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Steve Savidan : « Nos adversaires hallucinaient en nous voyant au PMU »
Quel meilleur parrain que Steve Savidan pour une fête du football amateur ? Aujourd’hui coach du FC Bassin d’Arcachon (D5), l’ancien éboueur devenu international français a accepté de suivre la rédaction de So Foot sur ce projet fou qu’est l’organisation de cette première édition du Vrai Foot Day, la première journée consacrée au foot amateur. À l’occasion de l’annonce de sa participation à l’événement du 13 octobre prochain, on en a profité pour revenir sur le meilleur de ses années de footballeur du dimanche. Deuxième partie.
Un jour, tu avais balancé cette phrase, pendant la période de transferts, qui m’avait marqué : « Moi, on ne m’achète pas, on me propose de travailler avec moi. » En fait, j’avais très mal pris le fait qu’un club me dise : « On te prête. » Je n’avais pas compris le système, en fait. Quand tu n’as pas les codes du foot professionnel, où tu es habitué à ces pratiques depuis ton plus jeune âge, c’est incompréhensible au départ. À l’époque, je voyais ça un peu comme de l’esclavage moderne. Parce qu’il y a de l’argent en jeu, tu es une valeur contractuelle. En soi, c’est peut-être toi qui as finalement tout compris en trouvant que cette marchandisation est anormale et en ne l’acceptant pas.
C’est anormal. Pourquoi un club te prête ? Parce qu’il espère que tu marches mieux ailleurs pour récupérer de l’argent, alors qu’il ne croit plus en toi ou qu’il t’a mal managé ! Même si je n’ai pas forcément les compétences pour me pencher un peu plus sur ce système, c’est un truc de fou. On accepte des choses dans le sport qui ne seraient pas tolérées dans d’autres domaines parce que c’est du sport. On accepte que des gamins de dix-huit ans soient marchandisés mondialement, alors que c’est le même délire que des gamins qui fabriquent une paire de Nike en Indonésie ! Je dis ça sans plus de réflexion, d’une manière brute, mais les sportifs doivent être très forts pour accepter en permanence de faire leur place dans ce système, d’être tout le temps mis en concurrence, de prendre le risque d’être mis sur la touche du jour au lendemain. Moi, j’ai connu une période où l’on pouvait avoir une seconde chance. Aujourd’hui, c’est très compliqué de l’avoir.
Après être descendu à Angoulême, tu es ensuite parti à Valenciennes qui évoluait en National.Valenciennes était entraîné par Daniel Leclercq. Le club me pistait et m’avait même proposé de les rejoindre en cours de saison. Cela ne s’était pas fait, car on ne pouvait pas être transféré dans un club de la même division en amateur. J’avais dit à Daniel Leclercq que le projet m’intéressait sous réserve que je ne reste pas à Angoulême. Avec ma femme, on a décidé de se donner une chance, même si c’était seulement pour le boulot qu’on allait à Valenciennes. Financièrement, la proposition n’était pas attrayante, mais le projet me parlait, l’identité locale est forte et il y a un vrai public, je l’avais vu quand j’avais joué là-bas. J’y ai vraiment rencontré les bonnes personnes, qui ont vraiment compris ma philosophie de vie, avant de me faire comprendre ce qu’ils attendaient de moi.
Si tu avais eu sur la table un autre projet, sans ces valeurs-là, tu aurais refusé ? Je ne sais pas du tout. Peut-être que tout était réuni pour que j’y aille à ce moment-là. À Valenciennes, le projet était intéressant, mais je me suis quand même posé beaucoup de questions. Depuis le début de ma carrière, je changeais tous les ans de club, je jouais coup par coup, j’avais connu beaucoup d’échecs. C’était la possibilité de connaître une nouvelle aventure, mais je naviguais à vue, j’avais un enfant, et ma femme commençait à en avoir marre de déménager tous les dix mois. On ne gagnait pas spécialement bien notre vie et c’était difficile pour elle de devoir retrouver un travail chaque fois, surtout que l’on arrive généralement en périodes creuses. Beaucoup ont arrêté parce qu’ils en avaient marre de déménager, de ne pas avoir de stabilité.
Et tu étais pro en passant d’Angoulême à Valenciennes ? Non, en National tu as toujours le statut d’amateur. On est semi-pros. Et dans la tête, je ne me considérais pas comme un pro. Je savais que ça allait « piquer » un peu plus en arrivant au club, mais Daniel Leclercq avait une méthode de management que j’adorais, il était très distant et il pouvait te toucher au plus profond. Parce qu’il a un parcours de vie qui te casse la gueule quand tu discutes un peu avec lui. Puis l’année que l’on a vécue avec lui, elle était sentimentale d’un point de vue footballistique. Quand il se barre en plein milieu d’un match et qu’il te dit après : « Je m’emmerde avec vous, je préfère être avec ma femme qui est malade » , ça te fait réfléchir et relativiser. Cette année-là, on ne perd que quatre fois et on monte. Est-ce que cela peut s’expliquer par le maillage de nombreux joueurs qui avaient multiplié les déceptions ? Ou est-ce que c’est le milieu, la région dans laquelle on évoluait, le staff ?
