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Super Seube
L’année 2017 est une année sombre pour les légendes : comme Steven Gerrard, Frank Lampard, Francesco Totti, Xabi Alonso ou Philipp Lahm, l’immense Nicolas Seube, 37 ans et quelques, va raccrocher les crampons en fin de saison. Joueur emblématique d’un seul club, le SM Caen, où il a passé plus de seize ans et disputé plus de 500 matchs, le défenseur représente aussi une certaine idée du football et des footballeurs. Portrait d’un homme qui manque déjà à la Ligue 1.
« C’est une connerie cette histoire de statue, je leur ai déjà dit ! Ça fait plaisir, et je suis fier du record d’apparitions, mais les statues à Caen, c’est Jeanne d’Arc et Guillaume le Conquérant… Je ne comprends pas qu’on fasse une statue d’un footeux, même si c’est Thierry Henry ! » Recordman du nombre de matchs officiels sous le maillot rouge et bleu, « malherbiste » depuis quinze ans et héros des supporters normands au stade ou sur Twitter, Nicolas Seube est déjà un monument du Stade Malherbe Caen. Au point que certains voudraient donc ériger une statue à sa gloire aux abords de D’Ornano. Car c’est officiel depuis mars dernier : « Seube, ce héros » raccrochera les crampons en fin de saison. Confortablement assis sur la terrasse de sa belle maison de Saint-Manvieu-Norrey, le jeune homme de 37 ans peut jeter un œil serein dans le rétroviseur, sur ces seize saisons au SM Caen partagées équitablement entre Ligue 1 et Ligue 2.
Les meilleurs moments ? « Les montées, d’abord, et la finale de la Coupe de la Ligue en 2005, même si on l’a perdue. Sans regrets parce qu’on perd contre un Strasbourg largement supérieur, avec Pagis et Niang devant… Mais on ne prépare pas cette finale pour la gagner, on n’était pas assez matures. » Et les pires souvenirs ? « Les descentes, parce que tout est remis en question, explique-t-il l’air soudain grave. Coach, staff, employés du club, il y a toujours des limogeages et de l’équipe première dépend la structure du club. Quelque part, on en a honte. »
Entre les lignes, Nicolas Seube tracerait une vie professionnelle assez ordinaire, émaillée de petits bonheurs et de grandes désillusions, de pots de départ et d’augmentations. Mais sa carrière, il l’a pourtant passée à côtoyer l’extraordinaire, dans son camp : « N’Golo (Kanté, ndlr), c’est le meilleur joueur avec qui j’ai joué. Personne ne le connaissait quand il est arrivé chez nous, et deux ans plus tard, il joue la finale de l’Euro et il est champion d’Angleterre avec une équipe en bois. Plus le temps passe, moins il est fatigué. » Ou celui d’en face : « La meilleure équipe que j’ai jouée, c’est le PSG des dernières années. Plus fort que le grand Lyon. On est l’équipe à qui ils mettent le plus de branlées, parce qu’on est une équipe joueuse, ou parce qu’on est nuls… On a essayé de les attendre, d’aller les chercher, mais ça va à une vitesse pas possible, ils réussissent tout. »
Pull à message
Des parents communistes
À l’entendre parler, Nicolas Seube serait un passager clandestin du foot professionnel, « sobre » , « rugueux » , « peut-être nul » , un Forrest Gump aux cheveux gras. Or, la thèse de l’accident ne tient pas : depuis son enfance passée à Portet-sur-Garonne, petite ville de la banlieue toulousaine connue pour son hypermarché Carrefour, Nicolas a toujours voulu être footballeur professionnel « ou barman, plus tard » . Le paternel est directeur des ventes du quotidien communiste L’Humanité, et toute la famille a sa carte au PCF. « Déjà très pris par le foot » , Nicolas a à peine le temps d’humer l’odeur des merguez à la fête de l’Huma, mais retient quelques principes. « Même chez les jeunes, j’aimais courir, défendre, aider le partenaire. C’est le résumé de ma carrière. » Une carrière qui ne s’envisage finalement qu’en collectif, comme pour ce tournoi disputé en moins de 13 ans à Hjørring, au Nord du Danemark, avec un départ en bus de Tournefeuille, commune de la banlieue sud-ouest de Toulouse. « On a mis deux jours et demi pour arriver là-bas, replace-t-il. Il y avait 54 terrains et 750 équipes, des moins de treize aux seniors, hommes et femmes confondus, une folie ! Vu qu’on était les plus jeunes, on a joué notre finale le dimanche à huit heures du mat’, et on a gagné le tournoi ! » À l’âge du poil au menton, Nicolas quitte le cocon familial pour le sport-études de Salies-du-Salat, à 70 kilomètres au sud de Tournefeuille. Ensuite, c’est le centre de formation du « Téf’ » et un bac ES passé dans des conditions idéales : « On était souvent deux ou trois par classe, ça aide ! »
