- Mondial 2022
Sidney Govou : « Si j’étais proche de Deschamps, je lui dirais d’arrêter »
Invité par la FFF et présent dimanche au Lusail Iconic Stadium, l’ancien attaquant des Bleus et actuel consultant pour Canal+, Sidney Govou (49 sélections, 10 buts), a été un observateur attentif de la finale de la Coupe du monde perdue par l’équipe de France face à l’Argentine aux tirs au but. Le Lyonnais, protagoniste malheureux de l’épopée 2006, a un avis bien arrêté sur la finale de Lusail. Spoiler : pour Govou, Randal Kolo Muani a bien réalisé le bon geste face à Emiliano Martínez.
Qu’as-tu globalement pensé de cette finale de Coupe du monde ?C’est une finale exceptionnelle, de par la dramaturgie du scénario. L’équipe de France fait un non-match pendant 80 minutes, avant de revenir au score grâce à Kylian Mbappé. De nouveau menée en prolongation, elle revient encore grâce à Mbappé. Puis l’Argentine qui l’emporte finalement aux tirs au but : seul le football peut procurer de telles émotions. Maintenant, si on décide de parler de jeu, il s’agit encore d’autre chose…
Les Bleus sont passés par à peu près tous les états. N’était-ce pas prévisible, sachant que le point fort de cette équipe était les contre-attaques et qu’Olivier Giroud n’est pas forcément le plus pertinent dans ces phases de jeu, notamment en matière de mobilité ? La France avait déjà eu ce problème de construction offensive, surtout face à l’Angleterre, mais aussi face au Maroc… Olivier Giroud a quand même marqué le but victorieux face aux Anglais, ne l’oublions pas. On sait qu’il est efficace face au but, mais pas forcément influent dans le jeu. Mais en utilisant Giroud comme ça, tu perds aussi un peu Mbappé, qui s’excentre énormément et perd de son influence. Ça fait deux joueurs qui deviennent « quasiment » inutiles. Et à ce niveau-là, ça se paie. Mais il est facile après coup de dire « on aurait dû » , par exemple, mettre Marcus Thuram à la place de Giroud. Je pense que Didier Deschamps avait fait les bons choix. Voilà.
Ousmane Dembélé risque, malheureusement pour lui, de se souvenir de ce match pendant très longtemps…Ousmane Dembélé n’a pas été bon, c’est sûr. C’est un joueur qui est hyper talentueux. Mais comme je le dis souvent, il fait partie de ces joueurs, comme Kingsley Coman et d’autres, qui pour moi, n’ont pas la notion de plaisir dans l’effort. Ce sont de très bons joueurs de ballon, mais on a l’impression qu’ils n’ont pas cette notion de gagne ultime. D’aller chercher, de se faire mal pour gagner. D’un autre côté, je n’en veux pas tant que ça à Ousmane Dembélé parce que ce que Didier Deschamps lui a demandé, c’est-à-dire défendre, est à contre-courant de ce qu’il est.
N’était-il pas trop tendu ?Là réside la problématique du joueur de football : il veut toujours paraître super cool, détendu, tranquille. Ça reste un être humain normal en fait, qui a le droit de ressentir du stress ! On a l’impression que parce qu’on voit souvent les joueurs de football en train de rigoler, de plaisanter, ils sont toujours ultra détendus. Les joueurs de football sont des gens stressés. Certains sont réellement détendus, d’autres ne le sont pas. Et Ousmane Dembélé, sous ses airs d’ultra cool, il subit aussi le stress, et là, ça s’est vu. J’ai toujours dit que Dembélé était un joueur sensible et que ça se voyait. Pour moi, il est évident que c’est un joueur qui a besoin d’affect. Il s’agissait aussi d’une finale de Coupe du monde, on n’en vit pas tous les jours… Jouer des gros matchs de Ligue des champions c’est une chose, mais disputer une finale de Coupe du monde, c’est encore autre chose.