Tu sens que tu en fais plus cette année-là en matière d’investissement ? Pas vraiment, mais je me diversifie. Je comprends un peu plus ce qu’il se passe autour de moi. J’ouvre mon restaurant, je m’entoure mieux, je m’intéresse plus aux gens d’autres milieux. J’ai le temps d’avoir des réflexions sur plein de sujets. Le temps que je passe à Valenciennes fait que je peux nouer des amitiés.
Donc tu considères que tu as réussi en te focalisant sur le côté social plus qu’en renforçant ton exigence dans le sportif ?
Le bonheur au travail, c’est tendance. J’étais peut-être un précurseur. (Rires.) Après cela a pu provoquer quelques engueulades avec l’entraîneur, Antoine Kombouaré. Aujourd’hui encore, il me répète : « J’ai rarement connu des mecs comme toi. » Cette année-là, je bossais en parallèle dans mon restaurant, le K9, je déposais mon petit à l’école le matin, on faisait des soirées… Mais en revanche, tout se faisait en équipe. On avait des résultats, mais je pense que c’était dur pour le coach. Il organisait tout, il essayait de tout faire pour que tout se passe bien, mais on ne rentrait pas vraiment dans un cadre. C’était très complexe, la Ligue 2, parce qu’on survole le championnat, on sent qu’on va arriver en Ligue 1, alors qu’aucun joueur dans l’équipe n’y a joué hormis Maxence Flachez. On sentait avec les mecs qu’on allait connaître quelque chose que l’on n’était pas du tout destinés à connaître. Au niveau financier, on sentait aussi la différence et ce n’était pas négligeable. Quand Valenciennes est arrivé en Ligue 1, vous étiez décrits comme l’équipe aux deux montées en deux ans, mais aussi comme une équipe de revanchards, qu’est-ce que cela t’inspirait ? C’est un peu ça, quatre joueurs qui venaient du National étaient titulaires en Ligue 1 : José Saez, Rudy Mater, Eric Chelle et moi. Les autres joueurs venaient principalement de Ligue 2. En Ligue 1, les à-côtés du foot vont trop vite et heureusement que l’on était plusieurs à arriver du National, car on aurait pété un plomb, sinon. Le club avait un peu peur de nous, parce qu’on était libres. Ce que l’on avait vécu en National, on le vivait pareil en Ligue 1.
Tu as des exemples précis ?Moi, j’avais mon restaurant. Je me baladais dans la ville. Au début, quand j’ai commencé à jouer en Ligue 1, je n’allais plus faire les courses avec ma femme. La médiatisation commençait à devenir trop gonflante, pas pour moi, mais pour ma famille pour qui ça devenait une contrainte. À l’école, avec mes enfants, ça commençait à devenir un peu tendu.
Ils sont complètement oubliés ? La prof, elle ne va plus parler à ton enfant, elle va te parler à toi ?Même toi, parfois, tu oublies ta famille. Remplaçant ou titulaire, tu es dans un système dans lequel tout est pour toi. Quand j’étais dans la ville, il n’y avait pas de soucis. Mais dès que je sortais de Valenciennes, je prenais vraiment conscience de l’impact médiatique : les gens me reconnaissaient. Être connu dans ta ville, c’est pareil, que tu joues en Ligue 1, en DH ou en National. Mais dès que tu sors de ta zone de proximité, tu ne pouvais plus faire les mêmes choses. En plus, les réseaux sociaux commençaient à progresser. Ce n’était pas encore comme aujourd’hui, mais tu ne faisais déjà plus les mêmes soirées.
Tu vérifies si les gens ne sont pas en train de te prendre en photo ? Tu cachais ta clope ? Comment ça se passait ?
Tu sais quand quelqu’un va te filmer discrètement, tu sais quand quelqu’un va prendre une photo de toi. C’est quelque chose que tu sens, et que ton entourage voit. On a passé des mauvaises soirées parce que ton entourage très proche, tes amis, observent tout ce qu’il se passe autour. On n’est plus là pour profiter de la soirée, mais on en vient à se dire qu’il faut y aller, qu’il faut partir. Ça a été dur à gérer, cette période ?Pour moi, non. Pour mes amis autour, voire pour ma femme, peut-être plus. Mais c’est complexe, parce qu’au fond, c’est ce que tu veux et tu es payé pour. Il n’y a pas de pitié : tu es un produit. Un jour, je m’en rappellerai toujours, on venait d’avoir notre premier fils et je parlais en terrasse avec mon épouse et un ami. On avait la poussette, et un type me demande s’il peut prendre une photo. Je dis : « Non, je ne peux pas. » Le type me répond : « Et est-ce que je pourrais prendre votre fils en photo ? » Tu as envie de lui dire : « Excuse-moi, tu n’as pas compris ? C’est quoi le délire en fait ? » Tu ne t’appartiens plus. Le problème, c’est que la barrière n’existe plus. Ma faute, c’est que comme j’avais fait sauter la barrière à Valenciennes, les gens pensaient que c’était pareil ailleurs.
