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Ronaldo-Godín, étoiles contraires
Capitaines de leur sélection respective, Diego Godín et Cristiano Ronaldo incarnent deux conceptions opposées du leadership. Une où l’individu se fond au sein d'un groupe où même les stars participent au sacrifice collectif, l'autre où l'individualité du chef conditionne ses partenaires à avant tout se mettre au service de son génie.
A priori, pas grand-chose ne les rassemble. Le premier est grand, sec, silencieux, le visage anguleux. Le regard est dur, la démarche assurée, et ses cheveux en pagaille désertent d’année en année un crâne de plus en plus dégarni. Comme un cow-boy sorti tout droit d’un film de Sergio Leone, Diego Godín exhale quelque chose de sauvage. Face à lui ce samedi soir, il retrouvera son vieil ennemi Cristiano Ronaldo, ses abdos et son corps d’ubermensch, ses dizaines de millions de fans sur les réseaux sociaux et ses célébrations de Super-Sayan. Non, Diego Godín et Cristiano Ronaldo n’ont pas grand-chose en commun. Si ce n’est d’incarner, chacun à leur façon, le leadership de leur sélection.
Godín, capitaine Celeste
« Godín ? Il a toujours eu une personnalité très définie, il fait preuve de solidarité. C’est ce qui l’a fait ressortir du groupe et il a aussi déteint sur les autres joueurs. » À l’heure d’évoquer le style imprimé par Diego Godín à la Celeste, Óscar Tabárez sait précisément de quoi il parle. Depuis la retraite de Diego Lugano, le sélectionneur uruguayen a refilé le brassard de capitaine avec un succès certain au stoppeur de l’Atlético. « Il a mérité le capitanat pour ses accomplissements, son engagement et son exemplarité, et d’une certaine manière, il représente ce qu’a de mieux à offrir une nation comme l’Uruguay. » La Celeste, justement, a offert lors de ce Mondial ce qu’elle a toujours promis depuis que Tabárez a refait de l’Uruguay une sélection de premier plan : des duels, de la rage, une intensité jamais démentie et une discipline tactique modelée par un 4-4-2 fixation béton.
Ceux qui espéraient voir Cavani et Suárez enfiler les pions au sein d’un groupe A assez abordable n’ont sans doute toujours pas pigé la formule magique uruguayenne. Celle qui veut que les stars se mettent au service du système, et pas l’inverse. Et si les deux buteurs de la Celeste ont clairement fait leur boulot lors du premier tour, c’est bien Godín qui s’est affirmé comme le meilleur joueur uruguayen de cette première partie de Mondial.
Impérial d’entrée de jeu face à l’Égypte, il a ensuite dirigé sans transpirer son arrière-garde lors des deux rencontres suivantes, face à l’Arabie saoudite puis la Russie. Résultat : la Celeste n’a pas encaissé le moindre but lors de cette phase de groupes. Une réussite qu’ el capitán ne s’attribuera évidemment pas. Car même si elle compte quelques grands talents dans ses rangs, l’histoire de la Celeste est d’abord celle d’un groupe, où le sacrifice est érigé en valeur cardinale : « Vous ne pouvez pas tourner le dos à votre ADN collectif, résumait Godín à la suite de la qualification uruguayenne pour les huitièmes de finale. Oui, on s’est améliorés dans la possession de balle grâce à l’arrivée de jeunes joueurs, mais nous n’avons pas perdu notre engagement, ce goût du combat et cette solidarité, cette détermination à surpasser l’adversité. »
L’âge du Crist’
L’adversité, le Portugal en a eu sa dose pour voir les huitièmes de finale. Le premier tour des hommes de Fernando Santos a en effet souvent pris une tournure inquiétante, à l’image de leur troisième match de phase de poules, qui s’est conclu par un nul tendu face à l’Iran. Lors des rencontres précédentes, c’est Cristiano Ronaldo qui avait dû éloigner presque à lui seul les ténèbres d’une élimination qui menaçaient d’engloutir la Selecção. À 33 ans, CR7 a désormais l’âge du Christ et le rôle qui va avec. Sauveur tout puissant d’une sélection dominée par une Espagne supérieure dans tous les secteurs du jeu, puis buteur décisif face au Maroc, le Portugais polarise toutes les attentions et s’inscrit à part dans un collectif qui semble pour le moment surtout fonctionner par et pour lui.
Pas forcément étonnant de constater qu’il a d’ailleurs planté quatre des cinq buts de son équipe, soit 80% des réalisations des siens dans le tournoi. Un bilan gargantuesque, là où les autres individualités portugaises, comme Bernardo Silva, João Mario et Gonçalo Guedes, se font bien trop discrètes depuis le début de la compétition. De quoi agacer Fernando Santos, fatigué qu’on ne lui parle plus que de son capitaine lorsqu’il se rend en conférence de presse : « Vous savez, les Portugais sont quand même champions d’Europe 2016, avec Ronaldo bien sûr, mais on n’a jamais vu un joueur gagner tout seul. » Un constat que partage sans doute Diego Godín et qui nourrira probablement sa combativité à l’heure de marquer à la culotte la star portugaise. Les duels entre les deux hommes sont devenus depuis des années un classique de la Liga, parfois sulfureux. En 2014, un Ronaldo très énervé avait ainsi décoché deux droites dans la tête du défenseur central uruguayen et échappé miraculeusement au carton rouge. Godín avait contre-attaqué l’année dernière, en lâchant à son tour un coup de coude vicieux dans la tronche du Madrilène. À charge de revanche entre deux capitaines qu’à peu près tout oppose. Si ce n’est la volonté de voir leur sélection tracer encore un peu plus leur route au sein du Mondial russe.
Par Adrien Candau
Tous propos issus du Guardian, de L’Équipe et du New York Times.