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Tactique : Dani Alves, le général de Xavi
Devenu dimanche le buteur le plus vieux de l'histoire du Barça à 38 ans, Dani Alves a surtout porté les Catalans lors de la première victoire significative de l'ère Xavi face à l'Atlético (4-2). Le Brésilien ne l'a pas fait n'importe comment, mais dans un rôle de meneur reculé où il a excellé. Décryptage.
Dani Alves a toujours raconté sa vie en dessinant un grand cercle. Dernière preuve en date dimanche, en s’en allant du Camp Nou : « Aujourd’hui, j’ai ressenti la même chose que lors de mon premier match avec le Barça. » Fermons les yeux et reconstruisons le tableau. Que reste-t-il du Dani Alves aperçu pour la première fois sous le maillot du FC Barcelone un soir d’août 2008, face au Wisla Cracovie, en Ligue des champions ? À 38 ans, le Brésilien est toujours ce type qui se présente au moindre micro comme un soldat de l’institution Barça, reste ce mec aussi fantasque qu’insolent, mais demeure toujours aussi difficile à classer. Ses numéros de maillot ne disent d’ailleurs pas l’inverse : depuis vingt ans, Alves a été tour à tour 8, 6, 4, 20, 2, 22, 6, 23, 32, 13, 6, 3, 10 et de nouveau 8 depuis qu’il a repris ses quartiers à Barcelone mi-novembre. 8, mais pourquoi 8 ? « Pour rendre hommage à Hristo Stoitchkov et au grand Andrés Iniesta », a–t-il cette fois justifié, comme pour rappeler au monde le nom de son clan : Dani Alves est un membre du gang des créatifs, des hommes qui viennent cavaler sur le gazon pour tripoter des ballons à la pelle, construire, enchaîner les passes, déceler des failles dans les structures adverses et dribbler comme des enfants.
Le prince aux 43 médailles, record de l’histoire du jeu, a pourtant souvent été oublié, ce qu’il dénonçait déjà à l’automne 2014 lors d’un grand entretien donné à la Vanguardia : « Le football et le journalisme n’ont pas de mémoire, mais si tu jettes un coup d’œil, tu peux voir que je suis le meilleur passeur décisif pour Messi au Barça. Ça, c’est de l’histoire. Sur le 400e but de Messi, le centre était de moi. Lors du premier Mondial des clubs du Barça, le but décisif de Messi venait aussi de l’un de mes centres. J’accumule ce genre de choses. Les gens n’y pensent pas, mais pour moi, c’est comme un album personnel. Quand on prendra notre retraite, on dira : qui a été le plus grand joueur de l’histoire du foot ? Messi. Et qui lui donnait la balle ? Dani. Mon nom sera là, ça en fera chier plus d’un, mais il sera bien là. » Il sera là car Alves gagne à tous les jeux auxquels il participe et parce qu’il aura su imprimer son ambition dévorante aux quatre coins des vestiaires qu’il a connus. Lorsqu’il était au PSG, Thomas Tuchel ne cachait d’ailleurs jamais sa joie d’avoir une telle carte dans son jeu, capable de « jouer gardien, neuf ou dix avec la même qualité. Avec lui, c’est facile : il suffit juste de le prévenir deux heures avant le match. » S’il est revenu au Barça il y a quelques mois, l’objectif était d’ailleurs là, et bien là : si le Brésilien a confié devenir « un super-héros » lorsqu’il enfile le maillot catalan, Xavi, son ancien collègue, avait surtout besoin d’un chef pâtissier comme Alves. « C’est un joueur incroyable, notait l’actuel coach barcelonais dans un entretien donné à So Foot en 2018. On a toujours l’impression qu’il est partout, mais il ne joue pas qu’avec les jambes. Il joue avec son cerveau. » La victoire du Barça face à l’Atlético (4-2) dimanche, sans doute la plus belle depuis l’arrivée de Xavi sur le banc, en a été une nouvelle démonstration.
