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Samir Nasri, l’épilogue du Petit Prince
Après 17 années d'espoirs, de chutes, de frissons et de gâchis, Samir Nasri jette l'éponge à 34 ans et tire sa révérence, alors que sa carrière était déjà en sourdine depuis plusieurs saisons. Une surprise pour personne, mais forcément un crève-cœur.
Ce n’était peut-être pas un match des légendes à Marseille en plein cœur du mois d’octobre, à combiner au milieu de terrain avec JuL et faire face à Pierre Gasly, Tony Parker ou Matt Pokora, que l’on s’imaginait pour symboliser la fin de carrière de Samir Nasri. Le minot de la Gavotte-Peyret, à Septèmes-les-Vallons, avait certainement rêvé de tirer le rideau au Vélodrome, là où tout a commencé, mais sans doute pas de cette manière. Pourtant, d’ici deux semaines, dans le premier jardin de son parcours professionnel, c’est dans la peau d’un retraité que le milieu offensif participera à ce match de charité au profit des enfants de Côte d’Ivoire. Tous ceux qui ont vu son sourire rayonner sur la Ligue 1 et la Premier League pendant près de dix ans avaient tiré un trait sur l’idée de revoir le Petit Prince les faire frissonner : il y a bien longtemps que Nasri s’était éloigné du football, ou plutôt que le football s’était éloigné de lui.
Vitamines et romantisme
Depuis sa pige – étincelante, mais sans lendemain – au Séville FC en 2016-2017, alors que Manchester City ne voulait déjà plus de lui, c’est un déclin interminable qu’a connu le Marseillais, d’Antalyaspor (8 apparitions en 2017-2018) à Anderlecht (8 apparitions avec l’équipe fanion en 2019-2020) avec un vif retour en Angleterre à West Ham entretemps (6 apparitions, 2 passes décisives, en 2018-2019). La faute à des blessures, évidemment, mais aussi à cette ubuesque suspension pour dopage, survenue en février 2018. « Un épisode m’a fait très mal et a changé ma relation au foot : ma suspension, détaille-t-il dans le JDD. J’ai trouvé ça plus qu’injuste, je n’avais pris aucun produit dopant. C’était juste une injection de vitamines parce que j’étais malade. Ça m’a coupé dans mon élan. » Du gâchis, quand on sait ce qu’avait pu apporter Nasri en Andalousie, sous les ordres du désormais Marseillais Jorge Sampaoli.
« Je suis revenu à West Ham, à Londres, avec un entraîneur que je connaissais (Manuel Pellegrini): c’était parfait, continue-t-il. Mais je me suis blessé trois fois d’affilée. Là, Vincent Kompany m’a appelé pour venir à Anderlecht. Comme j’aimerais entraîner, je m’étais dit que j’apprendrais avec lui. Ça ne s’est pas passé comme prévu. Puis le championnat a été arrêté à cause de la Covid. Après, je n’avais plus forcément envie. Et je ne me voyais pas revenir en France si ce n’était pas l’OM. » On en oublierait presque ce qu’était Samir Nasri, au tournant des années 2000-2010 : une posture unique avec une sphère entre les pieds, une élégance rare et irrationnelle, une trogne à qui l’on aurait envie de tout pardonner, un romantisme à sa manière et, forcément, beaucoup d’attentes. Enfant de l’OM et idole légitime du Vélodrome au milieu de la période de disette du club (une dizaine d’offrandes en L1 pour sa dernière saison sur la Canebière en 2007-2008), frisson de l’Emirates pendant trois superbes années à un moment où Arsenal et ses Frenchies avaient encore la cote, artisan de la naissance de la machine Manchester City avec les deux titres de champion (neuf assists en 2011-2012, un but lors du match du titre en 2014), Nasri aura tout de même réalisé plusieurs accomplissements, connu des équipes de rêve, inscrit quelques buts d’anthologie et brillé avec certains des meilleurs coachs de la planète – d’Arsène Wenger à Pep Guardiola -, lui qui s’est toujours dit amoureux du jeu.
Le premier sacrifié de la génération 1987
Au-delà de ça, il y a malheureusement aussi eu des sorties de route, ainsi qu’un comportement qui, pour beaucoup de gens l’ayant croisé (de Thierry Henry à William Gallas), lui a toujours porté préjudice. « La perception que les gens peuvent avoir, c’est à travers les médias. Ils ne me connaissent pas au quotidien. Forcément, je peux passer pour un petit con », pestait-il dans Téléfoot en 2013. En attendant, celui qui avait l’Inter, Chelsea, le PSG, la Juve et le Manchester United de Sir Alex Ferguson à ses pieds au moment de quitter Arsenal après le meilleur exercice de sa carrière en 2010-2011 a commencé à décliner à partir de 28 ans, et gardera pour beaucoup une image très contrastée. Ainsi, sa trace laissée dans les mémoires collectives sera moins prégnante que ce que l’on aurait pu imaginer. Le volet équipe de France – commencé en 2007 à 19 ans face à l’Autriche avec une passe décisive pour Karim Benzema qui faisait lui aussi ses débuts – s’est d’ailleurs refermé très tôt, précisément en novembre 2013 lors d’un match cauchemardesque en Ukraine. Sa dernière apparition sous le maillot tricolore, Nasri restant sur le banc quatre jours plus tard lors du barrage retour mémorable au Stade de France.
Apparu 41 fois chez les A, capitaine au Luxembourg (0-2) le 25 mars 2011, buteur face à l’Angleterre au premier tour d’un Euro 2012 qu’il aura surtout marqué extrasportivement et snobé lors de toutes les coupes du monde avant sa retraite internationale en 2014, l’actuel consultant restera comme un immense talent gâché en sélection, à l’image de sa relation tumultueuse avec Didier Deschamps ou de son bilan de seulement deux championnats d’Europe disputés. Pire : même sans avoir participé à Knysna, il symbolisera aussi cette époque où l’équipe de France était un sujet qui fâchait tout un pays. Des Quatre Fantastiques de la génération 1987 championne d’Europe des moins de 17 ans en 2004, Nasri est le premier à dire stop (Hatem Ben Arfa et Jérémy Ménez n’en sont plus très loin non plus), l’année où KB9, revenu chez les Bleus, n’a lui jamais semblé aussi fort : le contraste est saisissant. Mais les rêves de Samir Nasri ne se sont pas tous envolés, et le Français s’imagine maintenant enfiler la casquette d’entraîneur. Pour, pourquoi pas, s’asseoir un jour sur un banc boulevard Michelet.
Par Jérémie Baron