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Salouël, les vrais Fatals Picards
Ne cherchez plus le bonheur, il se trouve actuellement à deux pas d’Amiens. Le RC Salouël-Saleux, pensionnaire de D2 du district de la Somme, s’est qualifié pour le 8e tour de la Coupe de France. Devenue Petit Poucet national, la clique d’Antoine Mücke plonge la tête la première dans l’allégresse de la Vieille Dame. Ces gars de la dixième division nationale, avec un gardien remplaçant âgé de 49 ans, sont désormais à 90 minutes d’aller potentiellement défier le Paris Saint-Germain en 32es de finale. Ils sont fous, ces Picards !
Casquette sur le crâne, Antoine Mücke relâche la pression dans les volutes d’un cigarillo d’après-match « qui fait beaucoup de bien ». Le coach du RC Salouël-Saleux est au 8e ciel. À quelques mètres, dans le vestiaire, ses gars ambiancent le vétuste stade Demény. La sono crache du Naps feat Gims à coups de « best life, en Bentley j’voulais vivre ma best life ». Le plafond du vestiaire est noyé, le cri de la qualif’ a rendu sourd leurs homologues d’Hamel remplis de tristesse. Antoine Mücke vibre autant que son téléphone : « Il n’arrête pas de sonner. J’ai direct partagé ça avec les copains de l’appli Mon Petit Gazon. On est la dernière équipe de district encore en lice, on a déjà tout gagné. » L’entraîneur de 26 ans n’oublie pas sa compagne et son nourrisson, 15 jours à peine, qui doivent jongler avec cet acharné de football.« Même si je vis un peu trop pour le foot, ma femme m’aime aussi pour ça, jure ce technicien dans l’éolien, bien conscient que depuis trois mois, il a le vent dans le dos. J’aime bien regarder Chelsea, Thomas Tuchel, Guardiola aussi. On ne peut pas vraiment s’inspirer de ça, l’écart est tellement énorme entre eux et nous, mais on essaye de produire du beau jeu. Ma ligne de conduite n’a pas changé depuis ma nomination l’été dernier. J’ai dit aux gars : « Ok je suis le plus jeune parmi vous, mais j’ai été nommé coach, vous allez devoir m’écouter. » J’ai entraîné pendant 3 ans les U13, puis 3 ans les U15 et là on vit cette aventure de dingue. »
Trompette, chapeau mexicain et maires en campagne
Mais avant de bercer dans l’euphorie, il a d’abord été question de se farcir Hamel (D2 district de l’Escaut) pour cette première dans l’histoire de la Vieille Dame, un 7e tour entre deux équipes du dixième échelon national… Rembobinage. Il est 13h à Douai ce dimanche, et Jean-Paul, alias J-P le 12, donne le tournis. 1600 personnes sont attendues, le double de la population d’Hamel, et le bénévole, sur les terrains jusqu’à 33 ans avant la classique rupture des ligaments, hisse une ultime fois les banderoles du tifo. Le coup d’envoi est dans une heure, ses cheveux n’en finissent plus de friser. « J’ai attendu la compo hier soir pour finir tout ça. C’est la course ! Je suis natif d’Hamel, et en 56 ans, je n’ai jamais vu autant de gens pour un match du club. Je voudrais tellement être sur le terrain. »
On vient lui demander une nouvelle ration de sandwichs pendant que son compère de la buvette, Denis, est le divin chauve de la pression à 2,50 euros. « Pour du Coca-Cola, c’est pas ici, on n’est pas une pharmacie, se marre le quinquagénaire en mode pile électrique. On a prévu une vingtaine de futs de bière, ça devrait tenir le choc. Je n’en ai presque pas dormi de la nuit, et après, j’irai jouer de la grosse caisse pendant le match avec mon pote Claude, à la trompette. » Ça tombe bien, Claude et son chapeau mexicain plus issu de la Foire’Fouille que du marché de Guadalajara rappliquent. « Ce moment n’arrivera sûrement qu’une fois dans notre vie. Je ne viens quasiment jamais au foot ici, mais mes collègues savent que je joue de la trompette, alors je suis venu. » Les nouvelles têtes les soirs de Coupe de France, c’est presque normal.
