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Récit de la journée qui a vu naître la Superligue européenne

Par Clément Gavard
8 minutes
Récit de la journée qui a vu naître la Superligue européenne

Ce dimanche, le New York Times a provoqué un tremblement de terre en annonçant que douze mastodontes anglais, espagnols et italiens avaient décidé de créer une Superligue à partir de 2022. Une information confirmée tard dans la soirée dans un communiqué officialisant le lancement de la « Super League » dont la seule rumeur a entraîné un tollé chez les acteurs du football européen, de l'UEFA aux supporters en passant par Gary Neville. Récit d'une journée qui pourrait tout changer.

La bombe est tombée dimanche, peu après le coup d’envoi des premières rencontres domestiques de la journée, et elle a rapidement provoqué une immense déflagration dans le macrocosme du football européen. Douze clubs parmi les plus riches du Vieux Continent auraient décidé de s’affranchir de l’UEFA en créant leur propre compétition, une Superligue européenne, dès 2022, selon le New York Times. Une information confirmée peu après minuit dans la soirée de dimanche via un communiqué commun dans lequel est annoncée la création de « The Super League, gouvernée par ses clubs fondateurs », et précisé que trois clubs supplémentaires seront invités à rejoindre les affranchis « avant le début de la saison inaugurale qui démarrera aussitôt que possible ». La raison ? « Les clubs fondateurs de la Super League pensent que les solutions proposées par les institutions ne permettent pas de résoudre les enjeux fondamentaux comme la nécessité de proposer des matchs de meilleure qualité et d’engendrer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football. »

Dans le lot, on retrouve donc six Anglais (Liverpool, Manchester City, Manchester United, Chelsea, Tottenham et Arsenal), trois Espagnols (Real Madrid, Barcelone et Atlético de Madrid) et trois Italiens (Juventus, Inter et AC Milan). Douze déserteurs. Douze membres fondateurs d’une nouvelle entité en passe de se concrétiser, et deux grands absents parmi les cinq grands championnats autoproclamés : la Bundesliga et la Ligue 1, dont font partie le Bayern Munich et le Paris Saint-Germain, têtes de gondole de l’opposition à la Superligue (pour l’instant), et surtout alliés de choix pour l’UEFA. Ce lundi, l’instance européenne doit (devait ?) réunir son comité exécutif pour valider le projet de réforme de la Ligue des champions, sa poule aux œufs d’or à deux milliards d’euros annuels, à compter de la saison 2024-2025. Au milieu de ce grand bazar, une question se pose : l’UEFA pourra-t-elle encore empêcher la Superligue d’exister ?

Douze contre tous

Ces derniers mois, la Superligue européenne était devenue l’arme favorite des mastodontes pour faire trembler l’UEFA, mais s’imposait aussi comme une idée de génie pour aider les meilleurs clubs à retrouver une stabilité financière au cœur d’une pandémie dévastatrice. Selon des documents consultés par le Times au début de l’année civile, chaque membre permanent de la compétition toucherait ainsi 350 millions d’euros par an pour son simple engagement dans le tournoi, soit plus de quatre fois l’enveloppe ramassée par le Bayern, vainqueur de la Ligue des champions la saison dernière, explique le New York Times dans son papier dominical. Les contours de la bête ont même déjà été dessinés dans le communiqué publié dimanche soir : un format à vingt clubs (dont 15 fondateurs permanents), deux groupes de dix qui joueront des matchs allers-retours en semaine à partir du mois d’août, les trois premiers de chaque poule qualifiés pour les quarts de finale et rejoints par le vainqueur d’un barrage entre le 4e et le 5e et une phase finale classique qui s’étendra jusqu’au mois de mai. Soit une ligue à 75% réservée aux clubs les plus riches – qui participeront toujours aux championnats domestiques le week-end dixit le communiqué -, alors que l’UEFA avait réalisé des concessions pour garder sous son giron les cadors avec le passage d’une C1 à 36 équipes et plus de rencontres à la clé.

Reste que l’institution dirigée par Aleksander Čeferin n’aura pas tardé à répliquer après avoir eu écho de l’information dévoilée par le média américain plus tôt dans la journée de dimanche. Dans un communiqué publié dans la foulée, l’UEFA a réaffirmé sa volonté de « stopper ce projet cynique, fondé sur l’intérêt personnel de quelques clubs à un moment où la société a plus que jamais besoin de solidarité » en s’associant au passage aux fédérations anglaises (FA), espagnoles (RFEF) et italiennes (FIGC), qui ont également chacune de leurs côtés demandé aux clubs concernés de ne pas prendre part à la Superligue des puissants. Raté. Puis, l’instance européenne est passée aux menaces concrètes. « Nous envisageons toutes les mesures à notre disposition, à tous les niveaux, tant judiciaires que sportives, afin d’empêcher que cela ne se produise. Le football est basé sur des compétitions ouvertes et le mérite sportif ; il ne peut en être autrement, peut-on lire dans le communiqué. Les clubs concernés seront interdits de participation à tout autre compétition au niveau national, européen ou mondial, et leurs joueurs pourraient se voir refuser la possibilité de représenter leur équipe nationale. » Comprendre, la FIFA est dans le camp de sa cousine, qui n’a pas peur d’imaginer une Ligue des champions sans le Real, le Barça ou Liverpool, ni une Coupe du monde sans Lionel Messi, Cristiano Ronaldo et tutti quanti.

