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Tactique : Griezmann, la tournée du patron

Par Maxime Brigand
Tactique : Griezmann, la tournée du patron

Replacé au centre des échanges grâce à la réinstallation d’un 3-4-1-2 qui aura aussi eu le mérite de resserrer le trio offensif des Bleus à l’intérieur du jeu, Antoine Griezmann a brillé mardi soir face à la Finlande (2-0) et en a profité pour égaler le nombre de buts inscrits par Michel Platini en équipe de France. Explications.

Les chiffres d’Antoine Griezmann face à la Finlande

90 ballons touchés, là où le numéro 7 des Bleus en avait touché 66 à Kiev, samedi soir, et 56 face à la Bosnie.- 5 tirs, 2 cadrés et 2 buts, contre 4 tirs et un but involontaire lors des deux rencontres précédentes.- 6,2%, soit son influence sur la possession de l’équipe de France alors qu’elle n’avait pas dépassé les 4,8% depuis le début du rassemblement.- 5 tacles tentés (plus que n’importe quel autre joueur français), 3 réussis (seul Presnel Kimpembe égale ce total) et 5 ballons récupérés au total. – 3 passes clés (dont deux pour Benzema), là aussi dans le haut du panier français aux côtés de Léo Dubois et Karim Benzema.- 28 passes échangées entre Benzema et Griezmann mardi soir (11 initiées par le premier, 17 par le second).

Map des ballons touchés par Antoine Griezmann mardi soir.


Alerte : le cerveau est revenu et, d’un coup d’un seul, on a eu l’impression de reprendre en pleine tête de vieilles effluves familières et d’entendre les histoires du tonton Diego Simeone. Le même Simeone qui soufflait notamment ceci dans la foulée de la victoire des Bleus au Mondial 2018 : « La France fonctionne avec le cerveau de Griezmann. Quand Antoine est lucide et dans une bonne forme physique, il n’y a pas au monde un joueur capable de comprendre et d’interpréter le football comme lui. Au-delà du palmarès, la Coupe du monde, la Ligue Europa ou la Supercoupe d’Europe, il n’y a pas eu de footballeur plus important pour son équipe. Quand un mec parvient à ce que toute une équipe fonctionne autour de son cerveau, cela a une valeur inestimable. » Devenu roi de l’association et du jeu entre les lignes à l’Atlético, où il vient de revenir pour remettre du soleil dans sa vie en club, Antoine Griezmann est redevenu Antoine Griezmann, mardi soir, face à la Finlande. Le Griezmann créateur sobre, buteur froid, générateur de mouvements et d’intensité, le Griezmann qui couche ses proies avec un sourire et capable d’interpréter tous les rôles tout en bonifiant chaque ballon reçu. Le Griezmann que Didier Deschamps a longtemps cherché à mettre au centre de son projet tactique avant de s’écarter durant le dernier Euro de cette idée pour intégrer Karim Benzema, ce qui a débouché sur un casse-tête que le sélectionneur pensait régler en offrant « de la liberté » à tous les étages à ses hommes. L’échec du championnat d’Europe, puis les deux matchs de rentrée poussifs face à la Bosnie (1-1) et en Ukraine (1-1) l’ont finalement conduit à cadrer un peu plus l’improvisation et à faire enfiler à son équipe un système permettant de placer chaque joueur dans sa zone préférentielle. À commencer par un : Antoine Griezmann, repositionné au centre des échanges dans un 3-4-1-2 qui a surtout permis de rapprocher au maximum les membres du trio offensif (Griezmann, Martial et Benzema mardi soir) entre eux. Résultat, l’équipe de France a retrouvé de la vie, n’a été bousculée qu’un peu moins de dix minutes par la Finlande, s’est imposée (2-0), a tenté 20 fois sa chance, et son numéro 7 a égalé le record du nombre de buts chez les Bleus de Michel Platini (41). Pas mal, donc.

Carrefour de tous les triangles

Voilà maintenant plusieurs semaines qu’une telle prestation de Griezmann, souvent castré dans son expression lorsqu’il est en balade entre la ligne de touche droite et l’axe, était attendue. Questionné après l’Euro, Didier Deschamps avait d’abord justifié son choix : « Antoine a eu cette position axiale avec nous et a été très, très bon. Mais il n’a plus du tout cette position avec son club. J’en ai parlé avec lui, et le match où je le mets dans l’axe, contre le Portugal, il a une occupation du terrain qui n’est pas celle qu’il avait d’habitude. Parce qu’il n’a pas les repères non plus. Mais je sais quelle est sa position préférentielle et comme Kylian, je sais très bien que plus il est près du but, mieux c’est. C’est là où il est le plus dangereux. » C’est justement là que le Mâconnais a été retrouvé face à la Finlande et qu’il a pu étaler ses ingrédients, avec et sans ballon, raflant quasiment tous les classements statistiques de la rencontre et s’éclatant avec ses potes pour connecter malgré la grande densité adverse. « Je suis très heureux de ma performance et de celle de l’équipe, a alors soufflé le meneur de jeu sur TF1. On a peut-être trouvé un système qui nous va mieux, c’est le coach qui décidera. Là, on a été costauds, on a gagné de belle manière. »

Le 3-4-1-2 avec ballon de l’équipe de France mardi soir avec un trio Zouma-Varane-Kimpembe qui a offert une supériorité numérique immédiate à la relance, un double pivot Pogba-Rabiot, Theo Hernandez (tout en haut ici) et Léo Dubois pour étirer le bloc adverse, puis le trio offensif pour combiner et piquer à l’intérieur.

