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Quand l’Angleterre jouait encore le jour de Noël…

Par Victor Le Grand
7 minutes
Quand l’Angleterre jouait encore le jour de Noël…

Adeptes du Boxing Day, les British jouaient même le jour de Noël il y a près de 60 ans. Retour sur une énième bizarrerie britannique, entre alcool, brouillard et traditions religieuses. Merry Christmas.

Boxing Day. Traduire ni plus ni moins que « la journée de la boîte » . Un jour férié, prévu le 26 décembre de chaque année, offrant la possibilité aux Britanniques, et comme dans de nombreux pays du Commonwealth, de fêter Noël sur deux jours. Les origines de cette journée particulière remonteraient au Moyen Âge, mais les explications sur son origine varient. La plus courante ? Selon certains historiens, les rois, les nobles et les bourgeois célébraient le 25 décembre, jour de Noël, en faisant de grands banquets. Les bonnes et les serviteurs étaient mobilisés ce jour-là pour préparer et servir les victuailles. Comme ils ne pouvaient pas être auprès de leurs familles, on leur offrait la journée du 26 décembre. Sportivement, le Boxing Day marque aussi le début d’un enchaînement souvent décisif dans la course au titre de champion d’Angleterre. Les matchs s’enchaînent à une vitesse infernale durant les fêtes, excepté le 25 décembre. Un des précieux jours fériés du calendrier anglais qui en compte huit par an, contre onze en France et quatorze en Espagne.
Néanmoins, cela ne fut pas toujours la règle : jusque dans les années 1950, de nombreuses rencontres étaient justement programmées le jour de Noël. Un day off donc, qui offrait l’une des rares possibilités de se rendre au stade, en masse et en famille. « À l’époque victorienne, époque où de nombreuses fêtes et traditions anglaises ont été introduites, le football était un rituel de Noël aussi sacré que « Jingle Bells » et les tartelettes aux fruits le sont aujourd’hui », écrit Paul Brown, journaliste pour le magazine FourFourTwo. Un sport tout neuf qu’il faut vite rentabiliser. Pour forcer le trait, les dirigeants de clubs décident donc de multiplier les matchs durant cette période : on joue un match aller le 25 décembre, et le match retour le lendemain. En 1888, Aston Villa et Preston s’adonnent les premiers à ce genre de double confrontation. Près de 10 000 curieux s’amassent au stade. Nick Ross, défenseur des Lilywhites, est désigné homme du match. Son petit plus ? Siffler les mélodies de chants de Noël de manière menaçante, afin d’intimider ses adversaires lors de chaque arrêt de jeu. Avec la promesse d’une belle semelle en guise de cadeau…

8 centimètres de neige et des vents contraires

Depuis cette rencontre pionnière, le calendrier est clair. La plupart des matchs de Noël doivent être en priorité des derbys de même ville, ou de cités voisines. La raison ? Jour férié oblige, les transports publics ne sont pas ouverts au public. Les matchs sont joués en journée pour cause d’absence de lumière artificielle dans les stades, et de préférence avant l’heure du déjeuner afin d’éviter la tombée de la nuit. Plus perturbant encore, les conditions climatiques. Le réchauffement de la planète ne fait pas encore la couverture des journaux, les ballons rouges et les pelouses chauffées n’ont pas encore trouvé leur concepteur. Résultats : outre un nombre incalculable de blessures, « les meilleures équipes sont celles qui ont la plus grande résistance au froid et les joueurs les plus robustes. Des joueurs qui n’ont pas peur de jouer contre 8 centimètres de neige et des vents contraires », écrit le Times. Le 25 décembre 1937, un épais brouillard contraint la Fédération anglaise à reporter ou annuler la plupart des rencontres du pays. Un coup d’envoi entre Charlton et Chelsea est finalement rescapé, jusqu’à ce que Sam Bartram, gardien des Addicks, soit complètement aveuglé par une brume de plus en plus dense. « Plus les minutes défilaient, moins je voyais les numéros de mes coéquipiers », raconte-t-il. En début de deuxième période, un homme vient à sa rescousse. « Mais mon Dieu, que faites-vous encore ici ? », lui demande perplexe un policier de la ville. En vérité, le match est arrêté depuis déjà vingt bonnes minutes. Mais faute de visibilité, ce malheureux gardien n’a visiblement rien compris au mauvais déroulé du match. « Quand je suis rentré aux vestiaires, mes coéquipiers, déjà douchés et rhabillés, ont éclaté de rire. Un grand moment de solitude. »
Mais quid de la nativité du petit Jésus-Christ ? Traditionnellement, en tant que fête chrétienne, le jour de Noël commémore chaque année la naissance de Jésus de Nazareth. Dans ces conditions, jouer au football est sujet à controverses, surtout dans une période de l’histoire où caresser le cuir un dimanche, jour du Seigneur, est une initiative également proscrite. Pour calmer les choses, les instances dirigeantes du football anglais misent, sans réellement se mouiller, sur le volontariat : chaque club est alors libre, ou non, de présenter une équipe le soir du réveillon. Par exemple, Arsenal sera interdite de football à Noël jusqu’en 1925, le stade d’Highbury étant à l’origine construit sur les terres de St John’s College of Divinity. Une faculté qui, comme son nom l’indique, ne badine pas avec le respect des traditions religieuses. Plus hostiles encore que les institutions, certains joueurs eux-mêmes se rebiffent. Des boit-sans-soif, qui s’indignent qu’avec cette journée de travail supplémentaire, on leur élève une grande occasion annuelle de faire la fête, et surtout de se saouler la tronche. L’ancien attaquant de Clapton Orient, Edmund « Ted » Crawford, rappelle l’ivresse générale de son équipe lors d’un match de Noël contre Bournemouth, en 1931. Ce jour-là, comme il est de coutume dans la plupart des clubs du pays, les dirigeants sont d’ailleurs les premiers fournisseurs d’élixir. Grâce au baril de bière offert par ces derniers, Crawford s’écroule en fin de première mi-temps et tombe dans un léger coma éthylique. Avant de tenter un brin d’humour : « Je me suis réveillé dans les vestiaires. J’ai alors souhaité Joyeux Noël à mes coéquipiers… En rotant. »

