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Redah Atassi : « Après ma carrière, je serai comme un indien dans la ville »
Non conservé par le TFC, Redah Atassi a écumé le monde arabe après une aventure folle avec Béziers, de la CFA à la Ligue 2. Des premiers pas en pro de Ben Yedder à sa vie en Arabie saoudite et aux Émirats, retour plein de bonne humeur sur le parcours d’un de ces « autres footballeurs ». Ceux qui, malgré la passion, ne rêvent plus de paillettes dans leur vie, mais craignent pour leur après-carrière et cherchent à assurer leurs arrières.
Salut Redah. Tu as aujourd’hui 30 ans et tu joues depuis septembre pour l’Al Urooba FC, aux Émirats arabes unis. Comment est ta vie là-bas ?C’est d’abord un soulagement de pouvoir retrouver ici ma femme et ma fille dont j’ai été tenu éloigné pendant près d’un an à cause de la Covid. Quand l’épidémie a démarré, je jouais au Maroc, à l’HUS Agadir. Elles étaient restées en France avant de pouvoir me rejoindre. J’ai pu rentrer de justesse pour le premier confinement, mais j’ai ensuite dû repartir. J’ai passé deux mois seul, à l’hôtel, avant de quitter le pays pour l’Arabie saoudite. Là-bas, elles n’ont pu me retrouver que pour de courtes visites. Du coup, ça fait juste plaisir de retrouver une vie normale, en famille. Après, je vis sur Dubaï et je fais une heure de route chaque jour pour aller au club, à Fujaïrah. C’est la ville où a entraîné Maradona, dans l’autre club (le Fujaïrah SC, NDLR). Dubaï, c’est agréable, mais je ne suis pas là en vacances et je ne vis pas une vie de téléréalité. On se fait des week-ends en famille, des restos, on va à la plage… Je suis peut-être un peu chiant, mais je suis pas venu pour flamber. (Rires.)
Comment juges-tu le niveau du championnat ?Al Urooba, on joue le maintien. On a pris de bonnes valises en début de saison, donc y a du challenge ! On se bat, mais c’est vrai que des fois, t’as envie de prendre la balle et de remonter le terrain. (Il joue défenseur central, NDLR.) Je l’ai fait quelques fois, et le coach m’a défoncé, donc j’évite maintenant. (Rires.) Le niveau était par exemple plus élevé en Arabie saoudite où j’évoluais en D2 la saison dernière (au Al-Adalah FC), dans un club qui visait la remontée et qui avait pas mal de moyens. On était quatre étrangers, avec un Grec et deux Brésiliens. Ils aiment bien les Brésiliens au Moyen-Orient. Ils font cinq jongles, ça leur suffit pour les signer ! (Rires.) Tu sens une attente particulière derrière vous ?Oui ! Ici comme en Arabie saoudite, les clubs sont limités en extranationaux. Donc il faut être performant, sinon ils ont les moyens de te dégager et d’en prendre un autre à tout moment ! Les gens pensent que tu dois gagner parce que tu as des étrangers, mais en réalité, ça ne suffit pas…
Comment était la vie en Arabie saoudite, pays qui a la réputation d’être assez conservateur ?Ce n’est pas le pays le plus facile, mais en tant qu’étranger et footballeur, j’ai été agréablement surpris. Quand ma femme venait me rendre visite, on ne lui demandait pas de se voiler, par exemple. Elle le faisait en mettant la tenue traditionnelle par respect de la culture locale. Je suis musulman et j’ai beaucoup appris : étant un nerveux de base, vivre là-bas m’a beaucoup apaisé. Je ne vais pas jouer la carte du mec qui est parti là-bas pour la religion ni rien ; je suis pas le plus assidu ni le plus pieux, mais tu apprends du pays et des gens. La plupart, ce sont juste des gens simples, loin du fanatisme qu’on peut s’imaginer. Ils sont peace, apaisés par leur foi, donc ça m’a calmé de dix étages. Bon, pour eux, j’étais toujours énervé, mais ils ne se rendaient pas compte que pour moi, c’était comme si je vivais dans un monastère. (Rires.) C’est vrai que des fois, j’avais envie de les secouer un peu sur le terrain, puis tu te dis qu’en fait, c’est toi le fou !
