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Robert Herbin, ou quand le banc ne suffit pas
Entraîneur des Verts entre 1972 et 1983, Robert Herbin a un jour de 1975 été plus malin que ses semblables et s'est fait jouer lui-même avant de marquer sans se poser de questions.
En juin 1975, peu de choses resplendissaient autant en France que le vert des maillots de Saint-Étienne. Avec leur coq sportif plus fier que jamais sur le cœur, leur Manufrance mythique sur les abdos, et ce liseré bleu-blanc-rouge au col et aux manches rappelant qu’ils étaient seuls aux commandes du championnat de France, les Verts concluaient une nouvelle saison de haute volée. Ils étaient déjà rentrés à la maison avec un doublé coupe-championnat en 1974, et s’apprêtaient à récidiver nonchalamment. Seule ombre au tableau, cette élimination en demi-finale de Coupe d’Europe face au Bayern de Beckenbauer et Müller. Mais dans l’Hexagone, Ćurković, Piazza, Larqué, Santini et les frères frères Revelli arrivaient au terme de l’exercice 1974-1975 en ayant remporté l’intégralité de leurs matchs de D1 à Geoffroy-Guichard. À dix jours de la finale de Coupe de France et alors que le titre était déjà assuré, la dernière journée de championnat ressemble donc surtout à un grand gala. Chaque bal de promo ayant sa reine, ce mardi 3 juin, c’est Robert Herbin qui avait enfilé sa plus belle robe et qui avait décidé d’enflammer la piste. Légende de la maison verte après y avoir joué toute sa carrière, le très jeune entraîneur de l’ASSE – 36 ans – s’offrit un gros cadeau de 90 minutes en jouant la totalité de la partie, et en poussant la folie jusqu’à inscrire sur penalty le dernier but à Geoffroy-Guichard de cette saison un peu folle.
Mais qui a invité Herbin ?
Pour qu’une fête soit réussie, il faut évidemment que les invités soient dans l’ambiance. Mission accomplie avec les Troyens, petite équipe montée en D1 deux saisons plus tôt, qui avaient déjà assuré leur maintien avant d’arriver à Saint-Étienne. « On était vraiment en vacances !(…)Nous, les Troyens, quand on était sûrs d’être maintenus, c’était le ouf de soulagement parce qu’à chaque début de saison, nous étions dans les condamnés », s’amuse encore René Le Lamer, défenseur de Troyes présent sur le terrain ce jour-là.
Le seul fait marquant de la partie est donc la présence sur la feuille de match de Robert Herbin, ancien défenseur des Verts retraité depuis 1972 et qui a pris la suite d’Albert Batteux sur le banc stéphanois la même année. À seulement 36 ans et avec 15 piges et près de 500 matchs avec son club de toujours, Herbin ne compte pas se priver d’une dernière danse, même s’il ne se souvient même plus d’où est partie l’idée : « Je ne sais plus pourquoi. C’était peut-être mon anniversaire, ça se déroulait quand ? Le 3 juin ? Ha, d’accord. Donc c’est pas ça. » Jean-Michel Larqué, taulier des Verts de l’époque, a des souvenirs moins embués : « Par amusement, on lui avait suggéré de disputer ce match, et à notre grande surprise, il avait accepté. » L’idée venait donc des joueurs, qui disputaient effectivement un match sans aucun enjeu, et qui voulaient voir si leur coach tenait encore la route. L’occasion pour Herbin de claironner : « J’ai pris l’équipe à 32 ans, et je faisais les entraînements avec eux, hein ! Je n’étais pas assis sur un fauteuil à les regarder s’entraîner », le tout confirmé par le grand Larqué : « Il s’entraînait régulièrement avec nous. Il s’entretenait Robbie, il était en forme physique. Il n’y avait pas de soucis, surtout pour jouer défenseur central. »
Un penalty pour l’histoire
Comme prévu, la rencontre tourne rapidement à la démonstration stéphanoise, et à la mi-temps, le tableau d’affichage indique déjà 4-1 pour les Verts, avec des doublés de Larqué et de Santini. De plus, ce ne sont même pas les Troyens qui ont marqué, mais Piazza qui y est allé de son but contre son camp.
Mais le plus important, c’est que personne dans les rangs troyens n’a mal pris le fait que Herbin ne joue en hurlant à la condescendance, comme en témoigne René Le Lamer : « Des matchs contre Saint-Étienne, on s’en souvient toute sa carrière, surtout le Saint-Étienne de l’époque.(…)L’ensemble des joueurs a applaudi cette initiative. Et pour nous, joueurs qui n’avons jamais côtoyé de clubs de niveau supérieur, Robert Herbin, c’était quand même un monsieur du football. On avait beaucoup de respect pour lui, et le fait qu’il ait pris la décision de s’amuser un peu lors du dernier match, on a tous trouvé ça super. En aucune façon, on ne lui en a voulu, ou on a eu le sentiment d’être moqués. »
Alors, quand l’arbitre a sifflé un penalty à la 78e, c’est à Herbin que l’on confie le ballon : « C’est Piazza qui m’a dit : « Tu vas le tirer ! Tu vas le tirer ! » Je ne pouvais pas me défiler, alors hop, j’ai tiré, puis j’ai marqué. » Larqué se souvient de son étonnement : « Je crois que dans sa carrière, c’est peut-être le seul penalty qu’il a tiré. Quand je jouais avec lui en tant que joueur, je ne l’ai jamais vu tirer un penalty ! C’était son premier et son dernier. » Quand à la faute elle-même, plus personne ne semble s’en souvenir. « Ce n’était pas moi », jure Le Lamer, « c’était un penalty justifié », ajoute Herbin sans plus de précisions. Mais peu importe si les boîtes à archives ne contiennent pas tous les détails, aujourd’hui encore, le Stéphanois reste le seul entraîneur/joueur/marqueur de l’histoire de France. Et n’hésite pas à rappeler que, quand Batteux était parti à la fin de la saison 72, ce dernier l’avait laissé être entraîneur/joueur/capitaine pour les trois derniers matchs de la saison. Une époque où le cumul des mandats n’était pas encore puni.
Par Alexandre Doskov