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Supporters : la flamme ravivée ?
Les ultras seront-ils les grands gagnants de la période du Covid-19 ? Quand le petit monde du football se déchire dans les assemblées générales de la LFP autour de sordides intérêts, les supporters ont su se montrer sous leur meilleur jour : solidaires, responsables, éthiques. Est-ce pour cette raison qu’aujourd’hui, l’Assemblée nationale s’empare enfin du sujet des fumigènes ? En tout cas, en ce beau mercredi de mai, Marianne regarde avec un peu plus d’amour ses enfants terribles des gradins.
Le débat peut certes sembler décalé en cette période. Mais oui, l’Assemblée nationale a consacré quelques-unes de ses précieuses minutes ce mercredi à examiner et débattre du rapport, commandité par sa Commission des lois, de la mission d’information sur « le régime des interdictions de stade et le supporterisme » rédigé par les députés Sacha Houlié (LREM) et Marie-George Buffet (PC). Beaucoup de termes pompeux et institutionnels, mais qui laissent entrevoir, qui sait, le sérieux de l’affaire. Les conclusions qui en ont filtré font déjà chaud au cœur à tous ceux qui depuis des années dénoncent la situation « hors normes » que subissent les supporters de l’Hexagone.
Il était temps que la représentation nationale s’empare du sujet, de ces « lois d’exception » qui se sont accumulées sur le dos du peuple des gradins depuis des décennies désormais, sans faire jusqu’à présent grincer les dents des défenseurs des droits de l’homme, y compris quand ils portent une écharpe de leur club. Pour mémoire, Édouard Philippe avait reconnu ouvertement s’être largement inspiré de cet arsenal juridique au moment de façonner puis justifier sa loi anti-casseur dans la traînée de cendres et de soufre des gilets jaunes.
L’échec du tout-répressif
Jusqu’à présent personne n’avait pris la peine d’évaluer le résultat de toutes ces mesures, souvent liberticides. Notamment de leur objectif premier : la lutte anti-hooligan. Pas grand monde non plus pour se positionner du côté des citoyens concernés. Le constat du rapport est du coup sans appel, celui de l’échec de « la politique du tout-répressif » et de « l’usage extensif » pour ne pas dire abusif des interdictions administratives de stade (IAS). Avec des termes qui ressemblent parfois à s’y méprendre à certains tracts de groupes ultras qui tournent en PDF sur les réseaux sociaux : « Conçue initialement pour lutter contre la violence des hooligans dans les stades, l’IAS est largement utilisée pour sanctionner des supporters pour d’autres faits, principalement la détention ou l’usage des fumigènes. »
Le rapport n’oublie pas de dénoncer sans ambiguïté l’interdiction quasi généralisée des déplacements. « De nombreuses préfectures utilisent ces mesures de police administrative par commodité, pour leur permettre de préserver des effectifs de police aux dépens de la liberté d’aller et venir de certains citoyens, sous prétexte qu’ils avaient le statut de supporter », regrettent les rapporteurs.
Une loi pour et non contre les supporters ?
Maintenant l’essentiel : que va-t-il en rester ? Là où il est possible de se rassurer, c’est que ce document s’inscrit dans la continuité d’une légère inflexion des pouvoirs publics depuis quelques mois, aussi bien du côté du ministère des Sports avec l’instauration d’une structure collégiale de concertation (l’Instance nationale du supportérisme), que de l’exécutif au sens large (le Premier ministre ayant demandé d’autoriser davantage la venue des fans extérieurs). Cette timide ouverture de la République se heurte toujours à la muraille de la FFF et surtout d’une LFP qui a les yeux tournés vers les actionnaires et vers les sanctions de l’UEFA, notamment en cas de fumigènes (interdits il est vrai aussi par le Code du sport). Ce dernier point n’est pas le moindre, tant il a valeur de symbole et de test grandeur nature pour tous les partenaires impliqués. Favorable à « un usage encadré », le rapport recommande d’« ouvrir la voie vers la légalisation » de l’utilisation de ces engins pyrotechniques.
Et voilà mis sur la table la question d’un débouché législatif. Et donc du poids de ce travail parlementaire. Finira-t-il par être intégré dans le corpus de la future loi sur le sport, dont le Covid-19 a certes décalé sûrement l’agenda. Il faut surtout espérer qu’un gouvernement qui a su imposer la fin des championnats malgré les larmes égoïstes des clubs pros saura faire preuve de la même fermeté face à la noblesse du foot pro pour défendre les droits du tiers-état des kops et des virages.
Par Nicolas Kssis-Martov