Le fait d’être musulman t’a quand même aidé, tu dirais ?Je vais pas te mentir, j’ai plutôt joué la carte de l’étranger : je n’ai pas commencé à faire les prières avec le groupe pour qu’ils ne me jugent pas si un jour je commençais à en rater. Donc je me suis dit que j’allais me mettre avec les Brésiliens, faire croire que j’étais brésilien et faire ma vie tranquille ! (Rires.) Le staff était composé de Tunisiens francophones, donc ça aidait pas mal. Puis, comme avec le Grec, on était tous les deux seuls à l’hôtel, on passait beaucoup de temps avec les Brésiliens qui, eux, étaient en famille. On était très soudés tous les quatre. Avant Noël, je suis allé à Dubaï retrouver ma femme et ma fille, je leur ai ramené des kilos et des kilos de dinde, et on a fêté ça tous ensemble, c’était très sympa.
Avant tout ce parcours dans les pays arabes, tu as été formé au Toulouse FC. Qu’est-ce qu’il t’a manqué, selon toi, pour percer en France ?De la patience ! J’ai passé pas mal de temps en réserve et en équipe de jeunes, puis j’ai côtoyé l’équipe pro pendant deux-trois ans. C’était Alain Casanova le coach, et il voulait me faire jouer latéral gauche, alors que je me voyais plus comme un central. Mais c’était bouché ! Y avait Cetto, Congré, Fofana, c’était très costaud. Le reste de l’équipe était pas mal non plus : on avait Capoue, Sissoko, Gignac… Malgré tout, je fais quelques feuilles de match en Ligue 1, un match de Coupe contre le Paris FC, et même un déplacement en Ligue Europa contre le Shakhtar, à l’époque de tous les Brésiliens. Y avait Willian, Fernandinho et tout. On perd 3-0, il me semble (2-0, buts de Geai et Luiz Adriano, NDLR), mais je me souviens surtout du froid en tribune et que j’avais les oreilles qui gelaient. (Rires.) Mais derrière, on ne m’a pas proposé de contrat pro. Seulement un contrat amateur d’un an. J’étais déçu, donc j’ai décidé de partir en Espagne, à Getafe.
Tu as aussi assisté à l’arrivée de Ben Yedder à Toulouse, dont on sait qu’il a eu du mal à assimiler son passage dans le monde pro. C’était comment, ses premiers pas ? Il est arrivé en même temps qu’Adrien Regattin, tous les deux en post-formation. Ils n’avaient pas fait de centre, donc il leur a fallu un peu de temps, surtout Wissam. Pour moi, c’est une énigme. Il avait signé pro, mais s’entraînait avec nous en réserve. Il paraissait très loin de la mentalité qu’on nous inculquait à nous, au centre. Lui, était vraiment… ailleurs. (Rires.) Mais même s’il était dans son monde, il était toujours à fond en fait ! Il nous disait : « Vous verrez, mon objectif c’est 18 buts en Ligue 1. » Même si on voyait son talent et sa qualité de finition, forcément on en rigolait ! À un autre, on aurait dit qu’il était prétentieux, mais pas Wissam qui était très, très introverti. Avec Adri (Regattin), ils ne se lâchaient pas, c’était son grand frère. Je crois même qu’il lui achetait ses fringues des fois ! (Rires.) Qu’ils aient réussi leur passage en équipe première ensemble, c’est très cool.
De ton côté, tu as raté le coche au TFC, puis tu essaies de rebondir sans trop de succès en Espagne et au Maroc… (Il est franco-marocain et alors sélectionné chez les jeunes du Maroc, NDLR.) En Espagne, j’ai beaucoup appris niveau foot. Je m’entraînais avec l’équipe A, même si je ne jouais qu’avec la réserve en 3e division. En France, on te catalogue trop vite comme joueur technique ou physique, et on ne te fait bosser que là-dessus. Alors que tu peux toujours progresser techniquement ! Bon en tant que DC, tu vas pas envoyer des passements de jambe, mais tu progresses sur plein d’autres aspects. Je suis en tout cas sorti de mon petit confort toulousain, où j’étais depuis les poussins. J’en retiens que du positif. Au Maroc, au FUS Rabat, ça a été en revanche difficile d’entrée. Le premier jour, je vais saluer le coach. Il me dit : « T’es qui, toi ? » Je me dis que ça puait : derrière, il ne me fait pas jouer de l’année. Il était en conflit avec son directeur sportif qui recrutait des joueurs sans son accord et il l’a fait payer à travers moi.
