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Salah, au sommet de la pyramide
Mohamed Salah n'a recueilli qu'un million de voix aux élections égyptiennes, mais il n'est pas loin de faire l'unanimité, que ça soit dans son pays ou à Liverpool. Et du haut de ses statistiques hallucinantes (37 buts cette saison), le Pharaon doit ce mercredi contre Manchester City confirmer qu'il a la carrure pour présider aux destinées européennes de son club.
Abdel Fattah Al-Sissi peut savourer son plébiscite. Le président la République égyptienne sortant a été réélu la semaine dernière avec 97,08% des voix. Pourtant, le voilà avec un gros caillou dans chaque chaussure. Dans celle de droite, une abstention estimée à 58,5%. Dans celle de gauche, la présence d’un invité surprise lui volant la vedette dans ce suffrage. Car pour beaucoup d’électeurs, l’homme de la situation est footballeur et se nomme Mohamed Salah Ghaly, recueillant près d’un million de voix. Plus que le seul concurrent officiellement déclaré, Moussa Mostafa Moussa, crédité de 641 982 voix. Bien sûr, le vote pro-Salah est significatif de la défiance d’une partie de la population envers l’omnipotent Al-Sissi. Mais il est également témoin de l’admiration que portent les Égyptiens à celui qui règne aujourd’hui sur le championnat anglais et qui a conduit les Pharaons à leur premier mondial depuis 1990.
Mohamed Salah received over 1 million votes in the Egyptian presidential election. He wasn’t a candidate. pic.twitter.com/eXRGQeJ4BA
— LFCVine (@LFCVine) 31 mars 2018
Sous cette tignasse bouclée se cache un garçon qui a grandi dans une famille pauvre originaire du delta du Nil. Un type qui empruntait trois minibus différents pour se rendre chaque matin à l’entraînement avec Al-Moqaouloun al-Arab. Un joueur non clivant dans son pays car n’ayant joué ni avec Al-Ahly ni avec Zamalek, les deux institutions cairotes rivales. Un gars qui n’hésite pas à faire un don de 560 000 euros à un hôpital d’enfants ou à soutenir l’ONU dans une opération contre les inégalités et les violences faites aux femmes. Ce à quoi il faut ajouter un sourire et une attitude de battant qui ne peuvent que réjouir les supporters. Tout pour faire l’unanimité, que ça soit en Égypte ou cette saison à Liverpool.
L’outsider devenu roi
Et avant de convoiter le trône présidentiel, Mo Salah a une campagne à mener sur les pelouses s’il veut verrouiller celui sur lequel il est déjà assis : celui de meilleur buteur européen en championnat. Avec 29 réalisations en Premier League, il se dirige à grandes enjambées vers le titre de Soulier d’or. L’ailier a empilé depuis le début de la saison un but toutes les 90 minutes pour pointer aujourd’hui à 37 pions toutes compétitions confondues, dépassé seulement par Cristiano Ronaldo ce mardi (39) et sans être le tireur de penalty attitré. Costaud, surtout que personne ne l’attendait à ce niveau dès sa première année chez les Reds. Jürgen Klopp en était d’ailleurs le premier étonné. « Il ne faut pas prendre cela pour acquis, mais je suis surpris de la façon dont il s’est adapté, se pâmait le coach allemand en septembre dernier. Contre Watford (son premier match de la saison, ndlr), c’était très difficile. Un match très physique, et bien des personnes avaient des doutes quant à son niveau. Il a joué mieux que n’importe qui sur la pelouse. À Chelsea, ça n’était encore qu’un gosse. Aujourd’hui, il est plus mature et tout va pour le mieux. »
Au match retour contre Watford (5-0), le voilà qui plantait sous la neige le premier quadruplé de sa carrière et en profitait pour doubler Harry Kane au classement des meilleurs strikers. Bien loin du souvenir qu’il avait laissé en Angleterre après son passage chez les Blues, n’ayant pas su convaincre José Mourinho. L’expérience italienne à la Fiorentina et à la Roma ayant gommé les doutes concernant son potentiel, c’est désormais Liverpool qui peut profiter à fond d’un talent, qui se marie parfaitement au jeu de son équipe et aux qualités de ses deux compères d’attaque, Sadio Mané et Roberto Firmino. Au point que son sélectionneur Héctor Cúper et son coach s’accordent à dire que le gaucher peut aujourd’hui s’installer à la table des plus grands. « Je ne pense pas que Mo ou un autre joueur veuille être comparé à Lionel Messi, sachant ce qu’il réalise depuis tant d’années, lâche Jürgen Klopp. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il suit ce chemin fantastique. » Qu’importe la pertinence de cette comparaison, le simple fait que la question se pose confirme que derrière l’hégémonie du duo Ronaldo-Messi, Mohamed Salah est un des rares à pouvoir recevoir de telles louanges. Une vraie alternative au pouvoir en place, un peu comme dans les élections présidentielles égyptiennes finalement.
Alaykoum Salah
Cette saison, sur les bords de la Mersey, Mohamed Salah a trouvé le cadre idéal pour changer de dimension. Il y a notamment trouvé un entraîneur à la philosophie et au discours inspirants. D’ailleurs, quand il évoluait à Bâle, son rêve était de jouer à Dortmund. Sous les ordres de Jürgen Klopp donc. Mais la direction du club suisse n’était à l’époque pas spécialement disposée à refiler son joyau à un concurrent du Bayern Munich, avec lequel elle entretenait des relations privilégiées. Aujourd’hui, l’Égyptien rattrape le temps perdu. « Ici, je joue un peu plus près du but, plus que dans les autres clubs et plus que les autres entraîneurs me l’avaient demandé, expliquait Salah en février. Du coup, je suis toujours face au but et cela me donne l’opportunité de marquer. »
Mais pour son mentor, un déclic lui a permis de s’affirmer et prendre récemment conscience de ce qu’il pouvait apporter. C’était en octobre dernier, grâce à un but inscrit dans le temps additionnel sur penalty face au Congo, qualifiant sa sélection pour la Coupe du monde en Russie. La charge émotionnelle et la pression qu’il avait alors au bout du pied a ensuite libéré une confiance en lui qui le porte encore maintenant. « Personne ne peut dire qu’il n’aurait pas marqué plus de trente buts sans ça, mais nous avons tous connu ce genre de tournant dans nos vies et celui-ci a pu en être un pour lui, clame l’Allemand. Si vous vous en sortez dans une situation comme celle-ci, que peut-il vous arriver par la suite ? » Pas grand-chose. Ou plutôt que le meilleur. Et c’est avec son talisman que Jürgen Klopp compte sortir vainqueur du débat qui se profile face à Manchester City ce mercredi. Un duel dans lequel le Pharaon devra continuer de tenir ses promesses de campagne pour que le destin européen de son club se réalise. Avant de penser à prendre en main celui de son pays.
Par Mathieu Rollinger