- Portrait du vendredi
- Rennes
Salut les Terrier !
Dans la famille Terrier, il faut demander le petit dernier, Martin, pour trouver celui qui a réussi à pointer le bout de son nez en Ligue 1. Une réussite attendue pour le cadet d'une fratrie qui a grandi, comme des milliers d'autres, en baignant dans le foot dans le Nord, une terre qu'il est le seul de la famille à avoir quittée. De Lille à Rennes en passant par Strasbourg et Lyon, portrait de l'homme en forme de la Ligue 1, symbole d'un Stade rennais à qui tout sourit. Où il est question de grosses lucarnes, d'horloge cassée et d'un amour impossible pour les jeux vidéo.
Dans la famille Terrier, le 26 mai 2016 est une date à marquer d’une pierre blanche. Ce jour-là, le papa Frédéric et son épouse sont présents au stade Jean-Deconinck pour assister au dernier match du groupe G de CFA 2 (aujourd’hui National 3) entre l’Olympique Grande-Synthe et la réserve du LOSC. Une rencontre décisive pour la montée et surtout très particulière pour Maxence, Florian et Martin, les trois frangins Terrier. Les deux premiers sont dans le camp des locaux, le troisième est un jeune Dogue en devenir. « C’est la seule année où les trois frères Terrier étaient sur le terrain en même temps, pose Maxence, le plus âgé du trio. C’était cool, même si on a subi les chevauchées du petit dernier de la fratrie. » Sous les yeux de ses parents, l’attaquant prometteur de 19 ans ne marque pas, mais il « met le bouillon » et récolte même un carton jaune quelques secondes après l’ouverture du score de Grande-Synthe. « J’ai eu deux duels en un contre un face à Martin, je m’en suis bien sorti vu qu’on en a gagné un chacun, se souvient Florian, défenseur central et un an plus vieux que le benjamin de la famille. Il avait quand même mis le feu à notre défense, on a eu du mal à le contenir. »
Ils auront également du mal à conserver leur avantage face au Lille d’Yves Bissouma et Lebo Mothiba, craquant au bout du temps additionnel sur un but de Valentin Vanbaleghem. Résultat, le LOSC termine premier de son groupe et valide son ticket pour la N2 pendant que l’Olympique Grande-Synthe voit l’US Lusitanos Saint-Maur lui passer devant après avoir arraché la victoire… à la 94e minute. « Tout s’est joué sur ces derniers matchs », peste encore Maxence aujourd’hui, même si la pilule est avalée. Et Martin, dans tout ça ? « Pour fêter le titre de champion, il est allé au restaurant avec l’équipe… mais il n’a pas participé à la deuxième partie de la soirée », racontait le paternel à La Voix du Nord. Il a prolongé la fête à sa manière, un mois plus tard, en signant un premier contrat professionnel au LOSC, où ses deux frères n’avaient pas été conservés. Cinq ans après le fameux sésame, Martin Terrier possède son rond de serviette en Ligue 1, où il a déjà connu quatre clubs et enfilé quelques perles.
Quand il vient de la gauche vers la droite et qu’il utilise son plat du pied droit pour enrouler… Personne ne faisait mieux dans ce domaine à l’OL.
« Il faisait rêver les gens »
Les deux frères qui évoluent aujourd’hui au FC Loon-Plage (Régional 1) assurent ne pas être jaloux de la réussite de celui qui a inscrit son premier triplé chez les grands à Saint-Étienne le week-end dernier. « On s’était dit que si l’un de nous réussissait, c’était déjà magnifique », explique Florian, 25 ans. Oui, Martin Terrier a réussi, et s’il est facile maintenant de dire qu’il était promis à ce bel avenir, ceux qui l’ont vu tâter le ballon dans sa jeunesse ne sont pas surpris. « Quand je l’ai connu vers l’âge de huit ans, il faisait rêver les gens, garantit Jean-Michel Vandamme, dont le père avait découvert le phénomène. Je me souviens d’un tournoi à Marcq-en-Barœul où tous les gros clubs français étaient là. C’était un gros tournoi de poussins, il avait fait lever les gens tellement il était brillant, habile, facile. » Un talent précoce confirmé par son frère Florian : « Dès qu’on a rejoint Lille ensemble, Martin a quasiment été surclassé chaque année avec la catégorie supérieure, donc la mienne. On pouvait commencer à comprendre que ce n’était pas un joueur comme les autres. » Le droitier n’est en effet pas resté longtemps au SC Bailleul, son premier club, débarquant rapidement au LOSC où il a passé quatorze ans. « Il était à Lille en même temps que moi, note Rudi Garcia, qui sera plus tard son entraîneur à l’OL pendant quelques mois. Il venait voir jouer l’équipe qui avait fait le doublé en 2011, il a grandi avec ça, c’était sympa de l’entendre parler de cette saison au cours de nos échanges. Il se souvenait surtout des attaquants : Hazard, Gervinho, Sow, Frau… »