Qu’est-ce que tu te dis pendant cette période ? Tu regrettes ce choix ?Très vite, je veux partir ! Et je commence à me dire que le problème doit venir de moi. Ils peuvent pas tous être fous, donc c’est que j’ai peut-être pas le niveau. Le coach m’empêche même de jouer avec la réserve, donc je ne peux même pas me rassurer. J’étais dégoûté. Là, je voulais arrêter. Le seul point positif, c’est que j’avais tous mes week-ends quand ils partaient en déplacement. Tout seul, tranquille au Maroc avec ta femme, y a de quoi passer de bons moments ! Je pars en vacances, je sors, je bouffe, je kiffe. À tel point que je pouvais prendre 5-6 kilos en une semaine. Mais bon, c’est pas pour ça que je faisais du foot non plus et je me dis : « Putain, mais t’as vu de quoi tu te prives ? C’est bon, le foot c’est fini ! » Je finis par revenir en France et j’ai des offres en D3-D4 anglaise, mais je ne voulais plus de l’étranger, j’avais trop souffert. Je me disais qu’à la limite un petit club en France pour repartir en foot plaisir, ça pouvait le faire. Sinon, c’était mort.
C’est là que l’opportunité Béziers, en CFA, se présente ?Oui. C’est un ami à moi qui me dit que Béziers me veut. Apparemment, ils avaient pris des renseignements à Toulouse et on leur avait fait de bons retours. Moi, je me disais : « Putain, y a encore des équipes qui me veulent ? C’est des fous ! » (Rires.) Finalement, ça se passe bien ! Je passe au milieu de terrain, je retrouve des anciens du Tef’ : Michel Hamon, Amadou Soukouna. On était vraiment une belle bande de copains. C’était un régal de jouer tous ensemble sur le terrain. Et les coachs, Xavier Collin et Mathieu Chabert, te donnaient vraiment envie de jouer. J’ai repris vie. Je me suis rendu compte que je savais encore jouer au foot. La plupart des mecs étaient comme moi, passés par des centres de formation sans que ça débouche sur quoi que ce soit derrière. On était une belle bande de revanchards en fait ! Quand les résultats ont commencé à suivre, on s’est tous dit qu’il y avait moyen de faire quelque chose. Tous les week-ends, on jouait, on gagnait, puis on sortait tous ensemble ! Tu ne vois pas ça ailleurs.
Puis vient pour toi la Ligue 2 et le statut pro, toujours avec Béziers…On fait trois saisons en CFA, puis on monte en National. Dès la deuxième année, on finit pas si loin de la Ligue 2. L’effectif bouge un peu, mais ça reste motivant parce que les gars qui partent signent pro. Moi, ça commençait à me faire envie aussi et j’avais des petites sollicitations. Là, le président me dit : « Redah, toi, ta seule chance de passer pro, c’est de monter avec nous. » Comme ça, pleine tête ! (Rires.) C’est surtout qu’il croyait à la montée. Et la troisième saison, on fait une seconde partie de championnat de fous et on est promus. Historique pour un petit club comme Béziers. La fête derrière, c’était la folie ! T’enchaînes les réceptions et cocktails à l’hôtel de ville et avec les sponsors. Tu montes au pavillon pour voir les supporters… Bon, c’est pas le Stade toulousain au Capitole, en plus il pleuvait, mais y avait bien une petite centaine de supporters ! Je n’entrerai pas dans les détails, mais on est tous sortis pendant trois jours. Y compris les mecs qui n’avaient jamais mis un pied en boîte. On est même tombés sur le coach (Mathieu Chabert). Il était très, très chaud, même si on avait déjà l’habitude de le croiser après les victoires pendant la saison. Il nous payait toujours sa bouteille d’ailleurs ! (Rires.)
Vous connaissez une année difficile en Ligue 2 et vous redescendez directement en échouant d’un petit point. Et après, tu décides de repartir pour le Maroc malgré une première expérience mitigée là-bas. Qu’est-ce qui te motive à ce moment-là ?J’avais besoin d’un nouveau challenge après la descente et toutes ces années à Béziers. Là, un agent me contacte pour aller au Maroc. Je dis non, direct. Il me rappelle et me dit : « Quoi ? Tu veux rester en France, gagner ton petit argent, faire ta petite vie et rester inconnu ? » Moi, je lui réponds : « Ouais ouais, carrément, ça me va. » (Rires.) Puis il me propose son plan. Passer six mois au Maroc à l’US Agadir, qui joue la C2 africaine (Coupe de la Confédération africaine), pour ensuite filer dans le Golfe car, selon lui, ces pays scrutent beaucoup les joueurs du Maghreb.
