- Manifestation contre les violences policières
Richard Socrier : « En 2020, le mouvement « Black Lives Matter » ne devrait pas exister »
Ancien joueur de Bourg-Péronnas, de Cherbourg, du Stade lavallois, du FC Metz, de Châteauroux, du Stade brestois, de l'AC Ajaccio, d'Angers et du Paris FC, son club formateur, Richard Socrier, aujourd'hui en fin de carrière et qui a ouvert un escape game avec Jawad El Hajri du côté de Toulouse, s'est rendu mardi dans la capitale à la manifestation organisée à l'appel du Comité Adama. Il raconte.
« Il était tout à fait naturel, pour moi, d’aller à cette manifestation. Quand vous êtes en activité, c’est beaucoup plus compliqué de s’y rendre physiquement, mais là, je suis en fin de carrière, j’étais confiné sur Paris, c’était donc évident. J’y suis allé avec un ami joueur et un autre ancien joueur, Freddy Rocher. Sur le moment, on n’a pas senti qu’il y avait autant de monde que ça (20 000 personnes selon la préfecture de police de Paris, bien plus selon le Comité Adama, N.D.L.R.). C’est en rentrant à la maison, en voyant les images qu’on s’est rendu compte…
Aujourd’hui, le contexte en France est compliqué pour les sportifs. On considère qu’ils doivent être là pour faire du sport et qu’ils n’ont pas à donner leurs opinions. Mais si ! Et je commence à sentir du changement. Là, Marcus Thuram a parlé, mais aussi Thierry Henry, Tony Parker, Teddy Riner… Il y a cinq ou six ans, ils n’auraient peut-être pas parlé comme ça. Les langues se délient, et c’est sur ceux qui parlent qu’il faut faire le focus plus que sur ceux qui ne parlent pas. C’est aussi un contexte d’époque. Personnellement, au cours de ma carrière, on ne m’a jamais censuré, je me suis toujours exprimé comme je l’entendais, mais j’ai quarante ans, donc quand je suis né, il n’y avait pas de portable, donc bien sûr pas les réseaux sociaux… Pour faire passer un message, il fallait automatiquement passer par le biais de la presse écrite ou de la radio. Maintenant, les jeunes joueurs peuvent prendre leur téléphone et dire ce qu’ils ont à dire. La communication est plus maîtrisée.
Il faut bien comprendre que si l’on se rassemble aujourd’hui, ce n’est pas pour manifester contre la police, mais pour la justice. On a le sentiment que la justice ne fait pas son travail, que certains actes ne sont pas traduits en justice. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier : ni les policiers, ni les jeunes. Ce qu’on demande aujourd’hui, justement, va dans ce sens : on veut de la justice, point. Ce n’est pas normal dans un pays démocratique comme la France qu’une partie de la population soit stigmatisée au niveau des contrôles policiers, au niveau social, au niveau politique… Comme le dit le mouvement Black Lives Matter, on veut juste que nos voix comptent autant que celles des autres. Je pense qu’on n’a pas besoin de faire la morale à la jeunesse. Il faut lui faire confiance : les jeunes sont ouverts à de plus en plus de choses, comprennent de plus en plus de choses, on n’a pas toujours besoin de les materner… Ils ont une conscience et ils sont conscients du monde qui les entoure. Ils sont plus au fait des choses que nous à notre époque. Ce qu’on veut, c’est aussi que nos enfants grandissent dans un autre climat que le nôtre.
Moi, je n’ai pas grandi dans une cité, mais j’ai quand même subi un climat qui fait que, face à la police, c’est un petit peu plus compliqué que pour une autre personne. Je suis noir, les statistiques prouvent que j’ai 20% de chances de plus de me faire contrôler, et j’ai donc dû apprendre à avoir une posture pour que ça ne dégénère pas.
Je n’aurais jamais dû m’adapter, normalement. Certains contrôles se sont très bien passés, mais d’autres fois, j’ai subi plusieurs remarques. Un contrôle, normalement, c’est : tes papiers, ils sont en règle, bonjour monsieur, au revoir monsieur. C’est tout. Mais on apprend à ajuster sa position pour que tout se passe le mieux possible et ne pas subir. Après, j’ai eu la chance d’être footballeur professionnel, dans des villes relativement petites si ce n’est Paris, et mon statut m’a protégé.
Ce qui est malheureux, c’est qu’en 2020, on se bat encore pour compter autant que les autres parce que la couleur de notre peau est différente. C’est un combat qui est mené depuis plus d’un siècle. Le mouvement Black Lives Matter ne devrait pas exister, on devrait avancer sur d’autres problématiques, et tout ça devrait être derrière nous. À l’heure où des entreprises envoient des particuliers sur Mars, nous, on se bat pour que la voix des Noirs, ou des autres ethnies, compte autant que les autres. C’est terrible de faire ce constat-là.
J’ai treize ans de différence d’âge avec mes frères, donc on discute. Les États-Unis et la France ne sont pas construits de la même façon, on le sait, mais à une époque, mes frères se sont battus contre les skins… J’ai connu des sorties de Parc des Princes où on se faisait courser. C’est aussi pour ça qu’on se bat, pour ne plus revivre tout ça… C’est des problèmes de société qui ne devraient plus être là. Aux États-Unis, c’est encore pire parce qu’ils ont connu la ségrégation, et il y a des anciens qui doivent tiquer parce que rien n’a changé. Leurs petits-enfants vivent des problèmes similaires, et ça fait forcément remonter certaines images du passé.
Ce qui est important, maintenant, c’est que le message passe et que les gens se sentent concernés, que tout le monde comprenne que c’est un problème humain. Si le problème avait été inverse – un policier noir qui agresse un Blanc –, ça aurait été la même chose : une agression intolérable. On avance, doucement, dans le bon sens, tous ensemble… Mais aujourd’hui, les humains se lèvent et savent qu’il y a un problème. Il faut désormais le régler tous ensemble. »
Richard Socrier
Propos recueillis par Maxime Brigand