Après une poignée de matchs avec les Dogues, un prêt réussi à Strasbourg et un triplé record en seize minutes contre le Kazakhstan avec les Espoirs, Martin Terrier quitte son Nord à l’été 2018 pour rejoindre Lyon, qui débourse environ onze millions d’euros pour s’offrir la promesse lilloise. « C’est toujours compliqué de vivre loin de la famille, mais il s’est adapté », applaudit Maxence. Dans un effectif riche en attaquants, Terrier a soufflé le chaud et le froid chez les Gones (77 apparitions, 17 buts, 2 passes décisives) au milieu de Memphis Depay, Moussa Dembélé et Bertrand Traoré. « Quand il vient de la gauche vers la droite et qu’il utilise son plat du pied droit pour enrouler… Personne ne faisait mieux dans ce domaine chez nous, jure Garcia. Ce qui a manqué à Martin avec moi, c’est un peu plus d’efficacité pendant les matchs. On attendait de lui qu’il soit plus tueur. » Il est peut-être en train de le devenir au Stade rennais, où il a posé ses valises à l’été 2020, en pleine pandémie, alors que Rudi Garcia révèle qu’il aurait voulu le conserver à l’OL à l’époque : « Il avait des offres que d’autres n’avaient pas sachant qu’on avait trop d’attaquants. Mais je suis persuadé qu’à quelques semaines près, il serait resté à Lyon et on aurait fait un bout de chemin ensemble. » Ce qui aurait sans doute permis à l’ancien technicien rhodanien d’insister sur le principal axe d’amélioration de son joueur : « Si je devais souligner un point faible en reprenant une célèbre phrase d’Aimé Jacquet, je dirais qu’il fallait qu’il muscle son jeu. C’est ce dont avait besoin Martin. Comme c’est un garçon réfléchi, intelligent et bien élevé, il était peut-être parfois un peu tendre sur le terrain, ça pouvait le desservir. »
J’avais 7 ans quand Flo et Martin sont venus au monde à un an d’écart, j’étais content, je savais que je n’allais plus jouer au foot tout seul
Chamailleries, Benjamin Pavard et horloge cassée
Voilà un trait de personnalité qui caractérise Martin Terrier au premier abord : ce gars-là est discret, voire un peu timide, même si ceux qui le connaissent bien dévoilent aisément son côté chambreur. Le joueur de 24 ans n’a pas une histoire cabossée et n’a pas vécu une enfance difficile. Il a grandi à Bailleul, à une vingtaine de minutes de Lille, dans une maison aux côtés de ses deux frères et de sa sœur aînés au sein d’une « famille nordiste traditionnelle » (Jean-Michel Vandamme) et auprès de parents travaillant encore aujourd’hui au conseil régional des Hauts-de-France (le papa dans le domaine financier, la maman dans celui de l’apprentissage). Ces derniers ont d’ailleurs accueilli pendant deux ans dans leur foyer un certain Benjamin Pavard, un copain de promotion de Martin au LOSC.
Le natif d’Armentières a donc immédiatement baigné dans le foot. Son père, Frédéric, mordu de ballon et passé par le centre de formation de Dunkerque sans réussir à basculer dans le monde professionnel, a naturellement converti ses fistons à la religion du sport roi. Maxence, 32 ans et électricien dans le Nord, sourit : « J’avais 7 ans quand Flo et Martin sont venus au monde à un an d’écart, j’étais content, je savais que je n’allais plus jouer au foot tout seul. » Florian, qui bosse comme ses parents au conseil régional des Hauts-de-France, insiste de son côté sur le fait que « le foot a une place particulière dans la famille Terrier ». Quand ils ne jouent pas au foot, les trois frères se chamaillent gentiment, et quand ils ne se chamaillent pas, ils jouent au foot. « Je vous laisse imaginer comment pouvaient se terminer les matchs dans le jardin, se marre Maxence. En plein hiver, on jouait à l’intérieur quand on était petits. Je me souviens que mon père avait confisqué les ballons. Un jour, les parents étaient partis faire des courses, et on a eu la bonne idée de faire une balle en papier avec du scotch pour jouer. On avait cassé une horloge à laquelle ma mère tenait beaucoup… On a tous les trois pris un savon à leur retour. »
On avait besoin d’un bon joueur, on a demandé à Martin qui était notre coach. On est très divertissement, lui est très compétition, donc il apportait cette petite touche différente.
Au royaume des jeux vidéo et des youtubeurs
Devenir joueur de football professionnel n’a pas bouleversé les habitudes de Martin Terrier, un garçon normal essayant de mener une vie normale. Dès qu’il en a la possibilité, il remonte dans le Nord pour voir sa famille. Il a aussi pendant longtemps eu l’étiquette du joueur gamer en brillant sur de nombreux jeux vidéo, à commencer bien sûr par l’incontournable FIFA. « Une chose est sûre, ce n’est pas moi le plus fort, concède Maxence. Je pense d’ailleurs que j’ai rarement terminé un match contre mes frères. Je prenais des raclées, donc j’éteignais la console, je suis un peu mauvais perdant. Martin aimait être le meilleur dans tous les domaines. » En parallèle de sa carrière de footeux, l’attaquant s’est forgé une petite réputation de mec doué dans le monde virtuel, ce qui lui a permis de se lier d’amitié avec de célèbres youtubeurs rennais, dont LeBouseuh (3,7 millions d’abonnés sur Youtube) ou encore Valouzz (2,6 millions d’abonnés). Le premier cité a virtuellement rencontré le footballeur pour la première fois lors d’un live Fortnite, le jeu cher à Antoine Griezmann, en 2018.
