- La vie des supporters de Brest
Supporter de Brest : mode d’emploi
Les supporters de France à l’honneur sur sofoot.com. Nous sommes partis à la rencontre de ceux qui font vivre nos stades, qui célèbrent pour leur club, qui pleurent pour leur club. Bref, ceux qui vivent pour leur club. Aujourd’hui, c’est au tour d'irréductibles du beau jeu nichés tout au bout du monde : les supporters brestois.
#1 - Pakito
Pakito
Supporter depuis 1991, ancien leader des Ultras brestois
« Comme beaucoup, j’ai commencé à aller au stade avec mon père. Ce n’était pas un supporter acharné, mais il aimait le foot. Puis, à l’adolescence, j’ai commencé à me rendre à Le Blé tout seul ou avec les copains, à une époque où on ne gagnait plus grand-chose, dans les années 1990. J’avais vu un ou deux matchs du Brest Armorique avant la liquidation (en 1992), mais je garde peu de souvenirs précis. Quand je commence vraiment à suivre Brest, on est en D3. Le public commence à déserter les travées, j’arrive un peu après la guerre. Mais quand tu es gamin, tu ne te rends pas compte de tout ça. J’ai connu la D3, la CFA… Il y avait même une période où il devait y avoir 200-300 spectateurs seulement dans les tribunes. Quand tu t’es fait chier à voir des matchs contre Saint-Denis Saint-Leu ou Noisy-Le-Sec, tu apprécies de voir ton club en première division aujourd’hui. Mais ces périodes ont participé à la construction de ma vie de supporter.
Dans la vie en tribunes, tu as un code fraternel. Ce sont des gens avec qui tu passes des week-ends entiers. J’en ai connu des histoires rocambolesques, mais il faut plutôt vivre ces moments que de les raconter. Mais je peux parler de mon premier gros déplacement marquant : c’était à Guingamp, chez l’ennemi, pour le retour du Stade en D2. Tous les anciens parlaient de ce qui s’était passé en 1991, tu viens un peu pour prendre la relève, te faire ta propre histoire. J’avais 20 piges à cette époque. Ensuite, j’ai un peu tout fait chez les UB, mais il n’y a pas besoin d’être ultra pour être fier d’être brestois. Cette ville a une histoire : l’arsenal, la ville rasée et bombardée pendant la guerre… C’est une ville qui porte des souffrances, les habitants aiment bien se plaindre, mais pas trop quand même, car après tout, on s’en fout des autres. La seule chose qui compte, c’est Brest.
Il m’est arrivé de pleurer, c’était lors d’un Brest-Tours pour notre retour en première division. Là, j’ai lâché une larme parce qu’on avait cette satisfaction de retrouver le club là où on estimait qu’il devait être. La liquidation, ça a marqué les gens, même ceux qui ne l’ont pas connue. C’était à la fois émouvant et difficile parce que c’est tombé au moment du conflit avec la mairie qui avait le projet de déplacer les supporters visiteurs en tribune Quimper… C’était impossible pour nous, c’était de la folie pure de laisser la route de Quimper et la devanture du Péno aux visiteurs. Du coup, je n’ai pas trop réussi à apprécier cette montée, c’était dur. Et finalement, on a versé une nouvelle larme deux ou trois jours plus tard quand on a su que le projet était retiré. C’était un soulagement, c’est peut-être le moment le plus émouvant que j’ai connu en tant que supporter. »
#2 - Alain
Alain
58 ans, l’un des gérants de la page « Ici c’est Brest 2010 »
« Mes premiers flirts avec le Stade brestois ont eu lieu dans ma jeunesse. À l’époque, Francis-Le Blé était encore plus rustique qu’il ne l’est aujourd’hui, mais la ferveur était déjà présente. Bien souvent, il y avait autant de spectacle dans les gradins que sur le terrain. Vu que le fils du médecin du club était mon pote, j’arrivais souvent à avoir des places. C’était folklorique, certains arrivaient totalement torchés aux matchs et lançaient des chants avec leur langage Ty’Zef (l’argot local, NDLR). Ado, j’ai commencé à conserver des archives. Au début des coupures du Télégramme, puis ça a pris de plus en plus d’ampleur. J’ai tous les articles concernant le Stade brestois depuis 1978. Quand j’ai commencé, je faisais même des recueils, je découpais, je collais ce qui me permettait de faire des albums. Aujourd’hui, il y a le numérique, donc c’est bien plus facile.
