- Angleterre
- Disparition de Margaret Thatcher
Thatcher, la Dame de foot
Margaret Thatcher n'est plus. C'est une partie de l'histoire du foot anglais des années 80 qui s'évapore. Oui, Maggie a pesé, légiféré et excité, malgré elle, toute la culture foot du royaume. Salut baronne !
Après le Heysel, force à la loi
Margaret Thatcher rêvait d’une Albion propre sur elle, d’où son envie de « crucifier tous les skinheads » . Or, certains viennent gâcher la fête, semant le trouble, parfois la désolation à travers l’Europe dans le sillage des clubs britons. Le drame du Heysel sera l’occasion pour elle de taper dur et fort, à l’abri du naturel consensus qui résulte d’un tel évènement dramatique. D’autant que les conséquences sportives sont terribles pour le foot anglais (l’exclusion des Britanniques durant 5 ans des compétitions de l’UEFA). Sa politique répressive culmine législativement en 1985 avec le Sporting Events, puis le généraliste Public Order Act en 1986 et enfin, surtout, le Football Spectator Bill de 1989. Il consiste à ficher l’ensemble des supporters, avec une carte individuelle, comme autant de fautifs potentiels. Toutes ces dispositions et mesures sont renforcées les années suivantes par ses successeurs, Tories ou Labour. Si certains comparent son action contre le hooliganisme à son « combat » sans pitié envers l’IRA, Maggie aura au moins gagné partiellement cette bataille, transformant surtout le public des tribunes et l’identité des stades anglais, avec notamment les places assises. La grande métamorphose économique du foot anglais durant les années 90 achève le processus.
Quand la culture entre en résistance
Conséquence directe ou indirecte de cette politique de répression envers les supporters, pour la première fois dans l’histoire assez jeune de la culture anglaise rock, une de ses subdivisions ose la jonction avec un foot prolo. Le street punk puis la Oi! viendront gueuler à la face de la bourgeoisie arrogante rangée derrière Maggie leur fierté virile, laborieuse, et parfois largement aussi conservatrice et patriotique. Les Specials écrivent avec Ghost town le testament ultime de cette époque quand un groupe comme The Wedding Present honore la mémoire de Georges Best. Billy Bragg, rockeur activiste anti-Thatcher, chante en 1991 une ode nostalgique à Peter Knowles, attaquant de Wolverhampton et témoin de Jéhovah, aussi. Plus tard, le manifeste London Hooligan soul des Ballistic Brothers ou le Sweet and tender hooligan des Smiths répondent aussi à cette période (respectivement 1994 et 1995, même s’il fut enregistré dès 1987). Voilà, grâce à Thatcher, l’image du supporter à l’ancienne a intégré le patrimoine pop : un contre-modèle idéalisé autour d’un stade, d’un pub et quelques briques rouges. Ken Loach mettra cette vision en images, de My name is Joe à Looking for Eric. Merci Maggie, bien malgré elle.
Le fan et la plume
Ce n’était sans doute pas son objectif premier. Elle voulait sécuriser le football et mettre un peu (trop) d’ordre chez les fans, qu’elle dessinait en gros comme des sacs à bière sans manière. À cette vision qui manquait quelque peu d’introspection – le rôle des services de police et de l’état des stades anglais dans les drames de la décennie par exemple – les supporters anglais répondaient par la multiplication des fanzines, dans les années 80. L’âge d’or des fanzines anglais de foot et du discours anti-système chez les supporters, agacés par l’image désastreuse que médias et politiques leur renvoyaient. Déjà bien établie dans le milieu musical, chez les punks notamment, la culture fanzine s’est nourri de cette période de vaches maigres et de ses lois liberticides pour se déployer dans le foot anglais, et ce jusqu’au début des années 90. Chaque club du royaume comptait alors une ou deux publications « home-made » , papier. À Londres, une bande de mecs décidait par exemple en 1986 de créer le premier fanzine national anglais. Il s’appelait When Saturday Comes. Le leader de la presse foot indépendante en Grande-Bretagne aujourd’hui. Merci Maggie, encore.
Sam donne la note
Sam Allardyce n’est pas homme à compliquer les choses. Direct sur et en dehors du terrain, il livrait, dans les colonnes du Sun du 9 juillet 2011, sa vision sans concession de l’apport de Margaret Thatcher au football anglais. Une belle saillie, limpide comme une ouverture d’Ivan Campo sur l’immense El-Hadji Diouf : « Depuis que Margaret Thatcher a arrêté de payer les heures supplémentaires pour les cours de sport périscolaires, toutes nos activités sportives ont perdu en compétitivité. (…) Les enfants sont aujourd’hui plus obèses et en mauvaise forme que jamais. Tous les jeunes sportifs que nous étions prêts à développer ne sont plus là. Du coup, cela s’en ressent sur la qualité. (…) Ça n’a pas juste baissé la qualité de notre jeu, le football, mais de tous les jeux dans ce pays. Et cela a créé des enfants en mauvaise santé. Thatcher a tué le football, il n’y a aucun doute là-dessus. »
La poisse de fer
Au début de son mandat, elle était bien partie pour suivre le football de loin, la Margaret. Les clubs anglais piétinaient l’Europe du foot. Nottingham Forest soulevait même deux fois de suite la C1 pour son premier mandat. Mais la balle ronde l’a véritablement rattrapée, sur un terrain très politique : la loi et l’ordre / la sécurité. Le stade du Bradford City AFC prenait feu début mai 1985 et cramait 56 personnes. Presque 20 jours plus tard, l’Angleterre prenait en pleine face le drame du Heysel. Et en 1989, la tragédie d’Hillsborough, ses 96 morts et la posture médiatique du gouvernement de Maggie – soutenir la police plutôt que les victimes – emballeront le tout. Une poissarde. Il devient quoi, Jean Fournet-Fayard, au fait ?
Par Ronan Boscher et Nicolas Kssis-Martov