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Santé mentale dans le foot : quel suivi psychologique pour les joueurs ?
Neymar jouera sa dernière Coupe du monde au Qatar en 2022. C'est en tout cas ce qu'a affirmé le Brésilien, mettant en avant ses difficultés mentales à assumer la charge que représente une carrière de footballeur professionnel, a fortiori comme la sienne. Un aveu qui pose la question de la place accordée aux questions liées à la santé mentale des joueurs et de leur suivi médical.
« Je pense que c’est ma dernière Coupe du monde. Je le vois comme ça parce que je ne sais pas si je serai assez fort mentalement pour continuer à gérer ma vie de footballeur par la suite. » C’est presque une bombe qu’a lâchée Neymar dimanche, dans un extrait du documentaire Neymar Jr and the Line of Kings, diffusé par DAZN. Le Brésilien, qui a déjà affirmé par le passé avoir pensé à mettre un terme à sa carrière, s’est confié sur ses difficultés psychologiques, lui qui est footballeur professionnel depuis plus de dix ans. Un coup de projecteur sur un mal-être très présent chez les joueurs, malgré l’intérêt encore limité porté à la question de leur santé mentale.
Selon plusieurs études de la FIFPRO menées depuis 2013, les symptômes liés à la dépression et l’anxiété sont très répandus chez les footballeurs professionnels. « J’ai vu des joueurs qui ne pouvaient plus voyager ou toucher un ballon à la fin, ça devenait infernal pour eux », confie Anthony Mette, docteur en psychologie et auteur du livre Un mental pour gagner. « Il y a actuellement un manque de prise en compte des soucis de bien-être et de santé mentale des sportifs, et il y a aussi une sorte de déni ou de refus de l’exprimer de leur part, pointe celui qui accompagne individuellement plusieurs athlètes de haut niveau, dans diverses disciplines. Il n’est pas culturellement admis pour un sportif d’exprimer ses difficultés. »
Parler pour avancer
Psychologue du sport à l’INSEP, Lise Anhoury Szigeti estime que les joueurs ont tout intérêt à se confier pour progresser. « Avec Neymar, on voit qu’on peut être un excellent joueur dans son sport et en même temps se poser des questions. Le fait que ce soit dit, c’est primordial, affirme-t-elle. Quand Teddy Riner a parlé de sa psychologue, ça a beaucoup aidé à désacraliser la question, en montrant qu’on peut être un excellent sportif tout en allant voir une psychologue. Et que souvent, on peut aller voir un psy ou un préparateur mental non pas parce qu’il y a un problème, mais parce qu’on veut être encore meilleur. » Un tabou encore très présent, en particulier dans le monde du football masculin. « On essaie de casser le tabou par rapport aux troubles de la santé mentale. On a lancé une boîte à outils la saison dernière, qui doit être utilisée par les syndicats nationaux pour donner des infos pertinentes aux joueurs, détaille le Pr. Vincent Gouttebarge, responsable du service médical de la FIFPRO. Si on ne casse pas le tabou, les joueurs ne vont pas se sentir libres de parler de leurs problèmes. »
Une réticence à se confier chez les joueurs eux-mêmes qui s’estompe avec le temps, malgré tout. Gouttebarge : « C’est bien moins prononcé qu’il y a cinq ou dix ans. En 2013, nous avons commencé à collecter des données scientifiques sur la santé mentale des joueurs dans le sport, et cela a permis de mettre la question dans les agendas de toutes les parties prenantes. Cela a permis aussi de pousser quelques joueurs encore en doute à en parler. » Convaincre les principaux intéressés de se confier dès qu’ils en ont besoin, voilà l’un des principaux défis à relever. « Je pense qu’il y a aussi une erreur des joueurs qui ne prennent pas au sérieux leur santé mentale et qui n’investissent pas sur eux. Certains joueurs sont tellement habitués à ce qu’on leur paye tout au niveau des clubs, qu’eux-mêmes ont du mal à dépenser de l’argent et à investir sur leur santé personnelle. Or je pense que le travail d’accompagnement psychologique se fait en grande partie en dehors du club », lance même Anthony Mette, pour qui le suivi au sein des clubs reste insuffisant.