« C’est le Barça que nous voulons voir »
Face aux Colchoneros, Dani Alves a ainsi fait du Dani Alves : le Brésilien a enclenché les combinaisons, joué avec sa sarbacane pour envoyer des boulettes en profondeur, centré, pris la responsabilité des coups de pied arrêtés, marqué, pris un rouge. Alves a été partout durant 69 minutes, mais l’a été dans un rôle librement inspiré de celui joué par les latéraux de Pep Guardiola à City. « L’idée principale est d’avoir plus de joueurs à l’intérieur pour se passer le ballon, d’avoir quatre, cinq, six joueurs, pour enchaîner les passes courtes et gagner en contrôle, justifiait l’ancien entraîneur du Barça, de Xavi et d’Alves il y a plusieurs mois. Avec plus de joueurs au milieu, tu peux te créer plus d’occasions. » Dimanche, Xavi n’a pas cherché autre chose et a vu ses joueurs répondre parfaitement au plan imaginé : un 3-1-3-3, dont le volant a été tenu par Alves, avec Gavi et Traoré pour étirer le bloc adverse et un quatuor Busquets-De Jong-Pedri-Torres chargé de rire dans les intervalles. Un plan qui a filé le contrôle au Barça (62% de possession à 11 contre 11) et a forcé Diego Simeone à bricoler un temps le sien pour calmer les rushs d’Adama Traoré sur Hermoso (Carrasco est alors passé une vingtaine de minutes dans un rôle de piston gauche pour prendre à deux le dragster espagnol). Voilà ce qu’en a dit Xavi : « Aujourd’hui, je suis très content, car pendant 70 minutes, soit lorsqu’on était encore à onze, nous avons très bien attaqué, en cherchant à créer de la supériorité numérique au milieu grâce à Dani et au carré au-dessus de lui. Ce qu’on a vu pendant pendant les 60 premières minutes est le Barça que nous voulons voir. »
Le 3-1-3-3 du Barça face au 4-5-1 en phase défensive de l’Atlético : on voit bien Dani Alves au centre des affaires, devant Araujo-Piqué-Alba et le carré intérieur voulu par Xavi.
Le Brésilien a principalement occupé ce rôle tout au long de la première période, se chargeant de faire basculer le jeu de droite à gauche et permettant à Busquets de rester un cran plus haut derrière la première ligne de pression adverse. Avec un Alves dans cette position, Xavi peut surtout profiter de la qualité de passe de son ancien coéquipier et lui offrir le luxe de ne plus faire les kilomètres qu’il ne peut plus forcément faire.
De cette zone, Alves a eu un accès privilégié à Pedri qui a eu deux missions : être une menace directe dans le demi-espace et être un appât pour Hermoso, libérant ainsi Traoré dans le couloir droit.
Alves a également été une arme pour attaquer la profondeur, notamment via Jordi Alba comme ici…
… ici…
… ou encore ici.
Mais il a aussi été un point de départ à la construction…
… un relais à la progression…
… un passeur décisif royal…
… un relais pour Adama Traoré après avoir été au départ de l’action (oui, à 38 ans, Alves peut encore faire un surface-à-surface en moins de quinze secondes)…
… et, pour finir, un buteur : juste après la pause, on le voit attaquer le demi-espace dans le dos de João Felix pour proposer une solution à Busquets…
… vingt secondes plus tard, Gavi est en position de centre et cherche l’entrée de la surface…
… Alves surgit de la zone occupée depuis le début de la rencontre : 4-1.
Sans ballon, Alves a gardé son rôle classique.
Au total, Dani Alves, également décisif sur le coup franc du 3-1, a touché 58 ballons dimanche, ce qui était au moment de son expulsion pour une sale faute sur Carrasco le troisième plus haut total parmi les joueurs du Barça. Néanmoins, il faut surtout s’attarder sur les zones dans lesquelles ces ballons ont été touchés.
Map des ballons touchés par Alves dimanche.
En utilisant Alves d’une façon encore plus extrême qu’avait notamment pu le faire Guardiola lors d’un match face au Real Madrid fin 2011, Xavi a une nouvelle fois démontré qu’il ne s’enfermerait pas à double tour dans une organisation unique. Le jour de sa présentation, la Maquina avait d’ailleurs souligné rechercher davantage « le modèle, l’idée » que la structure. Le modèle, c’est évidemment ici le jeu de position et l’occupation rationnelle des espaces qui en découle, mais aussi une exploitation optimale des forces de ses joueurs. Le plan de dimanche avait ainsi pour objectif de laisser « la bête » Adama Traoré s’éclater en un contre un (2 dribbles réussis sur 5 tentés) dans son couloir et de réaxer Dani Alves pour qu’il puisse mieux gérer son réservoir tout en offrant davantage de contrôle au Barça. Grâce à cette structure avec ballon, l’efficacité défensive des Catalans pourrait aussi grimper, la proximité des éléments favorisant naturellement un contre-pressing. Au sujet de cette vie sans ballon, le Barça de Xavi, toujours fragilisé par Busquets, a encore du boulot et Alves, qui a su s’en sortir par quelques fautes tactiques, n’a d’ailleurs pas toujours été impérial, lui qui a déjà bien souffert face au Real début janvier. Au terme d’une drôle de journée, où plusieurs acteurs de l’histoire blaugrana se sont croisés (Adama Traoré, Xavi, Alves, Alba, Suárez…), le Barça tient l’essentiel : sa première victoire face à l’Atlético depuis 2019 et un retour à deux points du podium. Xavi, lui, tient une idée à potentiellement renouveler.
Par Maxime Brigand