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Quand Riquelme tendait ses oreilles à la Liga
Dans une carrière riche en papelitos et petits ponts, Juan Roman Riquelme laissera une trace indélébile chez les esthètes du football argentin. Cependant, l'idole de Boca a aussi connu l'Espagne entre 2002 et 2007, avec des hauts et des bas. Mais surtout des hauts.
Si le passage du CM2 à la 6e est régulièrement une transition compliquée pour tout jeune écolier, il faut savoir passer de chef du primaire à nouveau collégien sans passer par la case victime. Le collège, Juan Roman Riquelme ne l’a pas connu. Pourtant, il sait ce que l’expression entrer dans la cour des grands signifie. Fraîchement arrivé au sein du FC Barcelone, le jeune de Buenos Aires se confronte rapidement à une nouvelle expérience : celle de l’indifférence. Certes, le palmarès du prodige boquense parle pour lui. 3 championnats nationaux, 2 Copas Libertadores et une Coupe intercontinentale à seulement 24 ans, ce n’est quand même pas rien. Au pays, Roman est même considéré comme le digne descendant du mythe Maradona, adoubé comme le nouveau prince de la Bombonera. Mais voilà, en Espagne, Roman n’est personne. Enfin, presque personne. Deux ans avant son arrivée en Catalogne, sa prestation XXL contre le Real Madrid le révèle aux recruteurs du monde entier. Grâce technique et sens du dribble tapent dans les yeux du rival historique de la Maison Blanche. Riquelme fait tomber le champion d’Europe en titre, c’est donc presque logiquement qu’il devait devenir un culé, presque logiquement qu’il devait succéder à Rivaldo comme maître du jeu dans les cœurs catalans.
Dans une ville anciennement conquise par les dribbles du Pibe de Oro, l’arrivée de Riquelme au Nou Camp est une bonne nouvelle. En effet, son transfert est perçu comme le pansement parfait d’une blessure. Celle entre le récent champion du monde brésilien, devenu trop arrogant, et son ancien mentor hollandais, revenu aux commandes du Barça durant l’été. « Je n’aime pas Van Gaal, et je crois que lui non plus ne m’aime pas, lâche le Ballon d’or 1999. Cette animosité entre nous vient de notre ancienne collaboration. » Dans cette ambiance froide comme l’hiver 54, Rivaldo file au Milan AC, et le Barça imprime le 10 sur le maillot de Riquelme, tout en lui confiant l’impossible : être la star d’une équipe coachée par un homme qui ne souhaitait pas son recrutement. Avantagé par son glorieux passé au sein du club, Van Gaal donne peu de considération à la recrue offerte par le président Gaspart et le fait directement savoir au principal intéressé dès son arrivée. Bien entendu, l’Argentin en souffre. Terriblement.
Une évasion en sous-marin
Pour voir un but de son meneur de jeu, le Barça devra donc attendre la neuvième journée de Liga. Tenus en échec par Villarreal, les Blaugrana obtiennent un penalty. Une expiration avant de s’élancer, un contre-pied parfait. Ça y est, Riquelme peut enfin dévoiler sa spéciale : montrer ses oreilles en direction des travées du stade. Ce but sera le premier de ses six réalisations en quarante-deux rencontres sous la liquette barcelonaise. Un bilan plutôt faible certes, mais sans oublier que dans ce Barça-là, la tempête bat son plein. Van Gaal pète un plomb en claquant la porte après seulement six mois, Radomir Antić joue les intermédiaires, et la saison tourne au fiasco avec une sixième place synonyme de simple qualification en Coupe UEFA. Dans toute cette zizanie, Riquelme ne pouvait plus exister et comprend, comme un mari cocufié, que le véritable successeur de Rivaldo doit pouvoir jouer sur l’aile gauche et s’appeler Ronaldinho. Amené à quitter la Catalogne sous le règne de Frank Rijkaard un an seulement après l’avoir connue, le sacrifié part en prêt à Villarreal. Cet affront le forge, son désir reste intact : il réussira en Europe dans un club où l’on respecte son talent.
