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Renata Silveira : « Je ne rêvais pas d’être commentatrice, encore moins d’être une pionnière »
On n’écrit pas toujours l’histoire du football dans les grands matchs. Renata Silveira l’a fait à l’occasion du troisième tour de la Coupe du Brésil, entre Botafogo et les inconnus de Ceilândia (D4), devenant alors la première femme commentatrice d'un match de foot masculin sur la télévision publique brésilienne, TV Globo.
Renata, quelles ont été les réactions quand TV Globo a annoncé que vous commenteriez ce Botafogo-Ceilândia, et après le match ?Les répercussions ont été très positives, avant et après le match, je suis heureuse et satisfaite. Parce que quand vous commentez un match sur SporTV (chaîne de sport payante, NDLR), vous parlez à un public de connaisseurs et de consommateurs de football, qui aiment le football. Là, c’était la première fois à la télévision publique. C’est complètement différent, des milliers de personnes regardent, elles viennent peut-être de terminer leur novela (l’équivalent desPlus belle la vie,Demain nous appartient, avec des acteurs qui en font des caisses, NDLR), et la télévision est restée allumée. Ce sont des gens qui ne comprennent pas forcément le foot, je dois les convaincre de rester. Et j’ai eu des retours positifs, de personnes qui étaient au bar, qui ont vu quelqu’un s’asseoir et demander à ce qu’on mette TV Globo pour regarder ma grande première ! Je ne connais pas cette personne, mais ça signifie que, pour une certaine population, il y avait une attente autour de l’événement. Et après le match, j’ai reçu beaucoup de mots gentils, les gens commencent à se rendre compte de ce qui se passe.
Du coup, vous êtes une pionnière. C’est quoi, un rêve ou un hasard ?Je n’ai jamais eu cet objectif, je n’aurais jamais imaginé être dans cette position. Je suis devenu commentatrice à la suite d’un concours de la Radio Globo, avant la Coupe du monde 2014, je faisais partie des lauréats. J’ai gagné un autre concours en 2018 pour commenter à la télévision, chez Fox Sports, puis j’ai été recrutée par la Globo. Moi, je suis passionnée, petite j’allais au stade, mais ensuite ce sont les hasards de mon parcours. J’ai fait un cursus d’éducation physique, puis un master de journalisme et c’est là que j’ai gagné le concours. C’était l’opportunité de travailler dans un domaine que j’adore. Je ne rêvais pas forcément d’être commentatrice, encore moins d’être une pionnière, et malheureusement je suis une pionnière, dans le sens où ça n’arrive que maintenant, j’aurais préféré que ça se passe avant. Je n’aurais pas toute cette tension, cette responsabilité.
C’est lourd à porter ?Je suis contente d’ouvrir les portes pour d’autres. TV Globo vient de fêter ses 57 ans, et je suis la première femme à commenter un match. Il est temps qu’on évolue, que les chaînes recrutent plus de femmes commentatrices. On est en train d’ouvrir des portes, ça me rend heureuse, mais c’est vrai que quand on me l’a annoncé, au téléphone, j’ai tout de suite eu un frisson dans l’estomac, puis j’ai commencé à travailler, surtout pour connaître Ceilândia, ce club de quatrième division… Je travaille d’autant plus que j’ai la responsabilité des autres : je suis la première, je dois être parfaitement préparée. J’avais aussi été la première à commenter un match de football féminin sur la TV publique il y a un peu plus d’un mois, ce n’était pas ma grande première. Et finalement ça s’est bien passé, 28 000 spectateurs, une superbe atmosphère… En plus, c’était Botafogo, donc les supporters étaient contents.
Comment ça ?Ils sont superstitieux, les supporters, vous savez. J’avais commenté Botafogo pour ma première sur SporTV : ils avaient gagné 5 à 0 en Coupe du Brésil et, en fin d’année, ils ont été promus pour revenir en première division. Le supporter superstitieux était heureux que je commente à nouveau, j’ai lu beaucoup de commentaires positifs.
Vous aviez déjà commenté la Coupe du monde 2018, pour la télévision privée…Oui ! J’ai crié « la France est championne », en 2018. Je n’ai pas beaucoup d’autres souvenirs, à part que mon commentaire du but de Mbappé, quand il frappe de loin, c’est un de ceux dont je suis le plus fière.
Jusqu’ici, ça paraît tout rose. Vous n’avez pas eu de « elle est là pour son physique » ou d’autres remarques sexistes ? (Elle rigole.) Mais ça, c’est tous les jours, en fait ! Depuis 2014, quand j’ai commencé à la radio, c’est tous les jours. Que ce soient des commentaires offensant sur les réseaux sociaux ou bien, encore pire, des messages privés où les gens se lâchent encore plus. Je lis, je supprime, je bloque, je me suis habituée. Quand vous entrez en territoire inexploré, vous devez vous y attendre, malheureusement. Les hommes ne sont pas habitués à allumer la télévision et à entendre une femme aux commentaires. On va en souffrir, et avec un peu de chance, ça ira mieux pour les générations suivantes.
