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Se dirige-t-on vers un nouvel arrêt Bosman ?
Alors que l’UEFA a lancé une investigation disciplinaire à l’encontre de la Juventus, du Real Madrid et du FC Barcelone, menaçant de sanctions et d’exclusion des compétitions européennes, le dénouement pourrait se jouer au tribunal et bouleverser à tout jamais le football. Une procédure devant la cour européenne a notamment été enclenchée et risque de changer beaucoup de choses...
Ils avaient été à l’origine de la Superligue, ils pensaient toucher le jackpot, ils peuvent dorénavant tout perdre. Le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus, les trois derniers clubs dissidents, risquent une très lourde sanction de la part de l’instance disciplinaire de l’UEFA. Selon le New-York Times, alors que les neuf autres équipes ont toutes trouvé un arrangement afin d’enterrer la hache de guerre, c’est au maximum une exclusion de deux ans de participation aux coupes d’Europe que pourraient subir les trois renégats, sans compter d’inéluctables sanctions financières.
Bataille de juristes
L’article 49 des statuts de l’UEFA est très clair à ce sujet, il donne l’exclusivité à la fédération européenne pour organiser des compétitions continentales et interdit que des équipes s’arrogent le droit de passer outre l’autorisation et l’aval de l’instance. Tout forme de dissidence serait alors sanctionnée. En étant membre d’une fédération dépendante de l’UEFA, on adhère automatiquement à ses règlements et on est contraint de les respecter. En cela, la Juve, le Barça et le Real n’ont pas honoré leurs obligations, sont allés à l’encontre des statuts et de la réglementation interne. La punition apparaît alors totalement logique. Seulement, ça serait aller vite en besogne. Car une bataille juridique va commencer sur ce sujet et pourrait, si elle va dans le sens des plaignants, bouleverser à tout jamais l’histoire du football.
Alors que mercredi après-midi, on apprenait que l’UEFA ouvrait une investigation disciplinaire, le même jour, le magistrat du tribunal de commerce de Madrid, Manuel Ruiz de Lara, déposait une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour « pour clarifier s’il y a abus de position dominante, par l’UEFA et la FIFA, à la fois bénéficiaires des droits économiques de la télévision et du pouvoir d’empêcher l’organisation d’autres compétitions rivales ». Selon Ruiz de Lara, l’UEFA, et la FIFA indirectement, ne respecteraient pas l’article 102 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne. Ce dernier disposant en effet que « le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci [est incompatible avec le marché intérieur] ». Autrement dit, dès lors que l’entité UEFA se constitue comme entité commerciale, avec la marchandisation de ses droits commerciaux, elle ne peut pas se constituer un monopole continental de fait, quelle que soit sa spécificité juridique ou morale. Puisque l’UEFA vend des droits TV et signe des partenariats commerciaux pour monétiser ses compétitions, Ligue des champions et Ligue Europa, elle devient automatiquement une entité commerciale et doit ainsi respecter les principes de la libre concurrence chers à l’espace communautaire européen. En cela, intégrer dans son règlement une prise de position dominante et interdire à toute autre partie d’organiser une compétition rivale et autonome de football entrerait donc en contradiction avec le droit.
Le retour de la Superligue ?
Ce qui fait dire à Ruiz de Lara qu’« il sera difficile pour la CJUE de trouver une justification objective, une exception, à l’existence d’une restriction d’un tel calibre, qui garantit à l’UEFA l’exercice du monopole absolu, le contrôle des droits économiques et le pouvoir d’empêcher l’apparition d’une concurrence telle que la Superligue ». Le magistrat espagnol a déposé ses questions préjudicielles cette semaine et espère un dénouement rapide, à travers une procédure accélérée, afin que les sanctions contre les clubs, si elles venaient à être appliquées, soient suspendues, mais surtout, et c’est tout l’intérêt de cette procédure, que les règlements de l’UEFA soient modifiés.
Il cite l’article 105 du Traité de fonction de l’Union européenne qui précise que « la commission veille à l’application des principes fixés par les articles 101 et 102b », précisément ceux qui ne seraient pas respectés par l’UEFA, et que « lorsque la commission constate l’infraction aux principes,[…]elle autorise les États membres à prendre les mesures nécessaires, dont elle définit les conditions et les modalités pour remédier à la situation ». Pour dire les choses très simplement, si la CJUE venait à reconnaître le tort de l’UEFA, elle lui imposerait une modification de son règlement et lui retirerait son monopole sur l’organisation de compétitions continentales de football. Le Real Madrid, la Juventus et le Barça seraient totalement blanchis et pourraient, en retour, sans crainte de représailles tout en continuant à évoluer dans leur championnat respectif, lancer une Superligue fermée et ultra-lucrative. On risquerait donc, dans les prochaines semaines, d’assister à un bouleversement dans l’industrie du football. L’Europe, comme en 1995 avec l’arrêt Bosman, pourrait de nouveau acter et officialiser un changement majeur dans le fonctionnement et la structuration du sport. Vous pensiez la Superligue totalement morte, elle pourrait revenir plus vite que prévu…
Par Pierre Rondeau