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Que s’est-il passé au FC Rouen ?
Cinquième du National la saison passée, le FC Rouen a été rétrogradé en DH pendant l’été sur une décision de la DNCG. Mais comment ce grand favori à la montée en Ligue 2 a pu en arriver là ? Enquête.
Quand on parle de leur pays avec eux, les Libanais expliquent que si on a tout compris à son histoire, c’est qu’on nous l’a mal expliquée. Une définition qui pourrait, à en croire ses supporters, être également donnée au Football Club de Rouen. Loin d’être un des clubs français les plus réputés en matière de palmarès, le club de Rouen, fondé en 1899, n’en demeure pas moins une des équipes mythiques de notre pays. Si son meilleur classement en première division n’est qu’une quatrième place (à quatre reprises), le club normand a participé à la professionnalisation du football en France et fait le bonheur de ses supporters dans les années 30 avant d’être ralenti par le début de la Seconde Guerre mondiale. S’ensuivent plusieurs bonnes saisons dans l’élite et un huitième de finale perdu contre Arsenal (le futur vainqueur) en Coupe des villes de foires lors de la saison 1969/70.
Après un premier dépôt de bilan en 1995 et un second trois années plus tard, le FCR repart doucement. La saison 2012/2013 en National semble être la bonne, mais l’équipe (sanctionnée de trois points par la DNCG en cours de saison) finit finalement à petits deux points de la montée en Ligue 2. Pointant du doigt un déficit de près de deux millions d’euros, la DNCG rétrogradait le club normand en Division d’Honneur (DH) le 2 juillet dernier. Dix jours plus tard, le grand argentier du foot français confirmait sa sanction malgré l’argent supplémentaire promis par quatre actionnaires (dont le président Thierry Granturco) pour rétablir les finances. Même son de cloches pour le CNOSF (Comité national olympique et sportif français) qui décidait à la fin du mois de juillet de s’en tenir à la décision de la DNCG. Et donc d’exclure Rouen définitivement de tous les championnats nationaux. Alors, qui est le responsable ?
J’accuse
Pour Christophe, responsable communication des Rouen Fans (regroupement de divers groupes de supporters à tendance ultra du FCR), ils sont plusieurs. À commencer par les joueurs. Totalement refaite à neuf, l’équipe dirigée par Didier Ollé-Nicole, l’ancien coach de Nice, démarre par un début de saison catastrophique avant de réaliser un parcours assez inattendu en Coupe de France (où ils seront éliminés par Marseille, ndlr) et de se reprendre en championnat. Malheureusement trop tard, les Rouennais finissent cinquièmes du classement et à deux points du CA Bastia, dernier promu du National à la Ligue 2 la saison dernière. Rageant pour le FCR, sanctionné de trois points (et donc de la montée) durant l’hiver par la DNCG suite à la découverte de nouveaux déficits, et évidemment pour ses supporters. « Qu’une sanction de points pénalise une hypothétique montée, c’est un cas unique. Sportivement, on devait monter en Ligue 2. Et c’est pour ça que nous en voulons aux joueurs. S’ils n’avaient pas perdu des points bêtement comme à Colmar ou face à Quevilly et loupé la montée, tout le monde, pouvoirs publics, actionnaires, nous auraient suivi face à la DNCG » , explique Christophe.
Il poursuit : « On en veut aussi à la Matmut qui a lâché le club après la première décision de la DNCG. Le président voulait réinjecter les fonds que la Matmut souhaitait investir dans le club pour effacer les dettes. Et le groupe d’assurance s’y est opposé. » « Un éventuel partenariat avec la Matmut concernait l’avenir du FC Rouen et non les exercices antérieurs(la saison 2012-2013 en l’occurrence) » , répond Guillaume Buiron, l’attaché de presse de la société d’assurance à So Foot. Le groupe, dont le siège est situé à Rouen, a même précisé dans un communiqué publié le 15 juillet dernier dans la presse locale qu’il n’avait jamais eu vocation de venir « boucher les trous du passé » ou de se porter garant pour des déficits dans lesquels il n’a eu « aucune part » .
Comptes truqués or not comptes truqués ?
