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Quand David Beckham s’est annoncé au monde
Il avait déjà la belle gueule, la mèche soignée et le pied droit délicieux. Il y a près de vingt ans, le monde prenait en pleine face le talent d’un certain David Beckham. Un gamin de vingt-et-un ans, marqué au fer rouge de Manchester United qui, d’un coup de patte de soixante mètres contre Wimbledon, devenait quelqu’un. Oui, ce jour-là, a star is born.
La photographie de ce moment semble presque intemporelle. Une forme d’éternité dont le temps ne viendra jamais à bout. Il n’était personne, si ce n’est peut-être une promesse parmi tant d’autres, mais il y a déjà tout de David Beckham dans cet instant de grâce. Une chorégraphie harmonieuse qu’il ne cessera plus tard de répéter inlassablement, année après année. Le bras droit collé le long du corps et le poing fermé, le gauche comme arrondi et relâché, puis la jambe gauche tendue. Avant de lever la tête, la posture déjà altière et classieuse, pour caresser le cuir depuis la ligne médiane. Et soudain, alors que les dernières secondes s’égrènent une à une, Selhurst Park s’est tu. Près de 25 000 spectateurs suspendus à la trajectoire indécise d’une tentative pleine de culot. « Il y a eu un long moment silencieux quand le ballon a plongé sous la barre, avec 25 000 personnes retenant leur souffle et se pinçant pour y croire, écrira le lendemain Patrick Collins dans le Mail On Sunday. Puis David Beckham a levé les mains en l’air et manifesté sa joie dans un vacarme assourdissant. »
Ce 17 août 1996, en ouverture du nouvel exercice de Premier League, Manchester United s’adjuge un succès confortable face à Wimbledon (0-3). Mais la victoire apparaît anecdotique tant le milieu de vingt-et-un ans cristallise l’attention après sa prouesse. « Vous verrez ce but encore et encore » , soufflait sur le coup, quasiment sidéré, Martin Tyler, l’emblématique commentateur de Sky Sports. Des mots qui prendront un peu plus de sens quand, en 2003, le but – synonyme de 300e réalisation en championnat pour les Red Devils – est élu le plus beau de la décennie. C’est aussi celui qui a fait passer le gamin dans une tout autre dimension. « C’est le but qui le révéla réellement aux yeux du monde » , raconte Sir Alex Ferguson dans son autobiographie. David Beckham, bien des années plus tard, ne dira d’ailleurs pas autre chose : « Ce but a changé ma vie. Le ballon semblait être dans les airs pendant des heures et tout était devenu si calme. Puis la balle est rentrée et, là, tout a explosé. J’étais sur un petit nuage. Je voulais juste serrer la main de tout le monde et rester encore sur la pelouse durant une heure. » Pour ne pas oublier. Encore et encore.
Passion rouge, « Sucre d’orge » et Honda Prelude
Scintiller de mille feux, s’annoncer au monde sous la tunique de Manchester United, David Beckham a sans doute chéri l’idée plus que quiconque. Rêvé, même. Parce que depuis ses premiers pas, le Britannique est un enfant marqué au fer rouge. S’il est né à Leytonstone, dans l’est de Londres, avant de déménager à Chingford, le bambin a grandi en admirant les Red Devils. Et cela, malgré l’amour inconditionnel de son grand-père pour les Spurs. « Mon père était un grand fan de leur équipe, il ne parlait que de Manchester United, s’épanchait-il en 2014. Son joueur préféré était Bobby Charlton. À Noël, il m’achetait toujours le nouveau kit du club » . À quatorze piges, le club mancunien le repère et l’intègre à l’académie en juillet 1991. Le jeune Becks ne passe alors déjà pas inaperçu. « Becks est arrivé à United et ressemblait à une mascotte, se souvenait son partenaire Nicky Butt. Il avait tout l’équipement des supporters, des badges Bobby Charlton » . Aux côtés de ce dernier, Giggs, Scholes et des frères Neville, David gravit les échelons et remporte la FA Youth Cup en 1992. Un apprentissage de la vie de footballeur rythmé par les brimades et le son de la voix du boss de l’académie, Eric Harrison, qui harangue à maintes reprises Beckham de la même façon : « Arrête de tirer comme un acteur ! » Dans la foulée de ce premier titre, le milieu honore sa première apparition en pro en septembre, avant de signer son premier contrat en janvier 1993 et d’inscrire son premier but en Ligue des champions face à Galatasaray (décembre 1994, 4-0). Les premiers contours d’une ascension prometteuse et certaine sont alors dessinés. Après un passage éphémère en quatrième division, à Preston North End (janvier-mars 1995) où il prend tout de même le temps de se distinguer avec un corner rentrant, il est titularisé pour la première fois en Premier League contre Leeds (avril, 0-0), mais assiste impuissant à la perte du titre au profit de Blackburn.
