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Quand Highbury se parait d’un mur de « faux supporters »
Pour pallier l’absence de supporters dans les tribunes, plusieurs clubs ont utilisé des artifices comme la diffusion de chants enregistrés ou la présence de supporters en carton dans les tribunes. Cette dernière combine est néanmoins loin d’être complètement nouvelle. En 1992, Arsenal avait posé une immense fresque dépeignant des fans afin de cacher une tribune d’Highbury en reconstruction. Non sans susciter de nombreux débats et alimenter les légendes urbaines.
« Toute partie de football est une liturgie collective où les gestes, les couleurs et les sons se répondent. » Les mots ont été couchés au début des années 1990 par Michel Pastoureau, historien médiéviste reconnu pour ses travaux sur la couleur, mais ils semblent plus que jamais parler aux clubs – et aux diffuseurs TV –, tant ces derniers s’évertuent à ajouter des artifices visuels et sonores aux gestes des joueurs, rendus fades par le huis clos généralisé. En Allemagne, le diffuseur Sky a ainsi ajouté une piste audio reproduisant le chant des fans pendant les matchs, tandis que Mönchengladbach a opté pour les supporters en carton dans les tribunes. Le FC Séoul a de son côté choisi les poupées gonflables pour constituer son public, ce qui n’a pas été du goût de la société en charge du stade. Néanmoins, ce stratagème des « faux supporters » est loin d’être complètement nouveau, puisque au début des années 1990, Arsenal avait déjà fait le choix d’une gigantesque fresque dessinée pour cacher une tribune d’Highbury en reconstruction.
À l’été 1992, alors que les Gunners s’apprêtent à disputer leur première saison de Premier League (la compétition a été créée au mois de mai la même année), le vieillissant Highbury – lequel sera déserté quatorze ans plus tard – s’offre un petit ravalement de façade. La tribune Nord (North Bank), rassemblant habituellement 15 000 des plus fervents supporters d’Arsenal, est ainsi détruite pour laisser la place à une nouvelle structure ne comptant plus que des places assises, et, en attendant la livraison de l’ouvrage l’année suivante, le lieu n’est occupé que par grues, véhicules de chantier et sacs de ciment. Le vice-président exécutif de l’époque, David Dein, décide alors de faire appel à une agence pour dessiner une fresque grand format afin de camoufler les travaux en cours. L’artiste Mike Ibbison se charge ainsi d’esquisser la nouvelle tribune d’Highbury sur papier et y dépeint 1500 fans affublés de maillots et d’écharpes du club, tout en usant de la perspective pour donner de la profondeur au rendu. Validée par Dein, la fresque est ensuite confiée à un illustrateur afin d’être peinte, imprimée en grand format puis accrochée dans le stade.
Un public immobile et homogène
Découverte mi-août par les joueurs, la veille du premier match de la saison face à Norwich, elle interpelle néanmoins l’attaquant Kevin Campbell, qui fait remarquer à son coéquipier Ian Wright qu’aucune personne noire ne figure dans la tribune. Wright souligne que lui-même et Campbell « n’étaient pas particulièrement en colère ou déçus », mais que l’observation de son coéquipier était juste, car « des personnes noires étaient aussi présentes en tribunes à Highbury ». Au stade ce jour-là, Dein est alors interpellé par Campbell à ce sujet et se rend compte du malencontreux oubli. Le dirigeant assure comme Ibbison que l’omission était involontaire – l’artiste affirme qu’il n’avait pas fait de mention concernant le sexe ou la couleur de peau des spectateurs dans son croquis – et s’engage alors à faire repeindre la fresque dans la nuit. Si personne ne se souvient réellement de l’auteur des modifications, le lendemain, le faux public est agrémenté de visages multicolores et même de quatre religieuses dans son coin supérieur gauche. La composition de la fresque se rapproche plus justement de celle du public d’Highbury, mais, même retouchée, elle semble dérouter. Un parachutiste manque ainsi de s’écraser dessus lors de l’animation d’avant-match face à Norwich, tandis que l’équipe d’Arsenal s’incline 2-4 à domicile face aux Canaries après avoir pourtant mené de deux buts, inscrits dos au mur. Si Dein ironisera à la suite de cette défaite en déclarant que « douze spectateurs du mur avait quitté le stade avant la fin de la rencontre », le défenseur Steve Bould se rappellera en 2012 cette « étrange fresque » et cette défaite qui « résumait bien ce que l’on ressentait lorsque l’on jouait devant ».
Fantasmes et superstition
Ian Wright marquera finalement le premier but des Gunners côté mur fin septembre, mais il était trop tard : la thèse d’une fresque maudite était déjà répandue et avait accouché de nombreux fantasmes. En effet, de nombreuses critiques s’ajoutèrent à celle de Kevin Campbell, comme celles soulignant la faible présence des femmes dans la tribune ou encore une supposée séparation entre les enfants et leurs parents, dénoncées par les associations de défense des enfants et qui auraient entraîné de nouvelles modifications. D’autres affirment qu’un supporter isolé de Manchester United apparaissait également dans la fresque, après que l’artiste eut voulu se venger d’avoir dû modifier son œuvre initiale. Aujourd’hui discréditées par le fait qu’Ibbison était un fan d’Arsenal ou balayées par Dein lui-même – qui affirme que la fresque n’a été retouchée qu’une seule fois –, ces thèses ne pourront pourtant jamais être complètement réfutées. En effet, personne ne sait vraiment où est l’ouvrage aujourd’hui et Ibbison a même égaré le dessin de départ.
En dépit de la décevante dixième place d’Arsenal cette saison et des nombreuses légendes entourant l’ouvrage, David Dein juge avec du recul que la fresque « a fait son travail » et qu’elle était bien plus agréable à l’œil qu’un chantier. Néanmoins, force est de constater que son histoire pose inévitablement la question de la diversité dans les stades et rappelle que la représentation d’une foule, qu’elle soit en carton ou en plastique, est toujours le résultat d’un parti pris de ses auteurs. Avec son lot d’inexactitudes, ses trolls – en Australie, un tueur en série en carton s’est par exemple retrouvé dans les tribunes d’un match de rugby à XIII –, mais aussi parfois ses enseignements.
Par Victor Launay
Propos de Dein et Wright issus du NY Times, ceux de Bould issus du Guardian