À tout petits pas
Si les clubs sont à la pointe de la médecine dans de nombreux domaines, celui de la santé mentale reste encore trop peu développé, à en croire Anthony Mette. « D’un point de vue plutôt psychologique, on n’est pas au niveau de ce qu’on pourrait faire. La fédération allemande propose beaucoup plus de choses, dans la prévention en centre de formation et dans le suivi des joueurs pros. Par exemple, certains clubs de rugby ont mis en place des tests quasi quotidien pour évaluer la qualité du sommeil des joueurs, leur humeur, etc. » Un suivi psychologique pourtant déjà ancré dans d’autres secteurs regrette le chercheur : « Maintenant, de nombreuses entreprises proposent beaucoup de soins, de prévention dans la santé, pour le sommeil, du yoga, l’alimentation. Les clubs sportifs ne sont pas encore dans cette tendance-là, c’est vraiment dommageable. »
Un retard dans la prise en charge qui est en train d’être comblé, petit à petit. « Si un joueur vient parler de ses problèmes de santé mentale, il faut avoir le staff nécessaire pour s’en occuper et le supporter. On essaie de pousser les clubs à avoir au moins en tant que consultant un psychologue clinique ou un psychiatre avec une grosse affinité pour le sport, affirme encore Vincent Gouttebarge. Ça bouge dans les clubs, mais généralement la priorité est de recruter un autre latéral droit ou un autre ailier gauche plutôt que de s’occuper du staff médical. » Lise Anhoury Szigeti se veut pour sa part plutôt optimiste sur le processus. « C’est de plus en plus pris en compte. Il y a des clubs qui ont leurs préparateurs mentaux, leurs psychologues, donc c’est quelque chose qui se développe dans plein de clubs et c’est hyper important. » Sans oublier qu’au-delà du médical, le bien-être des joueurs peut également passer par ses relations avec le reste du staff. « La relation avec l’entraîneur peut être très importante. Parfois, il peut permettre de faire le lien et être un appui positif pour permettre aux joueurs de reprendre confiance. »
Miser sur la jeunesse
Depuis la FIFPRO, Vincent Gouttebarge milite a minima pour la mise en place d’une évaluation annuelle : « Les joueurs sont évalués à chaque début de saison, au niveau musculosquelettique, au niveau du système cardiovasculaire… Le CIO a mis en place un outil, développé pour l’évaluation de la santé mentale des athlètes de l’élite. On pousse à ce qu’il soit utilisé. » Une prise de conscience collective qui passe par un important travail de sensibilisation et d’écoute des joueurs, comme le démontre la mise en place d’une cellule psychologique au sein de l’UNFP. Mais également par le biais d’une approche tournée vers les futurs joueurs, au sein des centres de formation.
« Nos syndicats nationaux font le tour de tous les clubs professionnels et ils ont également accès aux centres de formation pour éduquer les joueurs sur beaucoup de domaines, dont celui de la santé avec désormais l’accent mis également sur la psychologie, poursuit Vincent Gouttebarge. Sensibilisation et éducation, c’est notre focus constant. » Une tâche de longue haleine. « Dans les centres de formation, on essaie de sensibiliser les futurs joueurs au fait que la préparation mentale et la psychologie, c’est comme la préparation physique, ça fait partie de votre préparation à part entière. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait parce qu’on ne va pas bien. Je l’associe souvent à la préparation physique : vous préparez vos muscles, vous préparez aussi votre mental, pointe Lise Anhoury Szigeti. Plus on fait de prévention auprès des jeunes, notamment au sein des centres de formation, plus les joueurs vont se sentir légitimes à ressentir ces doutes, et cela n’enlèvera rien à leur force. Pour moi, c’est la clé pour que ce ne soit plus un tabou à l’avenir. » Et que la santé mentale puisse avoir pleinement sa place dans le sport de haut niveau.
Par Tom Binet
Tous propos recueillis par TB.