J’ai vécu la première montée du Stade brestois en Division 1 en 1979. Dans la ville, tout le monde parlait de l’équipe. Un de mes collègues avait même loué un appartement qui surplombe le stade pour pouvoir être aux premières loges et déguster des bières depuis le balcon avec une vue panoramique. La saison d’après, on a la chance de voir débarquer Drago Vabec, un avant-centre croate. C’était un régal, ce mec, il a ridiculisé Luis Fernandez, Gérard Janvion. Les gens venaient au stade pour le voir. C’était un joueur extraordinaire comme on n’en verra plus à Brest. Il y a des grands noms qui sont passés par Brest comme David Ginola, Roberto Cabanas, Franck Ribéry. Mais à Brest, tu peux être un nom sur le terrain, mais si tu ne mouilles pas le maillot tu n’as pas ta place. Chez nous, on connaît deux numéros 14 : Johan Cruyff et Maurice Bouquet, car ce dernier s’arrachait toujours sur le terrain. Après tout ça, comment veux-tu ne pas tomber amoureux de ce club ?
J’ai un souvenir d’une série noire qu’on traversait en 2013. J’étais marin à Toulon. Je me suis tapé 1400 kilomètres pour aller voir le dernier match de la saison de Ligue 1 du Stade dans l’espoir qu’on gagne enfin un match. Résultat, on s’est fait taper, et j’ai assisté à la onzième défaite consécutive. Quand on est passionnés, on ne compte pas les heures de bagnole. Avec des potes, on faisait pas mal de déplacements, de vraies expéditions. Ça nous permettait aussi de faire du tourisme, on découvrait de nouvelles villes, mais aussi les supporters adverses qui nous accueillaient souvent très bien. Je me rappelle qu’on s’est fait payer des coups au Red Star. C’est un package, il y a le match et tout ce qui va autour. »
#3 - Nolwenn
Nolwenn
23 ans, supportrice, joueuse et employée de la boutique du Stade brestois
« Je suis une Brestoise pure souche, née à Brest. C’est ma famille qui m’a transmis la fibre du Stade brestois. Très tôt, à l’âge de 7 ans, j’ai pu assister à mes premiers matchs. 16 ans plus tard, ma passion est toujours intacte, elle s’est même renforcée, puisque je joue aussi pour les féminines du SB29. Francis-Le Blé, c’est un stade que j’aime bien. Bon, c’est vrai que pour se garer, c’est une galère, mais c’est en plein centre-ville, on est proche du terrain et des joueurs. La tribune Quimper (où se trouve le kop, derrière le but, NDLR) me fait toujours vibrer. L’ambiance est incroyable et elle commence petit à petit à contaminer les autres tribunes. Avant la Covid-19, il y avait un réel engouement comme j’en ai rarement vu avant. D’ailleurs, il y a de plus en plus de femmes qui sont dans les gradins. Avant, il y avait des places offertes pour les femmes, aujourd’hui ça n’existe plus parce qu’il y a bien plus de femmes dans les stades, c’est top ! Je pense que c’est en partie dû au fait que l’ambiance est bien plus familiale, moins hooligan.
Étant donné que je suis vendeuse à la boutique, mon quotidien c’est le Stade brestois. Au début, je me souviens que ce n’était pas simple parce que quand les joueurs venaient à la boutique pour signer des autographes, j’avais du mal à cacher ma joie, ça me faisait tout drôle de croiser mes idoles dans le magasin. Maintenant, je m’y suis fait. Finalement, c’est des humains, comme vous et moi. Bon, j’avoue que des fois, c’est un peu trop, mais l’amour que j’ai pour le club me permet de ne jamais me lasser. Mon seul regret avec cet emploi, c’est que je travaille lors des matchs, donc je ne peux plus voir les rencontres en entier depuis deux ans. Je bosse avant le match et à la mi-temps donc je dois me contenter de petits bouts de rencontre, c’est frustrant de ne pas vivre le match à fond. »
#4 - Nicolas
Nicolas M.
Supporter de 33 ans expatrié à Québec depuis 2015, plus connu sous le nom de @MechTuyot sur les réseaux et le site Hors jeu
« C’est une construction qui s’est faite lentement. Je suis né à Landerneau, j’ai vécu à Brest jusqu’à mes dix ans, puis je suis parti vivre à Tahiti pour le boulot de mon père qui travaille à l’arsenal. J’y ai passé cinq ans de ma vie pendant une période très creuse pour le SB29 (1998-2003). Quand tu es à l’autre bout du monde, c’est difficile de suivre un club qui n’est pas dans les divisions supérieures. C’est arrivé plus tard, à l’université, quand j’ai commencé à aller au stade avec des copains. Et je me suis pris au jeu. Mon grand souvenir, c’est le but de Romain Poyet contre Saint-Étienne. Je crois que je le regarde au moins une fois par mois, probablement plus. Sur la dernière décennie, on a vu quelque chose se construire. Le but de Nolan Roux contre Rennes, où tout le stade s’arrête avant d’exploser, ça fait quelque chose. Bon, on a vu un sacré paquet de purges aussi. Je pense à l’année de la descente quand tous les matchs étaient perdus d’avance… C’est tellement douloureux comme sentiment. Je devrais me réjouir que ça arrive à Guingamp aujourd’hui, mais j’ai plus de compassion que de plaisir à les voir vivre ces moments.
