Anglais vient tout juste d’intégrer le centre de formation d’Everton, à Liverpool. Un club qu’il ne quittera pas jusqu’en 2016. Au total, le latéral droit comptabilise 328 apparitions, 17 saisons dans l’élite anglaise et a marqué tous les supporters des Toffees par son engagement et son sérieux. Mais voilà que trois ans après avoir quitté le football professionnel, Hibbert a répondu à l’appel de La Gloire de mon père. Venue s’installer à Louzy, petite commune de 1300 habitants des Deux-Sèvres, pour se lancer dans un projet autour de la pêche, mais surtout pour commencer une nouvelle vie plus tranquille, la légende d’Everton (40 ans) a décidé de rechausser les crampons dans le club de sa nouvelle ville.
De la Premier League au Départemental 2
« Avant qu’il prenne une licence, on a eu une longue discussion », se rappelle Jérôme Archambeau, le président de l’Étoile sportive de Louzy, club de Départemental 2, dixième division du football français. « Il ne voulait pas de médias. C’était clair, net et précis. Le but de sa venue était de changer de décor et d’y trouver du calme. Il ne voulait pas venir dans l’anonymat le plus complet, mais ne souhaitait pas faire la Une de tous les journaux. » Arrivé en 2019 en France et à Louzy, Tony Hibbert veut retrouver les terrains, loin de Sky Sports, d’ESPN, Everton TV, la BBC et toutes les caméras qui peuvent entourer un terrain. Pour preuve, il a fallu de longs échanges avec le président, qui n’avait pas pour habitude de crouler sous les demandes d’interviews de nombreux médias anglais et français, et de la patience, avant que Hibbert accepte de se prêter à l’exercice. « Avec ma femme, j’ai cherché partout en France. J’ai un petit business dans le nord, mais je souhaitais vraiment une ville agréable. Je connais quelques personnes qui vivent pas loin de Louzy et j’ai tenté l’expérience », explique l’ancien d’Everton. Mais même à vouloir passer incognito, le club et le joueur vont vite faire face à la réalité. « Quand on a posté une publication Facebook avec son arrivée, on a été harcelés de partout. Lui comme moi. On n’en pouvait plus », raconte le président du club. Aujourd’hui, le post a été supprimé, mais les mails et SMS sont toujours aussi nombreux. Réservé, Hibbert revient sur son choix : « Liverpool et Louzy, c’est le jour et la nuit. Et c’est ça que je suis venu chercher. La tranquillité. Je ne suis pas ici pour être fatigué, mais pour voir quelque chose de différent, une nouvelle expérience. »
Si, en passant d’une ville d’un demi-million d’habitants à un village de 1300 âmes, l’ex-Toffee y a sûrement vu une volte-face des plus notables, c’est bien le club qui a connu le changement le plus important. « On a reçu de nombreux mails de supporters anglais, des fans qui voulaient acheter des maillots de Louzy… C’est complètement fou », clame le président qui estime « ne pas encore se rendre compte des choses ». Il y a trois semaines, une vidéo a même fait le tour de la ville. Pendant un match à Goodison Park, un des supporters avait le maillot d’Everton avec Hibbert dans le dos. « Quand Tony a vu ça, il était désespéré. Il s’est dit :« Ils ne vont pas m’oublier » » , en rigole Jérôme. C’est bien connu, le traitement médiatique britannique ne fait jamais dans la demi-mesure quand il s’agit de parler des footballeurs. « Maintenant qu’il a quitté le monde professionnel, il veut tout couper. » Bonne nouvelle, malgré cette publication Facebook, Hibbert a trouvé ce qu’il cherchait. « Je suis heureux ici. On rigole beaucoup, je profite bien de mes enfants et je prends le temps de travailler sur mon business », clame la recrue phare, grand, très grand amateur de pêche.
Pêche, football, beer pong : in that order
« Au point que j’en ai fait mon travail », prolonge Tony Hibbert, fier propriétaire d’un étang de pêche dans le village de Villiers-en-Prayeres, à moins d’une heure de route de Reims. « C’est loin de Louzy, mais avec les transports, toute la logistique et le simple fait que je n’y suis pas tous les jours, il n’y avait aucune raison que j’habite à côté. » Depuis neuf ans maintenant, le finaliste de la Coupe d’Angleterre 2009 est propriétaire d’un domaine de pêche où les plus grands fans de carpes peuvent venir tremper leur canne, boire et manger. « Quand j’avais du temps, j’allais pêcher avec mes amis dans les petits lacs de Liverpool et dans les alentours », rembobine Hibbert. Pour cette raison, Louzy est tout bien choisi. « Il y a beaucoup de pêcheurs dans le coin », explique Jérôme. Et le football dans tout ça ?
S’il partage son savoir de la carpe avec ses clients et les passionnés qu’il croise en Champagne, Hibbert prend aussi beaucoup de plaisir à partager son expérience du ballon rond avec plus jeunes. « Il vient donner un coup de pouce quelques mercredis aux U13. C’est un bonheur de le voir parler aux enfants, bien que la langue soit une belle barrière. » Le football est une langue universelle, et ces entraînements le prouvent. « Je prends beaucoup de plaisir à faire ça », assure Hibbert. Désormais licencié et joueur de l’équipe des seniors, l’ancien latéral droit d’Everton disputera bientôt son premier match de championnat. Greg Rousseau, l’entraîneur de l’équipe première, a« hâte de le voir » à l’œuvre, même s’il avoue qu’il ne le connaissait pas au départ : « Là-bas, il est connu de chez connu, et chez nous, il est comme tout le monde. Pour dire, moi ça ne me change pas grand-chose. Il est là, il ne fait pas de bruit, il est hyper simple, il s’adapte très bien et il est très heureux de ne pas avoir ce statut de star à Louzy. » Décrit par tout le monde comme volontaire et respectueux, Hibbert prend même part aux soirées après les entraînements du vendredi soir. Et dans ces moments-là, il n’y a pas besoin de parler français pour boire des pintes et jouer aux cartes. « On s’amuse bien. Que ce soit à la belote ou au beer pong, on rigole beaucoup et il n’hésite pas à payer son coup. Ça lui arrive de rester un petit peu et de partir après », raconte l’entraîneur de D2. Sur le terrain, l’Anglais « a vraiment ce petit truc en plus. On se rend compte que pour lui, c’est facile », note Greg. De tous les côtés, l’arrivée de Hibbert à Louzy fait donc l’unanimité. Le président a le sourire et garde un rêve en tête : celui de jouer contre Everton. « J’aimerais vraiment qu’un jour, notre équipe de vétérans affronte celle desToffeesun été. Ce serait vraiment incroyable. Mais nous, on ne veut pas le bousculer. Le but, c’est qu’il soit heureux ici et qu’il trouve ce qu’il est venu chercher. » Pour le moment, la mission est complètement réussie.
Par Matthieu Darbas
Tous propos recueillis par MD.