Demandez à l’édile du coin, Jean-Luc Hallé, 40 ans dans le fauteuil du premier magistrat, qui voit « des gens d’Hamel qui n’ont jamais mis un pied dans un stade de football ». Arrière droit à ses belles heures, le maire a vu son père créer le club en 1974 et n’en finit plus de rappeler ces « deux coupes du Douaisis remportées. Pourquoi pas la Coupe de France maintenant ? » L’ironie est là, mais elle en dit long sur les rêves permis. « Notre coach, Sofien Tliba, c’est un peu notre Guardiola du coin », s’enflamme J-P le 12, de retour juste avant le coup d’envoi sur la piste d’athlétisme qui ceinture la pelouse. 300 Picards de Salouël, dans la banlieue d’Amiens, ont avalé les 100 bornes entre les deux patelins, même monsieur le maire, Franck Darragon. Lui aussi vient donner de la voix – et en gratter quelques-unes – dans des gradins d’un autre temps, sous la tôle. Davantage tourné vers le handball, l’élu s’est « pris au jeu », a apprécié « voir des retraités saluer le départ des bus » et rêve d’un« prochain tour à la Licorne, à Amiens ».
En deux matchs, le budget d’une saison
À peine sept minutes de jeu suffisent à le combler. Lancé dans la profondeur, Kévin Roger débloque le compteur (0-1, 7e), puis Cyril Louette, en contre, fusille le portier hamelois peu avant la demi-heure (0-2, 27e). Pierre Gorenflos scelle l’issue au retour des vestiaires (0-3, 52e). Hamel sauve l’honneur sur penalty par Morgan Allem (1-3, 65e), mais l’affaire est pliée, et les comptes sont bons pour le président picard Antonio Dos Santos : « En deux matchs, on a gagné quasiment le budget annuel du club(7 500 euros pour le 7e tour, 15 000 pour le 8e, NDLR). C’est invraisemblable. Depuis sept tours, ces gars-là se donnent à fond, on va leur faire un petit cadeau. » Un survêtement et une doudoune pour commencer, la suite on verra. Les trois tours précédents s’étaient joués aux tirs au but, ne leur parlez plus de lacune mentale, « on est costauds depuis le début, jubile Alexis Derobert. Des parcours sympas en coupe j’en ai fait, mais là, c’est une autre dimension. J’ai bien fait de poser ma demi-journée de travail du lundi, il faut fêter ça ». Le défenseur salouasien, employé dans une boutique SFR, grimpe dans les gradins, prend le mégaphone et fait chavirer le kop picard.
En face de lui, Jojo, grande tige de 49 ans, explose de joie. Il a beau frôler le demi-siècle, le fonctionnaire à la ville d’Amiens, Jimmy Norden dans le civil, est toujours le deuxième gardien de Salouël. « S’il fallait entrer sur le terrain aujourd’hui, je l’aurais fait, assure le vétéran du groupe.Si je suis là, c’est que le coach me fait confiance. Je suis le plus vieux gardien de la Coupe de France encore en lice. Vous pouvez m’amener Neymar et le PSG en 32es de finale si on y va. Je suis un guerrier, un Antillais, je prends tout moi, c’est à fond les gamelles. » Avant de rentrer au bercail pour « boire un coup et manger une saucisse ou des merguez », dixit le président, le coach ne peut qu’apprécier ce congé paternité tombé à point. « C’est vrai que vu notre parcours, ça aide un peu. (Rires.) On est un club de 10e division… Je ne dis pas que ce n’est pas normal parce que les garçons ont tout fait pour faire plaisir à tout le monde, mais je peine à réaliser. Maintenant, on peut penser au 8e tour. » Et à Wasquehal (N3) qui se présentera fin novembre dans ce bourg de 4000 habitants pour un ticket en 32es. « C’est encore loin d’être fini », glisse subtilement Sébastien, éducateur et trésorier. Assurément la best life.
Par Florent Caffery, à Douai