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Royaume-Uni : le COVID-19 va-t-il signer la fin de la « blackout rule » ?

Par Nathan Gallo
5 minutes
Royaume-Uni : le COVID-19 va-t-il signer la fin de la « blackout rule » ?

Lundi 6 avril, l’UEFA a autorisé la suspension en Angleterre de la « 3pm blackout rule », dans le but de diffuser les matchs à huis clos en cas de retour de la Premier League. La 3pm blackout rule ? C’est cette règle qui interdit depuis les années 1960 toute retransmission télé de matchs de foot en Angleterre le samedi après-midi. L’objectif : inciter les supporters à continuer d’aller au stade. Alors, le coronavirus va-t-il finalement avoir la peau de celle qui est encensée par le monde amateur, mais critiquée par les diffuseurs depuis des années ?

Début des années 1960 : à une époque où les matchs commencent à être diffusés à grande échelle sur le service public anglais, la BBC lance en 1964 son émission du samedi – désormais phare – Match of the Day. Mais le président du Burnley FC, Bob Lord, effrayé à l’idée que ces moments de télévision vident les stades des plus petits clubs, réussit à convaincre les autres équipes d’agir. Une décision est prise : aucun match de la fédé et des ligues anglaises ne pourra être diffusé le samedi entre 14h45 et 17h15. C’est le début du Saturday blackout, toujours existant aujourd’hui.

De la Serie A en audio

Depuis, le foot pro anglais a pourtant évolué : passé les faibles affluences des années 1990 liées au hooliganisme et au drame de Hillsborough, les stades des ligues pros sont désormais quasi remplis tous les week-ends. Sans compter que l’inflation du prix des droits télé a changé la donne, avec des clubs pros moins ennuyés par ces retransmissions qui leur rapportent maintenant des centaines de millions de livres par an. Côté diffuseurs, Sky, puis BT Sport, ont toujours scrupuleusement respecté la règle sans broncher ces dernières années, se passant par là-même de dizaines de matchs par saison. Mais de nouveaux venus numériques ont récemment fait l’amère expérience du blackout : l’année dernière, le service de streaming payant Eleven Sports, qui diffusait des matchs de Liga et de Serie A, a dû se résigner à diffuser les 15 premières minutes de ses matchs italiens – qui débutent à 17h – uniquement avec les commentaires.

L’English Premier League et la Fédération (FA) soutiennent en tout cas officiellement le blackout. L’objectif : conserver un « équilibre » entre matchs en live et préservation du foot amateur, afin de « protéger la fréquentation et la participation dans les ligues inférieures »,

Des clubs de 6e division peuvent avoir des milliers de supporters grâce à cette règle. Notre peur, c’est que des matchs joués à 15h fassent baisser les affluences, et que des supporters décident de regarder le foot au pub ou à la télé.

comme l’a indiqué la FA à SoFoot.com. Car si la question du remplissage des stades des équipes pros est moins d’actualité, une grande partie du problème réside désormais dans les affluences du grassroots football, le football amateur si important en Angleterre et structuré autour de la vente des billets. « Les tickets, c’est ce qui paie les factures du club et les salaires des joueurs », résume Louis Allen, journaliste britannique qui a travaillé sur le monde amateur anglais. Michael Brunskill, de l’association des supporters de football (FSA), abonde dans ce sens : « Des clubs de 6e division peuvent avoir des milliers de supporters grâce à cette règle. Notre peur, c’est que des matchs joués à 15h fassent baisser les affluences, et que des supporters décident de regarder le foot au pub ou à la télé. » « Les gros clubs n’ont plus besoin de cette règle, développe Raymond Boyle, professeur en television studies à l’université de Glasgow. Mais la protéger, c’est en quelque sorte protéger les bases de la pyramide du foot. »

Une règle inadaptée pour le monde moderne

Sauf que, depuis quelques années, la blackout rule est remise en cause, notamment par des diffuseurs qui aimeraient reprendre la main sur ce créneau.

Il y a encore vingt ans, un match de PL à 15h à la télé, c’était un événement central. Mais depuis, le paysage médiatique a évolué. Avec la multitude de programmes et de matchs, un match à cet horaire ne représenterait plus qu’une affiche parmi d’autres.

Sky et BT n’ont pas voulu commenter, mais le directeur d’Eleven Sports, Andrea Radrizzani, directement affecté par le blackout, a lui bruyamment dénoncé l’année dernière une « règle inadaptée pour le monde moderne et numérique ». Empêché de retransmettre des matchs de Liga à l’horaire fatidique, Radrizzani a affirmé : « Le blackout est ce qui provoque le plus de piratage au Royaume-Uni. Il est irresponsable de laisser ce marché aux mains des criminels, alors que ces matchs sont facilement accessibles illégalement en ligne. » Et même légalement parfois : des sites de paris sportifs comme Bet365 ont notamment proposé des matchs de ligues du big five à leurs clients pendant des mois sur ce créneau, avant que la FA n’enquête en janvier dernier. Cette profusion de contenus sportifs amène ainsi à se poser la question de l’efficacité de la règle : « Il y a encore vingt ans, un match de PL à 15h à la télé, c’était un événement central, explique Raymond Boyle. Mais depuis, le paysage médiatique a évolué. Avec la multitude de programmes et de matchs, un match à cet horaire ne représenterait plus qu’une affiche parmi d’autres. »

Si la situation divise donc, la suspension provisoire du blackout est unanimement acceptée, même par la FSA qui parle de « circonstances exceptionnelles ». Cette suspension permettrait en effet la diffusion des matchs joués à huis clos, et faciliterait l’organisation des journées le weekend avec moins de contraintes vis-à-vis des diffuseurs. De son côté, Raymond Boyle explique :

Ce n’est pas parce que cette règle a toujours existé qu’elle doit perdurer à jamais.

« Concrètement, on ne sait même pas si l’on va pouvoir terminer cette saison, mais les instances mettent tout de leur côté pour avoir cette possibilité. Cependant, à partir du moment où vous revenez sur une règle immuable et que vous testez la situation, pas sûr que l’on y revienne. » Car les gros clubs annoncent aussi vouloir du changement sur le plus long terme. Daniel Levy, le président de Tottenham, avait notamment avancé ses pions sur la question en janvier : « Ce n’est pas parce que cette règle a toujours existé qu’elle doit perdurer à jamais. » Pour Raymond Boyle, les raisons qui poussent les clubs à revenir sur cette règle sont simples : « Le blackout a un effet clair sur la commercialisation des droits. D’un point de vue commercial, certains clubs adoreraient la voir supprimée. L’enjeu qui demeure, c’est : privilégiera-t-on l’argent ou le foot amateur ? »

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Par Nathan Gallo

Tous propos recueillis par NG, sauf mention

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