Ce qui caractérise bien Brest, c’est que ce ne sont pas les meilleurs joueurs qui vont s’en sortir. Un gars comme Bruno Grougi, il s’est pris au jeu de la ville. Toujours souriant, toujours agréable. Comme Alex Dupont, qui avait ses bons et ses mauvais côtés. Il y a besoin de ce genre de personnes avec lesquelles la proximité est possible. Tiens, j’ai même reçu un message de la part des joueurs pour la naissance de mes filles. Bruno Grougi m’avait aussi adressé ses félicitations, ça fait toujours plaisir.
Depuis août 2015, je suis à Québec. J’ai appris à m’adapter, à vivre les matchs autrement, les regarder en différé. Quand on était en Ligue 2, ça tombait sur mes heures de boulot le vendredi après-midi avec le décalage horaire. Je n’arrivais pas à me ménager le suspense, je regardais le match en connaissant déjà le score, les buteurs, les minutes. C’est une dynamique différente. Les défaites sont peut-être encore plus frustrantes à distance, ce sont des émotions en différé. Ce qui est marrant, c’est que ça a influencé ma vie de façon globale. Maintenant, quand je regarde une série, je peux aller regarder tout ce qui va se passer sans que ça ne me gâche le visionnage. Ça ne me dérangeait pas de savoir qui allait mourir dans Game of Thrones. Mais à Québec, il faut dire que c’est compliqué de suivre Brest sans que ce soit en streaming. Tu peux aller dans un bar avec 50 écrans, ils vont préférer passer une vieille course de Nascar plutôt qu’un match du SB29. Le seul endroit, c’est le Troquet-sport du Billig sur la rue Saint-Jean, où j’ai pu aller voir quelques rencontres. L’expression des émotions se fait plutôt sur les réseaux sociaux ou dans des conversations privées avec les potes quand on est loin. Je rentre trop peu pour aller souvent à Le Blé, mais c’est terrible de savoir que les gens ne peuvent pas y aller. Le stade vide, ça ne me donne pas envie. J’ai plus de plaisir à écouter les matchs à la radio sur France Bleu en ce moment. »
#5 - Jacques
Jacques
53 ans, supporter du SB29 de père en fils
« Ça fait 40 ans que je suis supporter de Brest. Je me souviens bien de mon premier match à Francis-Le Blé : Stade brestois-Valenciennes, fin des années 1970, j’avais une dizaine d’années. Ma passion s’est construite petit à petit. C’est surtout mon père qui m’a transmis son amour pour les Ty’Zef. Quasiment tous les samedis soir, on partait à deux ou trois voitures de Landivisiau avec mon père et ses potes, mes potes. On partait avec le casse-croûte, la boisson, c’était un peu l’expédition. Aujourd’hui, c’est un souvenir commun avec mon père, c’est un rapprochement constant. C’est un lien qui unit les générations et qui nous rapproche. Pas plus tard qu’hier, je l’ai eu au téléphone pour lui débriefer la rencontre qu’il n’a pas pu voir parce qu’il n’a pas la chaîne. D’ailleurs, c’est un vrai déchirement pour lui. Cette saison, il n’a pu voir qu’un match de Brest à la télé, celui contre le PSG…
L’origine de ma passion pour le Stade est familiale et amicale. Je pratiquais du foot en club aussi, mais à mon sens il y a autre chose qui a exacerbé mon attachement au club : à l’époque, il y avait beaucoup moins de matchs retransmis sur le petit écran. Quand on se déplaçait au stade, c’était un événement. Ça rendait les rencontres plus rares et plus appréciées que maintenant. Même quand j’étais à la fac, Francis-Le Blé, c’était la première étape d’une soirée. On allait boire des coups avant et après. En fonction de l’issue de la rencontre, c’était plus ou moins festif.
Il y a une continuité parce que maintenant, j’y vais avec mon propre fils. C’est déjà un footeux, donc j’ai essayé de pas trop l’influencer dans son choix d’équipe. J’imagine que même inconsciemment, mon attachement au club a joué un peu, on n’est jamais vraiment neutre. Ensemble, on regarde les matchs de Brest à la télévision, à défaut de pouvoir aller au stade. Bien qu’étant lorientais pur beurre, mon fils m’a dit à plusieurs reprises que l’ambiance entre le Moustoir et Francis-Le Blé est incomparable. Mais il n’est pas le seul à le dire, puisque même les joueurs passés par les deux clubs s’accordent à dire qu’il n’y a pas photo. Les Lorientais sont plus spectateurs que supporters, c’est une vraie différence. Ce qui fait que ma passion reste intacte après tant d’années pour ce club, c’est la bonne image du Stade brestois. On ressent une certaine authenticité. Ça n’a pas toujours été le cas, dans les années 1980 sous l’ère Yvinec, il y avait une idée de gabegie financière. De nos jours, le SB29 est bien géré, le club véhicule de véritables valeurs. »
Propos recueillis par Clément Gavard et Thomas Morlec
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