Sa faute sur le penalty n’était-elle pas une intervention de quelqu’un qui est hors de son match ? Elle pouvait sembler évitable…Encore une fois, il n’était pas dans son positionnement. Je pense qu’Ousmane Dembélé a été très collectif pendant cette Coupe du monde, il a essayé de faire ce qu’on lui a demandé de faire. Mais ce n’était pas son point fort. Quand un attaquant se retrouve plus souvent dans sa surface que dans la surface adverse, il arrive ce qu’il est arrivé là.
Qu’avez-vous pensé des entrées de Randal Kolo Muani et de Marcus Thuram ? Je les ai trouvés très bons. Cependant, je me suis refait le match dans ma tête aujourd’hui. Je pense qu’ils sont bons à partir du moment où Ángel Di María sort. Kolo Muani et Thuram entrent à la 41e minute : jusqu’au remplacement de Di María peu après l’heure de jeu, ils ne font pas grand-chose. Tout le monde va tomber sur Didier Deschamps et son coaching, mais en fait Lionel Scaloni s’est tout autant trompé. Peut-être que Di María était amoindri physiquement et ne pouvait pas finir le match. C’est quand il sort que l’on commence à exister dans le jeu. Les deux gamins qui sont entrés ont été bons, c’est certain. Mais ils n’ont commencé à faire la différence qu’à l’heure de jeu. Par ailleurs, en fin de temps réglementaire, je tiens à dire que Randal Kolo Muani avait fait le geste juste sur sa reprise du coup de pied droit. L’arrêt d’Emiliano Martinez à ce moment du match est à l’image de sa Coupe du monde : monumental. C’est une parade miraculeuse.
Ton avis sur la prestation de Kylian Mbappé ? Son triplé, ses deux penaltys et son tir au but, où il a battu Emiliano Martinez à chaque fois ? Qu’as-tu pensé de son match et de sa solidité mentale ?Je n’ai pas trouvé Kylian Mbappé bon dans le jeu. Je pense que comme Lionel Messi et cette Albiceleste qui joue pour lui, il faudra que dans le futur, l’équipe de France joue pour Kylian. Messi ne court que peu ou pas, mais il performe. J’ai l’intime conviction que si l’équipe de France, dans le futur, veut continuer à performer, elle va devoir jouer pour Kylian Mbappé. Il fera peut-être toujours moins d’efforts défensifs que les autres, mais il continuera à être décisif. Il l’a démontré : malgré son jeune âge, il a cette capacité à faire glisser la pression sur sa carapace. Quand tu as ce genre de joueurs, tu es obligé de faire avec et de lui donner les clés.
Cette finale de 2022 renvoie à celle de 2006, perdue aux tirs au but face à l’Italie. Tu n’étais pas entré en jeu…En tant que joueur de haut niveau, j’étais déçu, pas bien, frustré de ne pas être entré pour aider mon équipe. Après, ce jour-là, il y a eu la fameuse blessure de Pat Vieira qui a changé la donne. On n’avait, et c’est aussi un détail important, droit qu’à trois changements. Quand tu ne joues pas du tout, la déception est encore plus forte quand tu perds la finale.
Didier Deschamps aurait visiblement envie de rester jusqu’à l’Euro 2024. Tu penses que c’est la bonne décision ?Je ne sais pas trop. Je pense qu’un changement de génération va s’amorcer : je trouve que ce serait l’occasion de changer d’entraîneur. C’est un avis personnel : je ne dis évidemment pas que Didier Deschamps ne mérite pas de continuer. Il a fourni du super travail à la tête de l’équipe de France. Je trouve que le changement de génération à venir mérite un changement de management et donc d’entraîneur. Si j’étais proche de Deschamps, je lui dirais d’arrêter. Et je ne vois personne d’autre pour le remplacer à part Zinédine Zidane.
Propos recueillis par Bruno Ahoyo