Le tout frais bachelier intègre la CFA du TFC. « Jean-Luc Ruty, l’entraîneur, m’a dit que je devais jouer latéral gauche pour percer : les gauchers sont rares, les latéraux aussi. Ça me faisait chier, mais sans doute que j’avais des facultés d’adaptation » , admet-il. L’ancien gardien Fabien Audard a pris sa retraite en 2015 après douze saisons au FC Lorient. Il a rencontré Nicolas au collège de Salies-du-Salat avant de le retrouver au TFC. « C’était particulier, en CFA ou en DH, parce qu’on jouait contre des vieux, résume l’ex-gardien de but. On a pris des coups, mais on s’est forgés là-dedans. Lui comme moi, on n’était pas la priorité de Toulouse. »
Des performances que Nicolas tente d’expliquer aujourd’hui : « J’ai fait des troisièmes mi-temps avec des potes qui jouaient au rugby à Colomiers, et on croisait Galthié et Sadourny, bières à la main. Toulouse est une ville de fête, on s’en bat les roustons : un jean, un T-shirt, une paire de tennis et tu peux aller faire des paquito à la Bodega… Si tu décales à Bordeaux, il faut avoir le petit pull sur les épaules, la chemise, c’est pas pareil ! » Comme tant d’autres jeunes du coin, Seube et sa bande écument les bars de la place Saint-Pierre, et Fabien Audard n’est pas le dernier pour lever le coude : « Avec Nico et Patrice Maurel, on a fait les 400 coups ! On allait surtout dans cette boîte, Le Carnaval : on rentrait en s’habillant un peu n’importe comment. À la fin, on y allait carrément déguisés ! » Quand le TFC est relégué à l’issue de la saison 2000-2001, les trois compères sont poussés vers la sortie, avant même que le club ne dépose le bilan et reparte en National. Audard met le cap sur Bastia, Maurel sur Istres et le troisième sur Caen. Exilé en Normandie, Seube va devenir un homme.
« L’Espagne, ça m’aurait plu »
Là-bas, avec d’autres jeunes comme Sébastien Mazure ou Cédric Hengbart, Nicolas « découvre le métier » en observant Franck Dumas et Xavier Gravelaine, qui « pouvaient être tranquillou la semaine et compétitifs le week-end » .
Nicolas Seube
Né le 11 août 1979À Toulouse
Milieu défensif, défenseur latéralClub : SM Caen (2001-2017)Palmarès : champion de Ligue 2 (2010) Des exemples, oui, jamais des proches : « Parce qu’on n’est pas de la même génération, déjà, et parce qu’ils ont été mes supérieurs hiérarchiques. Franck a été mon entraîneur, Xavier est aujourd’hui directeur général. C’est un patron et moi, un simple ouvrier. » Arrivé latéral gauche, le Portésien connaîtra au fil des changements d’entraîneur la droite puis l’axe de la défense, avant de retrouver son poste de formation, au milieu. « Nico mettait le pied en match ou à l’entraînement, valide Patrick Remy, coach de Caen entre 2002 et 2005. Un garçon poli, bien élevé, souriant, mais un guerrier sur le terrain. C’était normal qu’il devienne un cadre de l’équipe par la suite. » Et un chouchou du public. Vice-président de l’association Malherbe Normandy Top, Sebuk n’échangerait son numéro 2 contre aucune starlette du PSG. « Il se bat sur le terrain, et c’est là-dedans que se retrouvent les Normands. En cela, on est plus proche de l’Angleterre que des pays latins parce que la star, c’est l’exemple : Nico met le pied, il va s’arracher à 37 ans pour stopper un contre, même si les mecs en face de lui ont vingt ans. » Un compliment que le joueur nuance d’un « je devais avoir de l’avance, alors » .
Pour toutes ces raisons et parce qu’il reste au club « surtout quand on descend » , ironise-t-il, Franck Dumas lui serre le brassard de capitaine autour du bras à l’été 2006. Pourquoi être resté si longtemps quand tant d’autres quittaient le Drakkar bleu et rouge ? « J’ai eu envie de partir quand on est descendus en 2009, précise l’intéressé. Sochaux puis Nice étaient intéressés, mais le président voulait me conserver. Puisque je n’ai pas d’agent, c’est ma femme qui a été le voir et il l’a inclus dans son discours :« Il ne faut pas que vous partiez. »La saison d’après, en Ligue 2, on a été premiers du début à la fin. » Seube reconnaît sans mal qu’il aurait sans doute pu quitter Caen s’il avait été plus demandé, ou courtisé par des clubs espagnols. Raisons familiales. « On parlait espagnol à la maison, parce que ma mère était espagnole et que ma grand-mère, qui vivait avec nous, parlait un mélange d’espagnol et de français. La langue, le teint hâlé, j’avais tout pour y aller sauf les pieds. Ça m’aurait plu, mais j’y vais en vacances, c’est déjà bien. »
Léopold Senghor et les virgules
C’est qu’au-delà de la pelouse, Nicolas s’épanouit à Caen, la ville où il a rencontré Marine, sa femme. « Quand on va en ville, c’est elle qu’on arrête toutes les trois minutes parce qu’elle est de Caen » , rigole le père de famille, qui a fini par perdre son accent : « Quand je parle avec les gens d’ici, je peux même dire « gôche » et pas « gauche », avoue le caméléon, avant de nuancer.