Le Bayern, le PSG et le poids des traditions

L’UEFA a ensuite tenu à remercier « les clubs des autres pays », notamment les équipes allemandes et françaises, le Bayern et le PSG étant les deux grands absents de cette sauterie à douze. Les deux récents adversaires en quarts de finale d’une Ligue des champions en voie de disparition n’auraient pas cédé aux sirènes de la bande à Andrea Agnelli et Florentino Pérez, tout comme le Borussia Dortmund, selon les informations du Sunday Times. Comme le géant bavarois, le club de la capitale serait sensible au poids des traditions, et a d’ailleurs rapidement confirmé à Europe 1 qu’il n’était « pas dans ce projet », car « le football européen est pour toutes les équipes » .

Autre lecture possible : Nasser al-Khelaïfi, le président parisien, siège au conseil d’administration de l’UEFA et dirige également beIN Media Group, le réseau de télévision basé au Qatar qui a versé des millions de dollars à l’instance européenne pour avoir le droit de diffuser les rencontres de Ligue des champions, comme le relate le New York Times. Chacun verra midi à sa porte, l’UEFA concluant sa réponse par une demande : « Nous appelons tous les amoureux du foot, supporters et politiques à se joindre à nous pour lutter contre un tel projet. Cet intérêt personnel persistant de quelques-uns dure depuis trop longtemps. Trop, c’est trop. »

Macron, Neville, Ferguson : la parole est aux opposants

Un appel entendu outre-Manche par le Premier ministre britannique Boris Johnson, estimant que ce projet « frapperait en plein cœur notre football national et susciterait l’inquiétude des fans à travers le pays » (Twitter). Mais aussi par Emmanuel Macron. « Le président de la République salue la position des clubs français de refuser de participer à un projet de Superligue européenne de football menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif, a indiqué l’Élysée à L’Équipe ce dimanche. L’État français appuiera toutes les démarches de la LFP, de la FFF, l’UEFA et de la FIFA pour protéger l’intégrité des compétitions fédérales, qu’elles soient nationales ou européennes. » La preuve que le football et le politique ne sont jamais très loin, surtout quand la menace d’une scission entre les structures européennes et leurs clubs les plus riches sous-entend des enjeux économiques immenses. Plus surprenant, l’UEFA a eu droit dans la soirée de dimanche à un soutien inattendu, celui de l’ECA (présidée par Agnelli annoncé logiquement démissionnaire de son poste) qui s’est engagée à « travailler au développement du modèle des compétitions de clubs avec l’UEFA pour le cycle débutant en 2024(…)en tant qu’instance représentative de 246 clubs de premier plan à travers l’Europe ». Les sympathisants de la Superligue sont eux restés très silencieux toute la journée, jusqu’au coup de tonnerre de l’officialisation vers minuit.

Ce sont donc surtout les opposants qui ont haussé le ton ce week-end. De l’autre côté de la Manche, où la Premier League est une institution et où les traditions ont une importance, plusieurs voix se sont élevées contre la Superligue. Celle de Gary Neville par exemple. « Je suis un supporter de Manchester United depuis 40 ans et je suis dégoûté, s’est brillamment indigné l’ancien latéral des Red Devils au micro de Sky Sports. C’est un acte criminel envers les fans de foot dans ce pays. C’est une insulte au plus grand sport du monde et de ce pays, ils méritent d’être punis. Ces dirigeants sont hors sol. Ils se réunissent sur Zoom au beau milieu d’une pandémie mondiale et d’une crise économique durant laquelle certains clubs de divisions inférieures luttent pour continuer à exister, seulement pour trouver les moyens d’empocher toujours plus d’argent. C’est une farce. » Même son de cloche, en moins véhément, chez Alex Ferguson, figure de Manchester United, pour qui « parler d’une Superligue, c’est s’éloigner de 70 ans d’histoire du football européen » (Reuters). Pas consultés à l’instar des joueurs, les fans ont aussi réagi via le réseau Football Supporters Europe (FSE) qui a rappelé qu’un tournoi fermé serait « le dernier clou dans le cercueil du football européen ». Les mots sont violents, mais ils symbolisent un malaise et une dichotomie de plus en plus importante entre les différents acteurs du sport roi. À quelques heures du comité exécutif et du congrès de l’instance de l’UEFA, à Montreux, en Suisse, la scission n’est plus une rumeur. Elle est officielle, et elle laisse en suspens l’avenir du football européen.

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