Seconde Guerre mondiale, dinde et zeste d’orange

Malgré toutes ces problématiques, le football de Noël s’enracine année après année dans l’inconscient populaire britannique. Rien ne semble arrêter ce legs du passé, même pas le début de la Seconde Guerre mondiale. Le 25 décembre 1940, Norwich affronte une escouade de Brighton décimée par des joueurs envoyés sur le champ de bataille européen. Avec seulement cinq soldats sur la feuille de match, le coach de Brighton compose son onze de départ avec des personnes bénévoles assises en tribunes. Norwich s’impose sans résistance 18 buts à 0, conséquence directe d’un manque de main-d’œuvre et de joueurs qualifiés. Certains joueurs sont même autorisés à joueur sous plusieurs étiquettes, comme Len Shackleton, joueur en fin de matinée de Bradford, qui achèvera, sous le maillot de Leeds, l’équipe de Huddersfield quelques heures d’une superbe reprise de volée. Statistique folle : 210 buts seront ainsi marqués durant cette seule journée de Noël 1940 à travers tout le pays !
Le conflit guerrier amnistié, la popularité du football outre-Manche explose. Du jamais-vu : près de 3,5 millions de spectateurs assistent à la série de trois journées en quatre jours prévue fin décembre 1949. Des fans qui s’unissent pour chanter des chansons de Noël avant le coup d’envoi, s’offrent en tribunes leurs cadeaux, fument de gros cigares, puis aspergent les joueurs d’un zeste d’orange. L’orange ? Un produit jadis rationné, considéré comme luxueux, et qu’il est de bon goût d’offrir pendant les périodes de fêtes. Mais l’euphorie de ces années folles d’après-guerre ne va pas s’éterniser. L’arrivée des fifties et des évolutions technologiques plombe fortement les fins d’année footballistiques. Pourquoi se geler les miches dans un stade le jour de Noël, alors que les retransmissions radio explosent ? Pourquoi se geler les miches dans un stade spécialement le jour de Noël, alors que ceux-ci sont aujourd’hui munis de projecteurs électriques, multipliant le nombre de rencontres toute l’année en soirée et même en semaine ? Le 25 décembre 1957, de nombreux stades britanniques annulent leur match en rouge et blanc, faute de spectateurs. En 1958, seules les trois premières divisions sont autorisées à jouer à cette occasion. En 1959, la première uniquement. Le phénomène disparaît totalement en 1965, avant de connaître une tentative échouée de come-back en 1983. Cette année-là, Brentford arrange une partie de troisième division contre Wimbledon, le 25 décembre, à 11h du matin. Faute grave : l’idée provoque un surprenant tollé général. Les supportrices enragent, menacent de faire grève pour le reste de la saison et demandent la démission de leur président, Eric White. Son tort ? Avoir voulu remuer les cendres du passé. À sa manière : « Nous espérions juste revivre l’ancienne tradition du football de Noël… Ce jour où les hommes allaient voir du football, et les femmes surveillaient la cuisson de la dinde. »

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