Mais aux yeux des supporters, le principal responsable reste la direction du FC Rouen. Pas celle de la saison dernière avec Thierry Granturco à sa tête, mais celle présente en 2011/2012 et coupable selon eux d’avoir caché une dette d’1,8 million d’euros. Et notamment Pascal Darmon, l’ancien président du club. Mais pour celui qui a passé sept années à diriger le FCR, pas question de porter le fardeau du dépôt de bilan tout seul. Pourtant mis en examen le 6 juin dernier pour « escroquerie » et « abus de biens sociaux » , Pascal Darmon plaide non coupable et n’hésite pas à rejeter la faute sur celui qui a pris sa place à la tête du club en mai 2012 sur le site 76actu.fr : « Il (Thierry Granturco)manipule tout le monde : le public, les médias et même les personnalités politiques. C’est un avocat d’affaires qui sait jouer avec les mots. Avant d’arriver au club, il a réalisé des audits sur les finances. Il est arrivé avant sa prise de pouvoir, puisqu’il a été administrateur avant de devenir président. D’ailleurs, il possédait tous les documents concernant les finances du club lorsqu’il est devenu président. Il accuse l’ancienne direction, mais celle-ci est exactement la même mis à part mon départ ! En accusant l’ancienne direction, il s’accuse un peu lui-même. Comment aurais-je pu cacher de telles dettes, alors que le club était sujet à des contrôles fiscaux, notamment de la DNCG, qui est composée d’experts ? Si j’avais triché, la meilleure solution aurait été le dépôt de bilan. (…) Il annonce des investisseurs qataris que l’on n’a jamais vus. Il n’a pas tenu une partie de ses engagements financiers et je pense que c’est pour cette raison qu’il a dissimulé des dettes. (…) D’ailleurs, ses chiffres concernant les dettes que j’aurais soi-disant cachées ne sont jamais les mêmes. Un jour, il évoque deux millions d’euros et le lendemain, c’est 800 000€. Il n’y a absolument rien de cohérent. »
Contacté par So Foot, l’ancien président (de 2005 à 2012) n’a pas voulu s’exprimer davantage sur l’affaire, instruction en cours oblige, mais s’est montré très optimiste quant à la suite des événements et a indiqué recevoir le soutien de nombreux supporters du FCR, le « grand perdant de cette histoire » . Pascal Darmon a également porté plainte pour « diffamation » contre Thierry Granturco. Une plainte aujourd’hui suspendue le temps du traitement de son affaire.
Du côté de son successeur, on charge évidemment Pascal Darmon, coupable à ses yeux d’avoir caché une dette lors du passage de témoin à la tête du club normand : « Je regrette la gestion de mon prédécesseur. C’est la réintégration de cette perte comptable d’1,8 million d’euros dans nos comptes qui, finalement, génère les trois points de pénalité qui nous empêchent de monter en Ligue 2, qui génère le déséquilibre des comptes et qui génère notre rétrogradation en DH. Le fait générateur de tout ça, cela reste quand même la découverte de cette dette et sa réintégration dans nos comptes » , expliquait Thierry Granturco dans une interview donnée à paris-normandie.fr. Sans oublier de critiquer la « réticence de la DNCG à créer une jurisprudence Rouen » qui consisterait à équilibrer des comptes d’un club sur la seule base d’engagements, et non par une libération immédiate de fonds.
Blanc bonnet et bonnet blanc ?
