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SAMA’ : « On venait de Ramallah, Bethléem, Jéricho, Gaza »

Propos recueillis par Eric Carpentier
7 minutes
SAMA’ : « On venait de Ramallah, Bethléem, Jéricho, Gaza »

Figure centrale de la nouvelle scène électronique palestinienne, SAMA' fait bouger les têtes et les lignes de la techno. Mais ce qu'elle préfère, c'est encore le football. La preuve : elle a fait partie de la première équipe nationale féminine de Palestine. Entretien avec une pionnière.

Tu te définis comme « a sound person and a football addict » . Ce sont vraiment les deux choses les plus importantes pour toi, la musique et le football ? C’est simple, il y a deux choses que je comprends dans la vie : la musique et le foot. Et je comprends mieux le foot que la musique. D’ailleurs, je voulais étudier le management du sport, mais mon père m’a dit : « Choisis la musique, c’est mieux pour toi. » C’est devenu mon métier.

D’où te vient cet amour du foot ?

Dans notre école, le foot était interdit aux filles. Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire !

J’ai commencé à jouer à quatre ans. La première fois que ma tante m’a emmenée voir un match, je suis restée à côté du gardien, je n’arrêtais pas de lui parler, jusqu’à ce que je me prenne un ballon en pleine tête. C’est mon premier souvenir ! (Rires.) J’ai commencé à jouer en Jordanie, puis je suis arrivée en Palestine, à Ramallah, à sept ans. Sauf que dans notre école, le foot était interdit aux filles. Je ne comprenais pas ce que ça voulait dire ! J’avais sept ans, je voulais jouer et personne ne pouvait m’expliquer quelle différence y avait-il entre une fille et un garçon, pourquoi est-ce que je ne pouvais pas jouer. Sérieusement, pourquoi ? C’était une règle incompréhensible.

Comment as-tu réussi à dépasser cette interdiction ?Je l’ai dit à ma grand-mère, qui était une grande activiste féministe. Elle a harcelé le principal jusqu’à ce qu’il dise : « OK, si vous trouvez vingt filles qui veulent jouer, on fera une équipe. » Et c’est ce qu’on a fait. Plus tard, au lycée, j’ai saoulé les professeurs pour que nous puissions participer à des tournois. C’est comme ça qu’on a trouvé, dans chaque école, au moins deux filles qui savaient jouer. On est devenues amies, on a formé une équipe à Ramallah. On se croyait super fortes, les meilleures de Palestine ! On a invité une équipe universitaire de Bethléem, elles nous ont éclatées, du genre 7-0. On étaient choquées ! (Rires.) Ça nous paraissait incroyable qu’elles sachent faire une passe sans regarder le ballon ! Mais on a continué à jouer contre elles, nous sommes devenues amies et la première équipe nationale est née.

Tu as donc été de la première sélection nationale féminine de Palestine ?Oui, on a participé au championnat d’Asie (de l’Ouest, N.D.L.R.) dès 2005. La première participation officielle d’une équipe palestinienne féminine à un tournoi international.

Et alors, comment ça s’est passé pour vous ?Très mal, on a presque tout perdu ! (Rires.) On s’était entraînées ensemble peut-être deux fois avant le tournoi, car on venait de villes différentes : Ramallah, Bethléem, Jéricho, Gaza… La joueuse la plus âgée, notre capitaine, avait 21 ans. Et la plus jeune, 12 ans ! Natali Shaheen, je ne l’oublierai jamais. Elle était de Jéricho, super talentueuse, une vraie kick ass. Toute petite, mais super forte !

À t’entendre, la création d’une sélection féminine paraît naturelle, presque facile…

Je pense que les femmes ont pu développer le foot parce que les hommes en étaient empêchés. Comme les règles étaient sévères pour eux, le gouvernement nous a aidées nous, les filles.

Je pense que les femmes ont pu développer le foot parce que les hommes en étaient empêchés. Comme les règles étaient sévères pour eux, le gouvernement nous a aidées nous, les filles. Parce que le traitement des femmes est différent, qu’il est plus facile d’avoir un permis de voyager, des visas… Et puis personne n’y voyait d’impact politique : « Une équipe féminine ? Ça ne compte pas vraiment, laissons-les faire ce qu’elles veulent. » Aujourd’hui, tu vas en Palestine, tu vas voir des panneaux de publicité avec l’équipe masculine, je pense que les gens ne savent même pas que les femmes font aussi bien, voire mieux que les hommes. C’est triste, mais bon, l’intérêt grandit quand même un peu.

Comment s’est terminée ton histoire avec la sélection nationale ?J’ai eu plusieurs blessures au genou, la dernière dans un amical contre Sakhnin, une ville en territoires occupés. De là, j’ai commencé à avoir des rhumatismes, je ne pouvais plus jouer. Maintenant, je crame FIFA ! (Rires.)

