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  • Un jour, un transfert
  • épisode 20

Roberto Cabañas à Brest : le label de Cali

Par Florian Porta
6 minutes
Roberto Cabañas à Brest : le label de Cali

Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. Pour ce 20e épisode, direction la Bretagne avec une histoire qui sent la poudre, aussi bien celle qui finit dans les narines que celle qui remplit les barillets. Retour sur l’arrivée de Roberto Cabañas à Brest en janvier 1988, en provenance de l'América de Cali.

Un homme qui se retrouve en plein cœur de la Colombie pour y découvrir la puissance des narcotrafiquants et constater à quel point la justice locale est corrompue : ce qui ressemble étrangement au synopsis d’un épisode d’Enquête exclusive raconte pourtant l’histoire du transfert de Roberto Cabañas à Brest. Pour reprendre le rôle de Bernard de la Villardière, l’homme aux entrées les plus soignées du PAF, c’est le regretté François Yvinec qui s’y colle. Auteur d’un doublé décisif lors du dernier match de poule du Mondial 1986 face à la Belgique (nul 2-2), le drôle d’oiseau paraguayen, en plus d’avoir inscrit la moitié des pions de son équipe dans la compétition, envoie sa sélection en huitièmes pour la première fois de son histoire.

Balayé 3-0 par les Anglais ensuite, le buteur a pourtant marqué les esprits et surtout celui du dirigeant breton qui ne s’imagine alors sans doute pas vivre une aventure aussi folle lorsqu’il décide de le faire signer l’été suivant.

La Cabańas tombe sur le chien

«  Dans le contrat de Cabañas, il y avait une signature qui n’était pas la bonne, visiblement. Mais il y avait la mienne qui était à la bonne place. Et j’étais d’accord pour une certaine somme. La Sodiba(un pool d’investisseurs bretons, qui tente à l’époque de garder le Brest Armorique FC à flot, NDLR) avait mis l’argent pour acheter le contrat de Cabañas. On avait besoin de ce joueur à la pointe de l’attaque. » En panne d’efficacité offensivement, les Brestois – qui finiront plus mauvaise attaque de la saison, avec 32 pions en 38 journées – comptent effectivement sur l’arrivée d’une pointure pour redresser la barre. Sauf qu’en face, les Colombiens de Cali ne cessent de repousser un transfert pourtant finalisé depuis le 20 août.

« L’América de Cali avait perdu un autre attaquant et jouait la finale de Copa Libertadores. Peut-être ont-ils fait une manœuvre pour garder Cabañas ?, révèle le dirigeant brestois. Toujours est-il qu’ils n’étaient plus d’accord pour le transfert, et que moi, je suis allé les voir pour réclamer ce qui était dû au club. J’étais déjà venu deux fois pour finaliser ce transfert. J’y suis retourné une troisième fois. » C’est ainsi que François Yvinec se retrouve de l’autre côté de l’Atlantique, à plus de 8000 kilomètres de chez lui, en plein milieu du mois de décembre 1987. Quand il arrive sur place, l’homme fort des Ti’Zefs n’est pas au bout de ses surprises : « Le président du club était aux ordres du propriétaire, Miguel Rodríguez. » Un nom qui doit sans doute rappeler quelques souvenirs aux aficionados de la série Narcos, puisque l’homme en question n’est autre que le frère de Gilberto Rodríguez. À eux deux, les frangins sont à la tête du cartel de Cali, concurrent direct d’un certain Pablo Escobar. Rien que ça. « Il ne demandait plus 550 000 dollars, mais un million », surenchérit Yvinec. Une somme que le club breton n’est évidemment pas disposé à payer, ce qui va quelque peu contrarier les Sud-Américains.

Yvinec, François Yvinec

« Pour gagner du temps, l’América de Cali a porté plainte contre moi. Il faut savoir que la justice dans ce pays était sous le joug de ces gens-là(comprendre les narco-trafiquants, NDLR) », rembobine le dirigeant qui parvient finalement à éviter la prison contre la modique somme de 400 000 pesos (un peu plus de 2000 euros) : « J’ai été assigné à résidence, mais je restais en contact avec la presse. Au début, j’étais surveillé, voire chassé, mais grâce à l’intervention du gouvernement français, je me suis retrouvé toujours « prisonnier », mais protégé par deux gardes du corps. Pour me déplacer, j’étais toujours à l’arrière au centre de la voiture, derrière des vitres de douze millimètres d’épaisseur. J’étais en contact permanent avec l’ambassade française. » Et avec les plus hautes sphères françaises. Jacques Chirac, alors maire de Paris, menace d’empêcher les coureurs colombiens de prendre part au prochain Tour de France. Pendant ce temps, la FIFA donne gain de cause au club breton, mais Yvinec doit lui jouer de sa ruse pour réussir à rejoindre les siens. « Je me suis enfui, même si mon affaire judiciaire continuait, confesse le président. J’avais autre chose à faire que rester là-bas à camper. Comme ce n’était pas la première fois que j’y allais, j’avais repéré des endroits par lesquels on pouvait fuir. J’ai dit à l’ambassade de France : « Je pars. » » Direction Caracas où l’attend sa nouvelle recrue : « J’ai quitté Bogota pour Barranquilla, où j’ai échangé mon billet avec un avocat – le contrôle aérien et celui des voyageurs n’étaient pas le même qu’aujourd’hui, j’ai pu prendre un billet sous le nom de cet avocat et embarquer pour le Panama. Puis, facilement, j’ai rejoint les autres à Caracas, puis l’Espagne et enfin Brest. »

Pourtant, le dirigeant n’est pas encore au bout de ses mésaventures : « L’affaire traînait en longueur et, pendant ce temps, dans la panique, les gens du club ont fait signer Tapia, un Argentin qui n’avait pas du tout le profil recherché. D’une part, il doublonnait avec un excellent jeune, Vincent Guérin, et d’autre part, son arrivée a empêché Cabañas de jouer quand il est enfin arrivé à cause des limites de joueurs extracommunautaires. » Comble de l’histoire, Roberto Cabañas ne dispute pas le moindre match avant la trêve estivale. Finalement relégués, les Bretons prendront à nouveau l’ascenseur, dans le sens montée cette fois, la saison suivante, bien aidés par les 21 pions de leur Paraguayen visiblement en mission, comme il le confiait à l’époque : « La deuxième division ne me plaît pas trop : le jeu est plus dur, plus physique. Mais, je dois une chose à François Yvinec : faire remonter Brest en première division. » Il termine au passage meilleur buteur du groupe A et meilleur joueur de la Division 2, de quoi laisser une empreinte indélébile du côté de Francis-Le Blé. Il quittera finalement la Bretagne pour signer à l’OL à l’été 1991 contre quinze millions de francs, un record à l’époque. Un choix assez vite regretté par le principal intéressé qui ne s’éternisera pas dans le Rhône et retournera finir sa carrière en Amérique du Sud : « En trois ans à Brest, j’avais fini par m’habituer à la pluie et au vent, qui me manquent aujourd’hui. J’avais dû devenir un vrai Breton… » Malgré cette marque d’affection et des caisses bien remplies par le départ de son attaquant vedette, l’histoire d’amour se termine mal pour les Brestois. Le club sera relégué administrativement avant de complètement exploser l’hiver suivant. Mais ça, c’est une autre histoire.

Dans cet article :
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Par Florian Porta

Propos de François Yvinec recueillis par Vincent Ruellan et extraits du So Foot #68

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