Qui croire alors ? Pascal Darmon ou Thierry Granturco ? Pour Mathieu Gudefin, un des « petits actionnaires » du club et amoureux ( « la passion de ma vie ! » ) du FCR depuis 1984, les responsabilités sont partagées. « On essaye de comprendre car aujourd’hui rien n’est clair, il y a des zones d’ombres, confie-t-il à So Foot. L’ère Darmon est trouble, qu’il ait laissé le club à son homologue dans de mauvaises conditions, c’est certain. Et si Thierry Granturco n’arrivait pas avec son argent, le club allait mourir. Maintenant, dès lors que le club survit, c’est la responsabilité de la nouvelle gouvernance. Le dépôt de bilan a eu lieu sous cette nouvelle gouvernance. Et Granturco était déjà présent dans l’ancienne équipe dirigeante en tant que président directeur général délégué… Au début de la saison, on entend parler de l’arrivée de Manu Petit, de Gérard Houllier au conseil de surveillance du club, de beaucoup de projets très ambitieux comme des partenariats avec Liverpool ou Monaco. Sportivement, c’était plutôt pas mal, mais dès septembre Granturco explique avoir trouvé non « pas un cadavre, mais un cimetière dans les placards ». Mais il n’a jamais été consistant dans ses propos par rapport à ça, on n’a jamais vraiment compris de quoi il s’agissait. On a aussi observé qu’il n’avait pas la puissance financière qu’il disait avoir et qu’il utilisait aussi des prétextes pour ne pas donner d’argent… »
Pour Gudefin, l’ancienne direction a tout simplement fait preuve d’un « manque de professionnalisme et de consistance flagrant » : « Alors que Thierry Granturco n’avait pas bronché pour récupérer les trois points enlevés par la DNCG en novembre, il se jette dans une bataille contre la Fédé pour les récupérer à la fin de la saison et faire valoir le sportif. Une attitude assez agressive et plutôt opportuniste qui a évidemment été plutôt mal perçue par la FFF. » Sans oublier le coup du partenariat énorme avec la Matmut qui devait entrer en effet lors de l’exercice 2013/14. « Granturco est coupable d’avoir menti à l’ensemble des actionnaires présents lors de l’AG du 20 juin en disant que l’argent de la Matmut n’était pas nécessaire pour équilibrer les comptes 2012/13. Seule l’augmentation de capital d’1 million devait suffire. Il ne l’a pas réalisée car il manquait en réalité 2 millions, pas 1 million. Il n’a donc pas tenu son engagement en ne réalisant pas l’augmentation de capital du 29 juin. C’est cela qui a signé l’arrêt de mort du club… La DNCG nous a sanctionnés pour l’ensemble de notre œuvre, mais surtout pour la dernière ligne droite. La gouvernance a vraiment agi en dépit du bon sens. Comment peut-on aller décemment à la DNCG pour présenter un budget à l’équilibre avec un million de la Matmut alors que cette dernière a bien précisé qu’elle n’était pas là pour boucher les trous ? Sur le dossier, les manquements et problèmes de gouvernance sont énormes. Ils ont merdé, il n’y a pas d’autres mots. » Contacté par So Foot, le dernier président du FCR n’a pas souhaité répondre à ces accusations.
La théorie du complot
Quel que soit le « coupable » de cette triste histoire, le Football Club de Rouen évolue maintenant en DH. Et selon certains, cette situation n’est pas pour déplaire à tout le monde. Notamment des politiques (et pas que) de la région qui souhaiteraient une fusion entre le FCR et l’US Quevilly. Aussi silencieux que Valérie Fourneyron (actuelle ministre des Sports du gouvernement Ayrault et ancien maire de la ville de 2008 à 2012) au moment de la rétrogradation du club, les élus du coin ne seraient pas contre une union des deux équipes histoire de payer moins de subventions. Et la présence du président de Quevilly Michel Mallet (qui se déclarait pourtant hostile à toute fusion entre les deux équipes en mai dernier) à la Fédération française de football lors de l’audition du club rouennais n’a pas vraiment aidé à éteindre la théorie du complot contre Rouen…
Aujourd’hui, la SASP n’existe plus. Ne reste plus que l’association avec Hakli Dahmane et Éric Rastell à la tête de l’équipe. Pour ce dernier, pas question de se fixer des objectifs : « L’objectif prioritaire est de reconstruire un groupe le plus compétitif possible, car le groupe était initialement fait pour l’équipe réserve. Très jeune et pas forcément armé pour jouer une montée. Aujourd’hui, on essaye de le reconstruire, de stabiliser le club financièrement et quant au sportif, on verra au fur et à mesure en fonction du championnat. » Et l’espoir de revoir un jour Rouen en Ligue 1 ? Du côté des Rouen Fans, on n’est pas forcément optimiste : « Vu que nous sommes un club de poissards, ce n’est pas pour tout de suite… » On veut bien le croire, malheureusement.
Par Antoine Aubry