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Quentin Bernard : « Les footballeurs ne sont pas des punching-balls »

Propos recueillis par David Doucet
6 minutes
Quentin Bernard : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Les footballeurs ne sont pas des punching-balls<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

De plus en plus de footballeurs alertent sur les vagues de haine qu’ils subissent quotidiennement sur les réseaux sociaux. Après Thierry Henry qui a décidé de fermer ses comptes, c’est le joueur d’Auxerre Quentin Bernard qui lui a emboîté le pas ce week-end après avoir reçu une rafale d’insultes envers lui et sa famille. Avec cette décision, le défenseur auxerrois espère tirer la sonnette d’alarme et sensibiliser les pouvoirs publics sur une violence trop longtemps passée sous silence.

Qu’est-ce qui t’a décidé à poster ce message annonçant ton retrait des réseaux sociaux ?Samedi, je suis revenu disputer un match à Niort, club dans lequel j’ai évolué durant dix ans. Je portais le brassard d’Auxerre. Je ne sais pas si c’est le fait que je sois capitaine qui a déplu à certains, mais après le match, j’ai reçu des centaines de messages d’insultes et de menaces sur Facebook et Instagram. Je ne m’en suis pas aperçu tout de suite, car je ne vais pas toujours checker ce qui se dit sur moi après un match. C’est en rentrant chez moi quelques heures plus tard que je m’en suis aperçu. Certains m’insultaient en disant que je n’avais aucune légitimité à porter le brassard de l’AJA, d’autres me reprochaient mes performances sportives de manière virulente. Je suis habitué à tout cela, c’est quotidien, mais je n’ai pas toléré que l’on s’en prenne à ma famille. J’ai des cousins et des oncles qui avaient tenté de répondre à ces personnes, mais ils ont été pris pour cible à leur tour. Que l’on s’en prenne à eux, pour moi, c’était le dérapage de trop. Durant la nuit de samedi à dimanche, j’avais du mal à dormir et j’ai réfléchi à un message à poster. Une fois que j’ai eu le feu vert du club, je l’ai publié et j’ai donc annoncé mon intention de couper avec les réseaux sociaux au moins jusqu’à la fin de la saison.

Thierry Henry, Imran Louza, Denis Bouanga, ces dernières semaines de plus en plus de joueurs alertent sur cette violence virtuelle qui s’abat sur les footballeurs. Tu as le sentiment qu’une prise de conscience a lieu dans le monde du foot ?Je crois que nous nous sommes habitués à cette haine contre nous, c’est devenu le lot quotidien d’énormément de sportifs en France. La norme d’acceptation a été placée à un niveau très élevé. Dès qu’on fait un bon match ou que l’on commet une erreur, on se fait traiter de « fils de pute », on nous dit qu’on va « brûler notre maison ». Je me demande jusqu’où tout cela va continuer. On va finir par se faire frapper parce que l’on a loupé une passe en retrait, c’est ça ? Les pouvoirs publics doivent réagir avant qu’il se passe un drame.

Comment expliques-tu que les footballeurs soient le réceptacle d’autant de colère et de frustrations ?Aujourd’hui, les paris sportifs sont très répandus, alors en faisant une erreur ou en concédant un but ou un penalty, certaines personnes perdent de l’argent. Pour certains, nous ne sommes rien d’autre que du bétail, et on leur permet via nos performances sportives de gagner beaucoup d’argent. Tout cela crée de la tension et de la frustration. Enfin, il y a le fait que derrière son écran d’ordinateur, chacun s’exprime sans filtre. Il n’y a pas de garde-fou. Avant, le mec qui insultait tout le monde dans un PMU se faisait recadrer par le patron. Là, ils se sentent protégés et à l’abri des poursuites judiciaires qui paraissent lointaines. Avec mon message, j’ai voulu tirer la sonnette d’alarme, les footballeurs ne sont pas des punching-balls.

Pour certains, nous ne sommes rien d’autre que du bétail.