Mais dès que je parle avec ma famille, j’ai l’accent toulousain de suite ! Et quand je m’énerve c’est « putain », « con », « va chier », « tu me casses les couilles »… Chez nous, c’est des virgules ! » Une conception étonnante de la ponctuation qui ne l’empêche pas d’être considéré comme un Caennais d’adoption selon Sebuk, du Malherbe Normandy Kop : « Léopold Senghor l’est par exemple devenu, pourtant pas le portrait type du Viking. Avec le temps, les gens sont acceptés comme Normands : regardez les scores du Front national en Normandie. » Forcément flatté d’être comparé à l’un des chantres de la négritude, Nicolas fait appel à une autre référence culturelle : « C’est un peu comme dansBienvenue chez les Ch’tis. On est plus accueillants dans le sud-ouest, mais les relations ça va, ça vient. Ici, les gens sont durs, mais si on est amis, on est vraiment amis. »
Maître chien. Super Seube a cependant quelques reproches à faire. Il serait tout à fait épanoui si on lui épargnait certains clichés.
« Les gens sont parfois surpris que je parle ! Un peu comme pour les supporters, on se fait une mauvaise image d’un groupe de gens à partir d’une minorité : parce qu’on est footeux et qu’on gagne du blé, on snoberait les gens, on roulerait en grosses voitures noires ? On peut tout à fait être normal, aussi ! D’ailleurs, ma femme a toujours travaillé, et on lui reproche parfois, sous prétexte que c’est une « femme de ». Mais c’est nul, « femme de » ! » Et le Porsche Cayenne noir garé devant la maison ? « Les vitres ne sont pas teintées et d’ailleurs, je suis un peu déçu, je ne prendrai pas ça la prochaine fois. Mais j’ai des obligations familiales… » Notamment un fils qui laisse traîner des ballons un peu partout sur la pelouse qui entoure la maison familiale : « J’aimerais qu’il devienne meilleur que moi. Cette génération, ils bouffent du foot tout le temps et puis il a un accès privilégié en tant que « fils de », comme un fils d’acteur ou de réalisateur. En revanche, il préfère jouer à Caen qu’au Barça. »
Perrin, Danzé et… Francesco Totti
Esprit fin et observateur attentif du monde qui l’entoure, Nicolas Seube a conscience de faire partie d’une espèce en voie de disparition : « Loïc Perrin ou Romain Danzé sont un peu comme moi, même si je pense que si le Real Madrid nous avait voulus, on aurait fait nos bagages. Je peux m’identifier à Totti ou Gerrard dans la mentalité, mais ces mecs-là ne sont jamais partis, alors qu’ils étaient très convoités. J’aimerais qu’il y en ait plus, mais bon… » Peut-être bien la faute des médias, qui ne pointent pas leurs caméras, micros et objectifs sur la majorité silencieuse des joueurs de Ligue 1. « Les caméras préfèrent Aurier qui met un quart d’heure à mettre ses chaussures. À qui la faute ? Au joueur ? Plus il est con et plus il est médiatisé, alors… » L’ex-capitaine refuse pour autant de rejeter la faute sur ses collègues. « Le problème, c’est les valeurs qui leur sont inculquées, l’éducation qu’on leur donne et la société qu’on leur présente, où un mec vaut 20 millions d’euros parce qu’il a marqué un but. Les plus doués, ceux qui ont le plus la dalle, viennent souvent de milieux défavorisés, donc on achète les gens. Si les gamins étaient obligés de faire toute leur formation dans leur club formateur, il y aurait moins d’oseille et ça changerait les mentalités. Mais la volonté doit venir de tout le monde, politiques compris, et pas seulement des clubs. »
Une vision fraîche du football qu’il se verrait bien appliquer en entrant à la direction d’un club, son club, où il aurait évidemment (et encore) valeur d’exemple. À moins qu’il devienne entraîneur, un jour… « Ça me plairait d’animer un groupe, mais je ne sais pas si j’en serais capable. Je comprends que les mecs deviennent parano quand on voit comment la presse traite Emery : messie un jour, grosse merde quinze jours plus tard. » En attendant, les hobbys du futur jeune retraité sont bien ciblés : la famille, les restos et la picole. « C’est pas mal, non ? » Celui qui est encore joueur pour quelques jours regrettera sans doute une chose de sa panoplie de héros extraordinairement ordinaire. « Entendre un stade chanter son nom, ça fait… du bien, reconnaît le chouchou du public caennais.Ça donne des frissons, surtout quand on sait qu’on mérite les honneurs : c’est moins jouissif quand on a l’impression que c’est par habitude. Un peu comme dans une relation amoureuse. » Jeanne d’Arc ou Guillaume Le Conquérant ont-ils jamais connu ça, eux?
Par David Alexander Cassan / Photos: Renaud Bouchez et IconSport