À l’extérieur, tu devenais une attraction, alors qu’à l’intérieur, tu faisais partie du décor ?Oui, c’est ça. À tel point que même les joueurs qui arrivaient à Valenciennes pour signer hallucinaient en nous voyant aller au PMU, prendre notre café en terrasse tranquillement. Les joueurs qui arrivaient de clubs de Ligue 1 pétaient les plombs, pensaient qu’on était tarés. En arrivant au stade, on arrêtait le bus pour prendre un café sur la terrasse du café juste à côté. On s’arrêtait pour dire bonjour aux gens.
D’ailleurs, à ce moment, lors de la deuxième saison, quand tu renégocies ton contrat, j’imagine qu’il est bien différent de ce que tu avais signé auparavant ?En fait, il n’est pas renégocié à la fin de la première saison. Il avait été négocié en amont en cas de maintien et en fonction de la réussite ou non des objectifs. Mais il était déjà très différent : déjà, tu ajoutais des 0.
Et comment tu réagis quand tu vois que tu gagnes beaucoup plus que le commun des gens ?
Tu te dis que ça te permet de faire les choses différemment. Ça te permet de faire plus plaisir à tes amis, à ta famille, ça te donne la possibilité d’accéder à plus de choses. Tu peux te faire plaisir à toi aussi, avec une bagnole par exemple. En fait, ce n’est pas toi qui considères les gens différemment, c’est les gens qui te considèrent différemment, car tu as accès à la richesse. L’argent ne te change pas fondamentalement, mais dans l’apparence, beaucoup. Tu ne deviens pas plus prétentieux, ou plus pédant, mais comme tu ne fais plus les mêmes choses, les gens peuvent se dire que tu as changé.
Tu avais connu les galères avant, aussi. Les jeunes qui arrivent aujourd’hui et qui gagnent directement ces sommes, ils n’ont peut-être plus conscience de la réalité ?Mais ils n’ont pas à l’avoir. Quand tu touches 50 000 euros par mois à 19 ans, ça devient ta norme. Le gamin, depuis 13 ans, il est dans un système.
Mais le gamin n’a jamais connu l’insouciance. On le prive d’insouciance. J’ai l’impression que dans le football amateur, le plaisir est dans le foot, alors que dans le foot pro, le plaisir est en dehors, avec le salaire qu’on te file. La question, c’est plutôt : « Est-ce que les mecs prennent du plaisir ou est-ce qu’ils doivent en prendre ? » En quoi la pratique du foot doit apporter du plaisir ? Elle n’est pas obligée. On peut même pousser le raisonnement jusqu’au bout : est-ce qu’il faut aimer quelque chose pour bien le faire ? Je ne sais pas. Mais l’activité sportive, l’envie de gagner, le dépassement de soi, je pense qu’un grand sportif, dans n’importe quel sport, sera compétiteur. La seule question est de savoir s’il a les compétences, s’il va y arriver ou pas. Donc aujourd’hui, les joueurs ne sont plus dans l’obligation d’aimer, avec tous les paramètres économiques qu’il y a autour. Il n’y a plus de place pour le sentiment.
Il y en a moins. Aujourd’hui, le salaire compense le sentiment.Mais la comparaison ne peut pas se faire. C’était notre norme. Le meilleur buteur de Ligue 2 que j’ai connu touchait 100 000 francs. Le meilleur buteur de Ligue 2 aujourd’hui doit gagner entre 80 000 et 100 000 euros. Ce n’est pas si différent, mais la norme a changé. On ne leur demande pas aujourd’hui les mêmes choses qu’avant. La pratique n’est pas la même non plus. Ils ont des GPS au cul toute la journée. Sur le terrain, ils connaissent exactement les déplacements qu’ils doivent faire. Leur calcul d’effort est fait, leur sommeil est géré par des montres. Je n’arrive pas à concevoir si je prenais du plaisir avant. Le plaisir, il n’est présent que quand il fait beau et que tu t’entraînes. Mais quand il fait moche et que tu vas courir pendant 15 bornes, est-ce c’est encore du plaisir ? La notion de plaisir, en plus, est individuelle. Je ne sais pas si le joueur a l’obligation de prendre du plaisir et s’il n’en prend pas, si c’est bien ou mal.
Propos recueillis par Andrea Chazy et Maxime Marchon