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Sébastien Puygrenier : « Les supporters du Zénith sont racistes, il ne faut pas se le cacher »
Passé par le Zénith Saint-Pétersbourg de 2008 à 2011, Sébastien Puygrenier connaît bien le premier adversaire de l’Olympique lyonnais dans cette C1 2019-2020. Bousculé par la polémique autour de Malcom à la suite des difficultés d’intégration liées à sa couleur de peau, le club russe a laissé de drôles de souvenirs au joueur formé au Stade rennais.
Bonjour Sébastien. Quels sont tes souvenirs de ton arrivée au Zénith ? Mon arrivée s’était bien passée. J’entamais ma première expérience dans un championnat étranger, mais j’ai très vite vu que cela changeait pas mal de choses au club. Avec mon coéquipier portugais Danny, nous étions les premiers Européens occidentaux à signer au Zénith. De fait, j’étais donc le tout premier Français à jouer chez eux. Dans le vestiaire, les joueurs parlaient russe et je ne savais parler que l’anglais ou le français, ce qui rendait mon acclimatation hyper compliquée. Quand tu signes au Zénith, c’est un peu comme si tu t’engages à l’OM ou au PSG en France. C’est un club phare de Russie avec une culture bien précise. Aussi, l’exigence était très forte. Ma chance, c’est que Danny soit passé par le Dynamo Moscou avant son arrivée. Il était donc plus à l’aise avec la mentalité russe et il m’a aidé dans mon intégration.
Comment est-ce que tu as perçu les différences culturelles qu’il pouvait y avoir entre la France et la Russie ? Il n’y avait pas de grosses différences, en fait. Je ne parle que de la ville que j’ai connue, mais il y avait très peu de diversité à Saint-Pétersbourg. Bon, l’un de mes meilleurs amis sur place était d’origine camerounaise, cela faisait plus de vingt ans qu’il était en Russie et il était très bien intégré. Mais globalement, il n’y a pas de blacks dans les rues. Et au club, il n’y en avait pas du tout. Je n’étais pas choqué par cela, mais je sentais que ça changeait du vestiaire de Nancy. En vrai, il y avait matière à se douter de quelque chose de louche : la saison précédente, le Zénith avait rencontré l’OM en Ligue Europa. Je me souviens qu’à Saint-Pétersbourg, Djibril Cissé et Charles Kaboré s’étaient fait prendre en grippe par le public avec des lancers de banane, des cris de singe. Quelques semaines après mon arrivée, des journalistes de France TV ont pris de mes nouvelles et ils ont tâté le terrain avec les supporters locaux. Pour les fans, c’était clair : aucun joueur de couleur ou d’origine africaine ne devait intégrer l’équipe. Dix ans plus tard, cela n’a apparemment pas beaucoup évolué.
Qu’en pensaient tes coéquipiers étrangers de l’époque, les deux défenseurs coréens Don-Jin Kim et Ho Lee, mais aussi l’attaquant turc Fatih Tekke ? Tekke jouait régulièrement, il était apprécié par le coach (Dick Advocaat, N.D.L.R). Je n’ai aucun souvenir d’un quelconque souci à l’échelle du club, et il avait même joué au Rubin Kazan par la suite. Pour les Coréens, j’ai souvenir de les voir très silencieux, respectueux… Ils se mettaient à l’écart, mais c’était leur fonctionnement. Plus tard, Bruno Alves s’était bien acclimaté aussi. Les supporters l’ont adoré et moi aussi en tant que coéquipier. Cela prouve que si le joueur n’est pas perturbé par l’entourage, qu’il encaisse et s’implique sans broncher, il peut se faire une place de façon légitime.
Pour sa première apparition avec le maillot du Zénith, Malcom a été reçu par une frange de supporters avec une banderole : « Merci aux dirigeants pour leur fidélité aux traditions. » Est-ce que tu as déjà été spectateur de ce type de situation en tant que joueur du championnat russe ?
J’ai le souvenir d’un match où j’étais en tribunes contre Terek Grozny.
Quand l’écran faisait l’annonce de la composition des équipes, il y avait des huées au moment où la photo d’un joueur à la peau noire apparaissait sur l’écran du stade. Quand tu assistes à ça, tu es juste dégoûté. C’est inconcevable, ça te fait mal au cœur. Au Zénith, tu sais que les noirs ne sont pas accueillis à bras ouverts et la polémique est inexistante à leurs yeux. Tu sentais qu’il n’y avait pas de question à se poser là-dessus. Les supporters du Zénith sont racistes, il ne faut pas se le cacher. Par la suite, le club a publié un communiqué pour démentir cette information en jugeant que la banderole en question avait été « mal comprise » , tandis que Fernando García, l’agent de Malcom, a affirmé qu’il « ne faut pas donner d’importance à ces gens » . Penses-tu que ce souci lié au racisme soit traité de manière efficace en Russie ? (Il souffle.) À mon époque, j’ai eu l’impression que les dirigeants prenaient en considération l’avis des supporters. Finalement, le racisme n’est pas un tabou à Saint-Pétersbourg, c’est devenu un code de conduite au sein de sa société. Les revendications des fans du club sont claires et il n’y a aucun malentendu possible. Et d’un autre côté, trouver une solution à la problématique du racisme au sein de la Russie me semble difficilement réalisable dans la pratique, car le décalage est abyssal avec notre manière de concevoir la société. Si la mixité existait encore un minimum, à la rigueur pourquoi pas. Mais là, c’est impossible. C’est comme s’ils vivaient dans une bulle.
Est-ce que cette affaire concernant Malcom et son intégration au Zénith te surprend ?Non, car j’ai joué au Zénith et je sais très bien comment ça se passe au sein du club.
Ce qui m’interpelle en revanche, c’est le pourquoi. Douglas Santos, un autre Brésilien, est aussi arrivé cet été, mais nous n’entendons pas parler de son traitement. Se mettre à siffler un Brésilien qui débarque du Barça pour aider le club à gagner des titres, c’est un scandale et c’est également insensé. Je prends un exemple : si Neymar décide d’aller au Zénith, les fans vont aussi se mettre à le siffler ? C’est totalement contre-productif. Le Zénith est un club puissant grâce à Gazprom, il domine régulièrement le championnat local. Ils auraient tout intérêt à se développer, mais malheureusement leurs mentalités ne changent pas. En France, le cas de Prince Gouano lors de la rencontre entre Dijon et Amiens avait fait grand bruit la saison passée. Penses-tu qu’un dénouement du même type, à savoir une mise en examen contre un spectateur auteur de cris racistes, puisse voir le jour en Russie ? À Saint-Pétersbourg, ce n’est pas envisageable. Ailleurs dans le pays peut-être, mais je ne parle que de ce que je connais. Ce n’est pas une loi du silence, c’est quelque chose d’ancré sans aucun complexe.
Propos recueillis par Antoine Donnarieix