Ce qui entraîne en partie, lors du mercato estival, la perte de trois éléments majeurs : Mark Hughes, Paul Ince et Andrei Kanchelskis. Alors que tous les observateurs s’attendent à ce que Fergie pallie ces départs de manière conséquente, l’Écossais choisit d’accorder sa confiance à la jeune garde mancunienne. Sauf que la représentation inaugurale des « Fergie’s Fledglings » , lors de la cuvée 1995-1996, accouche d’une débâcle retentissante à Aston Villa (3-1). Et les diatribes les plus véhémentes s’abattent. À l’image de la célèbre sortie d’Alan Hansen qui, sur le plateau de Match of the Day, lâche : « Vous ne pouvez rien gagner avec des gamins » . Bien mal lui en a pris, United boucle la saison en réalisant le doublé championnat-FA Cup. Beckham, lui, en a profité pour se rendre incontournable sur l’aile droite, où sa qualité de passe et sa vision de jeu font merveille. Aussi, son joli minois et son allure soignée ne laissent déjà pas indifférents. « Ce qui m’a frappé très tôt chez lui, c’est son apparence, révélait, il y a deux ans, Gary Neville. On se disait : « Il est trop beau pour jouer au foot. » Il voulait être une star. Il voulait se propulser au-delà du football » . Et Giggs de conter une anecdote savoureuse à propos de son compère qu’on surnommait alors « sucre d’orge » ou « pretty Boy » : « Au bout d’un certain nombre de matchs disputés, le club nous accordait le droit d’avoir une Honda Prelude. Celle de Becks était noire. On la prenait tous les jours, car il avait des sièges en cuir. On gardait nos chaussures et on salissait sa voiture. Ça le rendait fou. Il disait :« Quoi que vous fassiez, n’abîmez pas le cuir. »Il devait conduire et on détruisait ses sièges en mettant nos pieds dessus » .
Les mots de Cantona et les pompes de Charlie Miller
À l’aube de la saison 1996-1997, c’est donc avec l’étiquette assumée de promesse que Becks se présente. Troquant le numéro 24 pour le 10 autrefois porté par Hughes, le joueur est protégé par son coach qui assurera plus tard que « David était comme un fils pour [lui] » . Mais il doit rapidement assumer ses responsabilités malgré son jeune âge. Pour ouvrir la Premier League, United se déplace à Selhurst Park, afin d’affronter Wimbledon, escouade qui a flirté avec la relégation, lors de l’exercice précédent. Une équipe aussi encore menée par le virulent Vinnie Jones, vestige vivant de la fameuse période du Crazy Gang. Pour l’occasion, les 10 000 fans mancuniens venus faire le déplacement sont d’humeur moqueuse et arborent des tee-shirts avec la formule faussement prophétique d’Alan Hansen. Disposés dans un atypique 3-3-3-1, les Red Devils ne tardent pas à asseoir leur domination. À la 25e minute, Cantona ouvre le score d’une frappe limpide sur un service de Butt. Peu avant l’heure de jeu, c’est Denis Irwin qui conforte l’avance des siens au terme d’une longue phase de possession. Avant la dernière lueur. Le dernier frisson catapulté par Beckham de près de soixante mètres. « Ce but a été important personnellement dans ma carrière, mais j’étais surtout content par le fait qu’Éric Cantona vienne me voir après cela et me dise :« Beau but. »C’était mieux que d’avoir marqué pour moi. C’était un homme calme, de peu de mots et quand il vous parlait, c’était toujours spécial » , relatait le bellâtre anglais, il y a quelques années.
Le coup de sifflet final retenti, Alex Ferguson peine à masquer sa joie, le regard teinté d’émerveillement après la réalisation insensée du « pretty boy » : « Nous venons déjà d’assister au plus beau but de la saison » . Le boss mancunien avouera toutefois plus tard qu’il n’était pas loin d’étriper son joueur quelques minutes avant ce jour-là. « Avant qu’il ne marque, il avait essayé de faire la même chose dix minutes auparavant et j’avais dit à mon adjoint Brian Kidd : « S’il essaie encore, je le fous dehors », avouait-il en 2013. À l’époque, David s’emportait un peu et j’essayais de lui faire garder les pieds sur terre. Quand il a marqué, Kiddo s’est tourné vers moi et m’a dit : « Nous allons devoir le mettre dehors ! » » Quant à la victime de ce but passé à la postérité, elle a également été invitée à le commenter. À l’annonce de la retraite de Becks, il y a trois ans, Neil Sullivan, ex-portier de Wimbledon, est sorti de son silence. Non sans une certaine gêne au moment de revivre ce moment : « Quand il a tiré, je me suis dit que j’étais très loin du ballon. J’ai regardé au-dessus de moi, puis le ballon a plongé sous la barre et au fond des filets. Puis j’ai regardé les fans de United derrière mes buts et ils étaient en train de rire… C’était un joli but » . Et comme derrière chaque but historique, il y a une histoire. Celle de Becks s’avère pour le moins singulière. Avant le match contre Wimbledon, le Britannique, à la suite d’échos positifs à ce sujet, a demandé à jouer avec des Adidas Predator. Mais les seuls crampons disponibles pour sa pointure portaient l’inscription du nom de Charlie Miller, alors modeste joueur des Glasgow Rangers et sponsorisé par la marque à trois bandes. Le Red Devil n’en a eu cure et a tout de même enfilé les pompes de l’Écossais. Pour le résultat que l’on sait. Pour, à son tour, se faire un nom.
Par Romain Duchâteau
Tous propos extraits du documentaire Class of 92, du livre Arise Sir David Beckham: Footballer, Celebrity, Legend - The Biography of Britain's Best Loved Sporting Icon, talkSPORT et Absolute Radio