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Sacha Houlié : « Les politiques doivent foutre la paix aux joueurs de foot »
Sacha Houlié est député de la Vienne, ancien vice-président de l’Assemblée nationale, mais aussi grand supporter de l’OM, et il en a assez que Karim Benzema et le foot en général soient instrumentalisés par les hommes politiques. L’auteur d’un rapport publié en 2020 sur les interdictions de stade et le supportérisme est formel : lui aussi aurait pris Benzema à l’Euro. Et puis un ou deux Marseillais en plus, tant qu’à faire.
Que pensez-vous de cette liste de 26 ? Je salue le retour de Karim Benzema. Sportivement, c’est un joueur qui a fait une saison extraordinaire, il a de nombreuses qualités. S’entourer des meilleurs, c’est la meilleure façon de gagner. Symboliquement, son retour veut dire qu’il y a un droit à la deuxième chance, qu’on est capable de se réunir pour le meilleur, pour le football et pour l’unité nationale.
Vous avez twitté que Karim Benzema était digne de revêtir le maillot des Bleus. C’est un mot qui revient souvent depuis plusieurs années, mais ça veut dire quoi exactement être digne de l’équipe de France ? Le premier des critères, et ce n’est pas Didier Deschamps qui dit le contraire, c’est la question sportive. Cette question sportive est largement surmontée à la vue de la saison que vient de faire Benzema. En politique, on accable souvent les footballeurs comme des anti-modèles. Je trouve ça scandaleux. D’autant plus quand c’est dans la bouche de gens du Rassemblement national, qui se permettent de dire des choses qui sont inacceptables sous couvert que l’on parle de sport. Ils dissimulent des opinions ouvertement racistes. Je trouve que c’est le Rassemblement national qui a un problème avec le football, avec la France, et avec l’équipe de France. C’est un discours que l’on entend trop souvent dans la société. Par ailleurs, Benzema, c’est quelqu’un qui paye ses impôts en France.
Retour mérité de Karim @Benzema en équipe de France. Digne de la confiance de Zinédine Zidane. Digne de porter le maillot merengue.Benzema l’est tout autant de revêtir la tunique tricolore ??
— Sacha Houlié (@SachaHoulie) May 18, 2021
Karim Benzema est-il le symbole d’une division de la France comme beaucoup le prétendent, ou simplement un joueur de foot ? C’est avant tout juste un joueur de foot. Après, on a vécu des périodes au cours desquelles le football était un acte très revendicatif, comme quand Rachid Mekhloufi a quitté l’AS Saint-Étienne pour aller jouer pour l’équipe du FLN. Aujourd’hui, on a des binationaux qui revendiquent de jouer pour la France. On peut quand même s’enorgueillir du fait que des joueurs veulent revêtir le maillot de l’équipe de France aux dépens d’une autre nation. Ça veut dire beaucoup sur ce que peut offrir notre pays en matière de réussite, de chance, de rayonnement international. Il y a un message politique qu’il ne faut pas ignorer. On transpose beaucoup de choses sur les joueurs, comme je l’avais écrit dans mon rapport sur le foot. On leur demande d’être exemplaires, alors que ce sont avant tout des jeunes qui ont une activité sportive qui, certes, est très exposée, mais qui n’est pas exempte de tous les tourments de la société.
On se doute que Karim Benzema sera très observé lors de sa première Marseillaise. Certains se demandent déjà s’il chantera ou pas, vous voulez leur dire quoi à ces gens-là ? Qu’ils regardent d’abord son match. La seule façon d’évaluer la prestation d’un joueur de foot, c’est de savoir s’il a joué collectif, s’il a récupéré des ballons, s’il a touché des ballons dans la surface, s’il a cadré ses frappes… Je ne serai pas de ceux qui regarderont s’il chante ou non l’hymne national.
Si vous aviez l’occasion, en tant qu’homme politique français, de parler avec Karim Benzema, vous lui diriez quoi ? Je lui dirais deux choses : « bonne chance » et « ramène la coupe à la maison ». Je pense qu’il n’y a pas grand-chose de plus à lui dire. Ce que devraient faire les politiques aujourd’hui, c’est foutre la paix aux joueurs de foot. C’est le sens de mon message : on a tous un devoir d’exemplarité, mais on a tous aussi le droit à l’erreur, le droit à la deuxième chance, et le droit d’être reconnu pour les qualités qui sont les nôtres. Que les hommes politiques arrêtent de transposer des messages haineux, discriminatoires, des signaux qui sont mauvais au travers du sport, et qu’ils véhiculent beaucoup plus de messages positifs ! Le sport à la base, c’est le goût de l’effort, du dépassement, ce sont des messages d’encouragement, de joie collective. Ce côté récupération politique, c’est assez malsain. On voudrait voir plus de beaux messages véhiculés à travers le sport.
Quel serait votre onze type à l’Euro ? Malheureusement, ça sera plutôt Lloris que Mandanda dans les buts. (Il rigole.) Je ferais un 4-4-2 avec Varane et Koundé derrière, Hernandez-Pavard sur les côtés. Au milieu forcément Kanté-Pogba puis Dembélé, Griezmann, Mbappé et Benzema. Jules Koundé, novice en équipe de France, vous le mettez titulaire ? Sur l’ensemble de la saison, ce qu’il a fait avec Séville, c’était assez solide !
Rien à voir avec le fait que Presnel Kimpembe soit parisien ?Rien à voir avec ça ! (Rires.) Bon, si, tout à voir !
Dans cette liste des 26, on remarque que, par rapport à 2018, il y a moins de Marseillais (un seul, Steve Mandanda, contre trois en Russie, Adil Rami et Florian Thauvin n’ayant pas été rappelés). Lesquels manquent à ce groupe ? Forcément Payet ! On sait tous pourquoi il a raté la Coupe du monde en 2018 : il a absolument voulu jouer une finale de Coupe d’Europe pendant laquelle il est sorti blessé. Et puis, c’est vrai que maintenant il est loin, mais on peut aussi penser à Gignac, qui était à un poteau d’être le héros de l’équipe de France en 2016. Pour Kamara, c’est peut-être un peu tôt. C’est un joueur qui a fait une saison extraordinaire, mais bon, la liste est limitée à 26 !
Vous avez déjà vu Benzema jouer au Bernabéu. Après son aventure madrilène, vous le prenez comme attaquant à l’OM ? Moi, je pense qu’on a déjà un grand attaquant qui s’appelle Arkadiusz Milik. Le fait de venir à Marseille lui a permis de retrouver la sélection. Et puis Benzema, s’il faut lui trouver un défaut, il est quand même lyonnais à la base. Ça me paraît difficile quand on sait que ce sont des transferts qui ne sont pas faciles : on voit que même Thauvin a eu l’intelligence de ne pas céder aux sirènes lyonnaises.
Que peut-on espérer de cet Euro si particulier ? J’espère que cet Euro sera celui du retour des supporters dans les stades ! J’ai fait un rapport sur le sujet des supporters, et c’est sûr que cette saison 2020-2021 a été extrêmement dure pour eux en raison des restrictions sanitaires. Au-delà des joueurs, de l’organisation, cet Euro doit être celui des supporters.
Propos recueillis par Maurice De Rambuteau et Lilian Fermin