« On a sympathisé, on a ensuite joué ensemble àFortniteet sur Rocket League. J’étais impressionné parce que c’était le premier joueur de foot avec lequel je parlais, développe Romain alias LeBouseuh. Il était très fort, on s’est mis à jouer en duo, on faisait des combats en un contre un en buildfight. » Le célèbre streamer a ensuite pu rencontrer Terrier au début de l’année 2019, profitant de son passage à un évènement e-sport pour dîner au restaurant avec le Gone. Une amitié renforcée par son transfert à Rennes quelques mois après avoir innocemment sondé son pote sur la capitale bretonne. « Il me posait des petites questions : « Est-ce qu’il fait beau ? », « Comment est la ville ? » Je pensais qu’il s’intéressait à l’endroit où je vivais. Puis quand j’apprends qu’il signe au Stade rennais, je me dis : « Wow c’est incroyable. » Je l’ai immédiatement appelé pour lui dire qu’il m’avait bien eu. » Meilleur joueur français sur le mode Ultimate Team de FIFA le temps d’un week-end en 2019, Martin Terrier a participé en mai dernier à une rencontre de FIFA en équipe diffusée sur Twitch au sein de la Team Croûton aux côtés de Michou, Inoxtag, LeBouseuh et d’autres youtubeurs habitués à faire des millions de vues sur la plateforme. « On avait besoin d’un bon joueur, on a demandé à Martin qui était notre coach, précise Romain. On est très divertissement, lui est très compétition, donc il apportait cette petite touche différente. »
Martin a toutes les qualités d’un attaquant de haut niveau, que ce soit athlétiquement, techniquement ou tactiquement dans ses déplacements.
L’heure de franchir un cap
Six mois plus tard, Martin Terrier est soucieux de se détacher de cette image de joueur gamer. Pas seulement en apparence, mais aussi dans les faits : ces derniers mois, le buteur a rangé ses manettes et son clavier pour se concentrer sur le terrain, se rendant compte lui-même qu’une soirée passée sur FIFA lui prenait beaucoup d’énergie, notamment à la veille d’un match. « Tu es obligé d’être à fond, tu peux t’énerver rapidement, il y a plein d’émotions et ça peut te diminuer mentalement sur le terrain le lendemain, décrypte LeBouseuh. Il nous a dit qu’il allait moins jouer, il a carrément stoppé en ce moment. En tout cas, il m’a toujours dit que sa carrière était largement au-dessus de tout le reste. Il avait sûrement besoin de se remettre à fond dedans. » Rudi Garcia, lui, apprécie la démarche personnelle de son ancien poulain : « Cela s’appelle l’expérience. Tous les joueurs n’ont pas cette capacité à comprendre ce qui est le meilleur pour eux dans la préparation de leurs matchs. Je ne suis pas surpris qu’il ait eu cette réflexion, ça montre qu’il ne laisse pas la place au hasard et qu’il souhaite avoir une gestion du moindre détail, c’est bien. »
Dans la même veine, le Nordiste porte un regard aiguisé sur son jeu, ses performances, son évolution. En septembre, il n’avait pas hésité à faire son autocritique face à la presse quand celle-ci soulignait son faible rendement en début de saison (3 tirs tentés en 297 minutes en championnat à l’époque). « Je vous rejoins par rapport à ça, avait-il accepté. Il faut que j’arrive à trouver cette chose qui valorise mon contenu et ça passe par être dangereux. Je me remets beaucoup en question. J’essaie de travailler à la vidéo, voir comment je peux mieux me déplacer par rapport à mes coéquipiers. Mais je pense que ça passe surtout par être présent dans la surface, et c’est ce qui me manque pour franchir ce palier. » Depuis cette sortie, l’attaquant a planté sept fois en Ligue 1, dont son très joli triplé la semaine dernière chez les Verts, confirmant avoir gagné en efficacité et en régularité depuis le début de l’année calendaire (15 buts, 7 passes décisives). À Rennes, Terrier a encore gagné en expérience et appris aux côtés des autres. Bruno Genesio et Florian Maurice – qui lui conseillait cet été de « marquer des buts de raccroc » – le connaissent par cœur, alors que le principal intéressé a répété récemment que Gaëtan Laborde l’aidait beaucoup à se « surpasser » sur le terrain. « Martin a toutes les qualités d’un attaquant de haut niveau, que ce soit athlétiquement, techniquement ou tactiquement dans ses déplacements, jugeait Genesio le week-end dernier. Il sait qu’il doit gagner en régularité et en agressivité, c’est ce qu’il est en train de faire petit à petit. » Tout cela à plus de 500 kilomètres du stade Jean-Deconinck, de sa famille et de ses frères, qui n’ont plus à se soucier d’avoir à défendre sur le petit dernier.
Par Clément Gavard
Tous propos recueillis par CG