Là aussi, ça commence mal avec le coach qui t’a fait venir qui se fait virer juste avant ton premier match, c’est ça ?Je me dis que c’est pas possible, que je suis maudit. Le matin, il nous fait la causerie, l’aprèm, on me dit qu’il est viré… Heureusement, le match se passe bien. Je marque et on gagne alors que l’équipe était dans le dur en championnat. Mais je me rends vite compte que ça m’a mis en avant trop vite et que ça a pas plu à d’autres joueurs. Derrière, mon intégration est hyper difficile, certains joueurs ne me faisaient pas la passe en match. J’étais choqué de cette mentalité, surtout que je n’avais rien fait de mal.
Et la Coupe de la Confédération africaine ?Ça, très cool. Je découvre les trips en Afrique. Notamment un match au Nigeria à Aba (contre le Enyimba International Football Club, NDLR). C’est une autre face du monde… T’arrives en prenant deux avions, en traversant la brousse avec un minibus pendant une heure. L’hôtel, laisse tomber. On se déplaçait avec nos cuistots, notre propre nourriture et tout ! En fait, c’était pour éviter les intoxications alimentaires, mais quand même ! Après tu joues, il fait chaud, humide. Tu sais pas comment tu arrives à respirer. Puis dans le stade, c’est comme au Maroc. Y a du monde, ça fait du bruit, mais c’est un autre pays, une ferveur différente, donc c’est une expérience de fou ! C’était les poules, il nous fallait un nul pour nous qualifier. On le fait. Match incroyable, malgré un arbitrage comme tu n’as jamais vu. Mais ça passe. Après, on tombe en quarts contre un club libyen (Al-Nasr Benghazi). Comme c’était la guerre là-bas, on joue en Égypte à l’aller. On gagne les deux rencontres et on se qualifie en demies…
Une histoire qui se finit donc en eau de boudin à cause de la pandémie, avant que tu ne quittes le club pour l’Arabie saoudite. Pourquoi ce départ si précipité ? Pour mettre ma famille à l’abri. À ce moment-là, c’est pas le pays qui me fait le plus rêver. C’était une libération de quitter le Maroc, mais pour ma femme, ça a été un peu dur à avaler quand je lui ai dit que ce serait pour l’Arabie saoudite. Ça demandait encore beaucoup de sacrifices pour nous. Je lui ai expliqué que je n’avais pas eu la vraie carrière de foot que j’espérais. Je n’ai pas eu le succès et les paillettes. Il ne me restait que quelques années pour terminer en fanfare et préparer l’après. Depuis que j’ai 15 ans et le centre de formation, on fait tout pour moi, pour que je ne pense qu’au foot ! Après ma carrière, je serai comme un indien dans la ville, je ne vais rien comprendre ! (Rires.) J’ai juste le bac, pas de diplômes. J’aurais bien aimé pousser les études, faire du droit, mais c’était incompatible avec le foot. Donc maintenant, pour quelques années, je préfère jouer ici et voir l’avenir plus sereinement.
Tu ne te vois pas continuer ta carrière dans le monde du foot ?Une carrière de foot, c’est intense. J’aimerais pouvoir complètement balayer le foot de ma vie après. Mais je ne sais pas si j’en serai capable, parce qu’il restera toujours de la passion. Mais tu vois, je ne garde pas de maillots chez moi, pas de photos, rien. J’aimerais commencer complètement une autre vie parce que, quand il s’agit de foot, je suis toujours un peu sur la défensive dans ma relation avec les gens. Dans mon esprit, je ne remplis pas les critères qui sont ceux d’un joueur de foot. C’est pas avec mes matchs de National et de Ligue 2 que je vais me dire que je suis footballeur ! J’ai fait du foot, voilà. Pour te dire, quand je rencontre des gens et qu’on me demande ce que je fais dans la vie, je préfère inventer quelque chose. Sinon, les gens s’imaginent que tu mènes une vie de dingue, et tu dois limite te justifier.
Qu’est-ce que tu leur réponds ?Je préfère dire que je suis vendeur à Zara ou Décathlon ! Et le pire, c’est que je rêve de travailler à Décathlon et à la Fnac. Ça m’a toujours fasciné, je m’y sens bien. Donc quand j’arrête, je commence par Décathlon (rires), avant de travailler avec ma femme. Tout le monde me dit : « Redah, t’as une vision du monde du travail, mais tu ne sais pas ce que c’est ! » Mais j’ai envie de travailler. J’aurai déjà bien gagné ma vie, mais j’ai pas celle des stars du foot. Et je ne veux pas non plus de l’étiquette de footballeur parce qu’à la fin, elle finit par peser. Surtout quand tu n’as pas eu la carrière de Maradona !
Propos recueillis par Alexis Exposito, à Dubaï