Dans ce système, Antoine Griezmann se retrouve logiquement au carrefour de tous les triangles. C’est à lui d’en créer en permanence pour offrir du rythme aux échanges et faire sauter les blocs adverses.

Benzema-Griezmann, des Daft Punk en short

Si on a pris l’habitude de voir Didier Deschamps sortir une défense à trois lorsque l’équipe de France affronte une autre défense à trois (ce qu’il avait justifié lors d’un entretien tactique donné à beIN Sport avant l’Euro par une volonté de se calquer sur le système adverse), cette option, cette fois, a d’abord aidé Theo Hernandez à s’acclimater dans les meilleures conditions possibles, mais a aussi permis la création de multiples combinaisons entre Antoine Griezmann et Karim Benzema (28 passes échangées entre les deux), deux hommes qui « parlent le même football » (Deschamps) comme les Daft Punk parlaient la même musique. C’est évidemment la plus grande satisfaction de ce dernier match de rentrée, et plusieurs séquences ont pu s’imprimer au fond des crânes avec l’aide d’un Anthony Martial complice.

Première étincelle commune de la rencontre : à la 22e minute, Benzema cherche Griezmann dos au but dans la surface…

… la remise pied gauche de Griezmann place Benzema en position idéale d’allumer pied gauche, et sa frappe sera sauvée par Hrádecký.

Trois minutes plus tard, premier vrai mouvement entre les trois offensifs : Martial démarre côté gauche, trouve Benzema dans l’axe, alors que Griezmann a démarré son appel. Au bout, le contrôle du numéro 7 français sera parfait et il va ouvrir le score.

Nouvelle séquence entre les trois hommes, qui va déboucher sur une frappe contrée de Benzema.

Toujours en première période, encore un enchaînement avec un Griezmann un poil plus reculé pour se retrouver face à Benzema. La combinaison peut démarrer…

… et les triangles entre les trois hommes s’empiler.

Peu avant l’heure de jeu, on retrouve Pogba au départ, Griezmann en relais et le duo Benzema-Martial prêt à combiner. Ce mouvement va être le vrai regret de cette rencontre…

… avec un premier une-deux entre Griezmann et Benzema…

… un second entre Martial et Griezmann…

… et un troisième entre Benzema et Griezmann, qui ne va pas ensuite pas cadrer sa frappe.

D’autres exemples au cours de la rencontre de la bonne relation entre Griezmann et ses partenaires offensifs : ici, Theo Hernandez trouve Martial qui va dévier et lancer Antoine Griezmann en une touche dans une zone idéale…

Là, c’est Benzema qui trouve Griezmann pour une mise sur orbite de Léo Dubois.

Précieux dans les petits espaces et dans la mise de rythme, un Griezmann réaxé offre surtout la possibilité de profiter du jeu en une touche de Benzema et de son excellence dos au but. Le deuxième but inscrit par l’équipe de France, initié par une prise d’initiative parfaite de Kimpembe à la relance et conclu par l’audace de Griezmann, en est un parfait exemple. La question, maintenant, est de savoir si Didier Deschamps relancera cette animation avec Kylian Mbappé, capable de discuter dans des petits périmètres et d’attaquer lancé si le jeu le demande. On peut penser que oui.

Roi de l’investissement

Oui, car sur le plan défensif, ce système offre aussi des garanties, même s’il demandera à l’avenir un investissement plus important de la première ligne de pression. Mardi soir, Karim Benzema et Anthony Martial ont souvent laissé trop d’espaces aux centraux finlandais pour sortir les ballons, et face à un adversaire plus coriace, l’équipe de France aurait pu le payer, elle qui a subi sur plusieurs séquences jusqu’à l’ouverture du score (les deux équipes ont été notamment à 50%-50% sur le terrain de la possession lors des 25 premières minutes). Mais aujourd’hui, on peut aussi retenir la performance dans ces séquences d’Antoine Griezmann, qui a, là aussi, fait du Antoine Griezmann en s’arrachant sur chaque ballon et en étouffant notamment la sentinelle adverse Rasmus Schüller.

Face au 5-3-2 finlandais, le rôle sans ballon d’Antoine Griezmann a été assez clair : empêcher Schüller d’exister. Il l’a alors suivi tout au long de la rencontre.

Un exemple ici…

… un autre là.

Par son replacement, Antoine Griezmann est un joueur précieux, équilibrant et modèle. Là où le joueur de l’Atlético est surtout à chaque fois bluffant, c’est que cet investissement n’a aucune relation avec le score.

On l’a ainsi vu intercepter une passe d’Uronen dans le premier quart d’heure…

… puis s’arracher le long de la touche dans la foulée après une passe manquée.

Mais aussi sortir ce tacle salvateur dans le dernier quart d’heure.

Marqué par ses années ratées au Barça, par un Euro quelconque, mais toujours porté par son sélectionneur, Antoine Griezmann a sorti ici l’un de ses plus beaux matchs de qualification avec l’équipe de France, à ranger pas loin de son France-Islande de mars 2019. Reste à espérer que son retour à l’Atlético, où Diego Simeone sait l’utiliser à merveille, l’aide à retrouver pour de bon sa version optimale : celle d’un joueur qui marque, offre, lance des transitions, calme, fait paniquer. Un joueur qui, lorsqu’il a une zone d’expression infinie, peut briller et faire briller par ses idées.

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