Dans les rédactions sportives françaises, on a eu plusieurs affaires de harcèlement moral ou sexuel. Est-ce que vous, au Brésil, en avez souffert ?Dans les entreprises où j’ai travaillé jusqu’à aujourd’hui (Radio Globo, Fox Sports, TV Globo, NDLR), non. Je n’ai connu aucune forme de discrimination liée au fait que je sois une femme. Aucun collègue ne m’a jamais dit, « tu ne devrais pas être ici », au contraire.
Au niveau du style, est-ce que vous voulez vous affranchir du commentateur brésilien avec la voix grave et qui crie fort ou au contraire est-ce que vous l’imitez malgré vous ?Mes références, évidemment, sont toutes masculines. Je n’ai jamais, jamais, écouté une femme aux commentaires en grandissant, même à la radio. Mon style, j’essaie plutôt de l’adapter à l’époque, de faire plus léger, divertissant dans le commentaire. Les gens arrivent fatigués du travail, ils veulent entendre des petites blagues, ils ne veulent pas un commentaire trop sérieux. Mais sinon, je crois sincèrement qu’il n’existe pas de style féminin et de style masculin. Parfois, je vois des commentaires du genre : « Elle force sa voix, elle imite les hommes. » C’est faux, c’est simplement que toutes les références de l’auditeur ou téléspectateur sont des hommes. Imaginez si on faisait quelque chose d’absolument nouveau, du jamais-vu au micro, quels seraient les commentaires ? On ne fait que suivre un chemin qui est tracé par les hommes depuis longtemps maintenant.
Mais du coup, vous êtes obligée de crier « Goooooooool », c’est contractuel ? (Elle rit.) Ah oui, c’est vrai que vous ne le faites pas trop, en France, ça. On n’est évidemment pas obligés, mais absolument tout le monde le fait, y compris moi. Je ne sais pas d’où ça vient. Et d’ailleurs, récemment je me suis rendue compte que je ne l’avais pas fait, quand D’Alessandro a mis un but pour son dernier match avec Internacional. Il y avait beaucoup d’émotion, je me suis juste exclamée : « Dale, Dale, D’Aaaleeessaaaandroooo », ça a remplacé le « Gooool ». Mais après le match, j’ai réécouté ce que j’avais fait et là, j’ai dit aux gens : « Vous avez vu, je n’ai pas crié ! » Mais je suis contente de ce commentaire parce que j’étais dans l’émotion du supporter de l’Internacional à ce moment-là. Rien n’est grave, tant qu’on reste dans l’émotion.
Renata, honnêtement, vous n’auriez pas préféré être à Rio pour le début du carnaval mercredi, plutôt qu’à Brasilia ?(Rires.) Ça fait longtemps que je ne vais plus au carnaval à cause du travail. En plus, j’ai de la famille a Brasilia, j’ai pu en profiter, profiter du stade Mané-Garrincha, c’était un moment tellement spécial que je n’ai pas pensé au carnaval. Pourtant j’adore, mais d’habitude ça se passe en février (il a été décalé cette année à cause du variant Omicron, NDLR). Là, le match n’était pas serré, mais il y avait de l’attente, d’un côté Botafogo avec son riche propriétaire américain qui vient de remonter en première division, de l’autre Ceilândia, équipe qui a créé la surprise au tour précédent en sortant Avaí, club de première division. C’était assez cool de raconter cette histoire, d’être aux commentaires, au-delà du fait que c’était ma première.
La suite, elle ressemble à quoi pour vous ?Pour l’instant, je n’ai pas d’autres matchs sur la télévision publique à commenter, mais l’idée, c’est que ce match de Coupe du Brésil ne soit pas un événement, plutôt le début de quelque chose de pérenne, que j’intègre la rotation des commentateurs. Donc à partir de là, je vais profiter de chaque occasion qu’on me donne. Je rêve de commenter une Coupe du monde sur la télé publique, les Jeux olympiques aussi. Les prochaines échéances, ce sont le Qatar, puis la Coupe du monde féminine l’année prochaine en Nouvelle-Zélande, puis Paris 2024 : je veux non seulement commenter, mais aussi être sur place.
Et vous sentez vraiment qu’on va vous faire confiance pour y arriver ?Oui, parce que je m’en sens capable et j’ai prouvé que j’avais déjà l’expérience pour le faire. Il y a un match en particulier qui m’a beaucoup appris, c’est quand Eriksen a fait un malaise, lors du match Danemark-Finlande, à l’Euro. On est restés 1h48 sans football, c’était un moment avec beaucoup de tension, et j’ai su à ce moment-là garder mon calme aux commentaires. Entre ça et les autres matchs que j’ai déjà commenté sur la télévision privée, je suis prête, j’ai le bagage nécessaire, on est en train de faire tomber des barrières, et il ne faut pas que ça s’arrête ici.
Propos recueillis par Alexandre Berthaud, au Brésil