Tu ne joues plus du tout ?J’ai toujours un ballon à la maison, je le sors régulièrement et du coup je casse plein de trucs à l’intérieur, mais bon, ça vaut le coup ! (Rires.) Récemment, j’ai été pour la première fois à Madrid, je suis une grande fan du Real. Alors je suis allée au stade, j’ai fait la visite du musée, la totale. J’en ai profité pour acheter un vieux ballon : il est chez moi et quand je le regarde, je me dis : « Ah, je t’aime, football ! »

Tu es arrivée aujourd’hui à Dubaï, où la Thaïlande vient de battre Bahreïn (1-0, interview réalisée le 10 janvier, N.D.L.R.). Tu as senti une ferveur particulière ?

Tout l’argent arabe part dans des équipes étrangères, européennes voire même chinoises, et on se demande pourquoi on perd à la fin.

Ah bon ? Ça ne m’étonne pas que la Thaïlande ait gagné, Bahrein est vraiment faible. Mais on ne sent rien, non. Si Madrid jouait un amical à Dubaï, il y aurait plus d’ambiance. C’est un problème du monde arabe, voilà pourquoi les cinq équipes ont perdu à la dernière Coupe du monde (trois victoires cumulées pour l’Arabie saoudite, l’Égypte, l’Iran, le Maroc et la Tunisie, N.D.L.R.) : tout l’argent arabe part dans des équipes étrangères, européennes voire même chinoises, et on se demande pourquoi on perd à la fin. En Palestine, on fait peut-être plus d’efforts, mais c’est sans doute parce qu’il y a un aspect politique plus important.

Comment évalues-tu les chances palestiniennes, justement ?L’année dernière, nous étions bien meilleurs. Pour l’instant, je n’ai vu que le résumé de Syrie-Palestine (0-0), je crois que j’aurais eu une crise cardiaque si je l’avais regardé en direct. La Syrie est une équipe ancienne, très forte, c’est un bon résultat pour nous. Maintenant, je suis terrifiée par l’Australie ! (Défaite 3-0 le lendemain de l’interview, N.D.L.R.) Ils risquent de nous éclater, parce que la Jordanie a réussi à faire un bon résultat contre eux au premier match (victoire 1-0, N.D.L.R.). Je ne sais pas comment ils ont réussi ça ! Du coup, j’espère que la Jordanie va être plus relâchée contre nous (Palestine-Jordanie, coup d’envoi 14h30 ce mardi, N.D.L.R.).

Dans The Beating Wound, tu utilises des bruits de guerre pour construire ta musique. Le football aussi, « c’est la guerre poursuivie par d’autres moyens » ? Ou au contraire une parenthèse ludique dans la vie réelle ?

Le football crée une atmosphère, tu peux voir des gens d’horizons différents se réunir. Et ça, déjà, c’est politique.

Il y a vraiment de la politique dans le football, ça va main dans la main dès qu’on parle d’équipes nationales. Surtout dans le cas palestinien. Il y a deux ans environ, l’Arabie saoudite ne voulait pas venir jouer en Palestine, ils nous ont demandé d’aller jouer en Jordanie. Il y avait toute une discussion autour de ça. Alors qu’on voulait juste jouer au foot ! Donc il y a cet aspect-là, mais aussi l’aspect collectif, communautaire du football. Ça crée une atmosphère, tu peux voir des gens d’horizons différents se réunir. Et ça, déjà, c’est politique. Il y a cette idée d’aller au combat ensemble.


Le football s’apparente plus à un combat qu’à de l’art ?Il y a des deux. Parce que dans l’énergie qui s’en dégage, dans la stratégie qui va jusqu’aux mouvements du gardien quand son équipe attaque, pour que l’équipe reste compacte, il y a une chorégraphie, comme si chacun dansait avec chacun. Onze joueurs qui bougent ensemble et se font confiance pour être solides. C’est de l’harmonie, mec, de l’harmonie. J’adore ça.

Tu mettrais quelle musique pour se motiver avant un match ?Hmmm… C’est difficile. Ça dépend de l’équipe, j’imagine ? Quand je regarde Liverpool, je me sens lié à eux. Ou West Ham avec I’m forever blowing bubbles. Il y a un lien entre leur musique et la perception que j’ai de leur football. Mais sinon… (SAMA’ demande à sa cousine) Elle dit Lose Yourself, d’Eminem.

Et pour célébrer une victoire ?We are the champions, c’est le morceau ultime ! Ou Seven Nation Army. Ce sont des classiques, des chansons qui viennent naturellement, tu ne peux pas faire mieux.

À quand un morceau construit avec les bruits du foot ?

J’ai très envie de faire un remix de Forever Blowing Bubbles.

Je vais le faire ! J’ai très envie de faire un remix de Forever Blowing Bubbles. Je suis devenu fan de West Ham grâce à cette chanson ! Elle représente exactement l’aspect communautaire dont je parlais. Les fans de Liverpool ou de West Ham sont incroyables pour ça. Je les respecte énormément.

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