Si tu avais en face de toi ceux qui t’ont insulté, qu’est-ce que tu leur dirais ?Je suis quelqu’un d’assez pacifique, donc je me contenterais de leur poser des questions simples : pourquoi insultez-vous ma famille ? Qu’est-ce que l’on a fait de mal hormis concéder un but ? Est-ce que vous vous rendez compte qu’il ne s’agit que d’un sport ? Le football est l’un des sports les plus populaires au monde, donc il engendre une passion sans doute excessive. Je sais qu’il y a des gens qui ne vivent qu’à travers le foot et que certains mots dépassent leurs pensées. J’espère juste qu’ils prennent conscience que leurs insultes ne sont pas postées dans le vide, qu’elles finissent par atteindre des gens.

On observe une vraie versatilité des commentaires. En l’espace de quelques semaines, Mbappé a été la cible de violentes critiques avant d’être porté aux nues après son match aller contre le Bayern Munich. Tu penses que l’instantanéité des réseaux nourrit cette violence ?C’est aussi le reflet de notre société. Il n’y a plus de patience pour rien. Mbappé ne marque pas durant plusieurs matchs, certains vont trouver de quoi remettre en question son talent. En oubliant qu’il n’a que 22 ans, qu’il nous a fait gagner la Coupe du monde et qu’il bat tous les records de précocité dans son sport. Mais si un prodige comme Mbappé est lui-même victime de cette haine, imagine ce que vivent les joueurs de clubs moyens en Ligue 1 ou Ligue 2. Moi, je suis à Auxerre, un club de Ligue 2, et je subis ces dérives. Johan Gastien, de Clermont, m’a dit qu’un de ses coéquipiers a lui aussi essuyé des menaces ce week-end. C’est récurrent.

Que faudrait-il faire pour protéger davantage les footballeurs selon toi ?J’ai appris que la LFP et Facebook travaillent à une charte pour réguler ces dérives et les rendre moins visibles, c’est un premier pas. J’espère que le monde du foot va s’unir autour de cette question. Je crois que les grandes plateformes comme Facebook, Twitter ou Instagram revoient également la manière dont leurs réseaux fonctionnent. Ils tirent actuellement profit de la violence et de la conflictualité qui règnent sur Internet, et je crois qu’il y a d’autres modèles à bâtir. Ce week-end, quand je me connecte, ce sont les messages haineux qui me sautent aux yeux plutôt que les commentaires d’encouragement.

Est-ce que tu penses que les médias ont une part de responsabilité dans ce climat ?C’est grâce à eux que l’on vit, mais c’est vrai qu’ils relaient beaucoup plus d’infos conflictuelles et négatives que positives. En général, les mauvaises nouvelles et mauvaises ondes sont plus vendeuses, et c’est malheureux.

Tu comptes te retirer totalement des réseaux sociaux ?Au moins jusqu’à la fin de la saison afin de ne plus être soumis à cette pression. Ensuite, on verra quel tournant je donne à tout cela. Peut-être que je créerai un compte privé pour donner des nouvelles à mes proches. Mais en tout cas, le personnage public Quentin Bernard n’existera certainement plus sur les réseaux sociaux.

Après avoir reçu plus de quarante mille messages d’insultes, la comédienne Marion Seclin s’est présentée en « championne de France du cyberharcèlement » et a appelé à la responsabilité individuelle de chacun. Elle disait notamment : « Il faut prendre l’habitude de communiquer votre satisfaction en ligne, votre amour pourquoi pas, et puis de laisser un commentaire constructif même s’il est négatif. Si on crie plus fort notre satisfaction, on n’entendra plus ceux qui crient leur haine, on fera trop de bruit. » Qu’en penses-tu ? C’est une belle ambition, mais je pense que le combat contre la haine en ligne sera encore très long. Je ne sais pas comment fonctionnent les algorithmes de ces réseaux sociaux, mais je pense que la colère et la haine sont des émotions plus visibles et influentes que les autres. Elles se propagent plus rapidement. Ce qui est vrai, c’est que les haineux sont minoritaires, même si on les entend beaucoup. Il y a une majorité silencieuse et pacifique qui ne s’exprime pas. La preuve, j’ai reçu énormément de témoignages d’amour et de soutien depuis mon message. Tout n’est pas foutu.

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On a passé la journée avec Guy Roux, Djibril Cissé et les jeunes de l’AS Gurgy
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Propos recueillis par David Doucet

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