Dès son arrivée, El Maestro est d’ailleurs très clair en conférence de presse. « À partir d’aujourd’hui, je suis quelqu’un d’autre. Hier encore, je me sentais extérieur au football. Je n’avais pas la possibilité de m’exprimer pleinement, ni même de me sentir footballeur. Aujourd’hui, je redeviens un joueur et c’est grâce à Villarreal. » Un cri sortant droit de l’aorte, que l’Argentin va rendre au club l’ayant sorti de ce mauvais pas. C’est le début de la furia Riquelme en Liga, elle va durer quatre ans. La première année est celle de l’adaptation. Son entraîneur Manuel Pellegrini le place dans son onze titulaire et, malgré des absences liées à des blessures, l’équipe n’échoue qu’à un petit point des places européennes. La deuxième année sera celle de l’explosion. Dans une saison pleine, Roman amène Villarreal sur la troisième marche de la Liga et se fait définitivement une place au soleil en étant élu meilleur joueur étranger de la Liga en 2004/2005, devant Zinédine Zidane. Gâté par ses offrandes pendant deux saisons, Diego Forlán termine pichichi, et les deux compères sont prêts à envahir l’Europe la saison suivante. « La première fois que je le vois, c’est dans les tribunes d’Highbury, raconte Pascal Cygan, ancien défenseur d’Arsenal. J’étais blessé et donc indisponible pour le coach. Avant le match, on savait qu’il était l’arme fatale de cette équipe. Arsène nous avait prévenus d’éviter des fautes stupides pour lui donner une chance sur coup franc. » Roi des phases arrêtées, l’objectif de Riquelme va brusquement prendre fin en demi-finale de Ligue des champions, sur un penalty manqué face à Lehmann. Sûrement le plus grand échec personnel dans sa carrière sportive. Pourtant, le charme opère, Riquelme envoûte un club qui pointait à la quinzième place du championnat trois ans auparavant.
« Comme si j’avais déclenché la bombe atomique »
Les dernières années de Roman en Espagne seront plus saccadées, étant donné son amour longue distance entre lui et Boca Juniors. Lors de sa première saison à Villarreal en 2006-2007, Pascal Cygan va pouvoir mesurer la cote de popularité du dieu Roman chez les Amarillos. « C’est bien simple, dès mon premier entraînement, j’ai vu ce qu’il représentait dans le club. Le tout premier duel de la séance, c’est avec lui qu’il se passe. Le ballon arrive entre nous deux, et je m’engage franchement pour récupérer le ballon avec un tacle appuyé. Je fous Riquelme à terre, et pendant trois secondes, le temps s’est vraiment arrêté. Tout le monde me regardait du genre « Mais qu’est-ce qu’il vient de faire ? » Ils espéraient tous que Roman allait se lever, ce qu’il a fini par faire. Si je l’avais blessé, je pouvais repartir en Angleterre illico. Je me souviens encore du regard que m’avait lancé Manuel Pellegrini, comme si j’avais déclenché la bombe atomique. »
Dans l’autonomie de Valence, Riquelme jouit d’une aura rare, comparable aux plus grands footballeurs du XXIe siècle. Avec ses avantages et ses inconvénients. « Quand tu as cette image de star à Villarreal, tu deviens très vite chargé au point de vue planning, analyse Cygan. Tu dois chercher à satisfaire tout le monde : dirigeant, entraîneur, fans, sponsors, journalistes… Au bout d’un moment, te créer une bulle devient carrément vital. Je le comparerais bien à Thierry Henry ou Dennis Bergkamp dans ce registre-là : il était un peu à l’écart du reste des joueurs, parce qu’il est autre chose qu’un simple joueur de foot. » Malgré cette médiatisation, le côté humain resurgissait ponctuellement, surtout chez lui, le Sud-Américain. « Au moment de faire un petit resto ou un barbecue par contre, il était toujours partant, se rappelle encore Cygan. On le voyait plus rieur et ça le rendait plus accessible. » Pendant que le football pleure son départ, Roman doit se payer une belle tranche de rigolade devant sa pièce de bœuf à cuire.
Par Antoine Donnarieix